Psychologies (France)

« Partager des repas en famille, c’est essentiel »

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Deux heures et vingt- deux minutes, tel est en moyenne le temps que nous, Français, consacrons quotidienn­ement à nous

restaurer1. Un record inégalé ? Disons plutôt une exception culturelle qui, au fil des décennies, nous encourage, coûte que coûte, à préserver nos pauses repas. Puisque nous nous attablons environ cent mille fois au cours de notre existence, autant en profiter. Et déguster. Avec, toujours, ce vieux présupposé en tête : le faire à plusieurs, c’est mieux. Pour le bien-être collectif autant que pour la santé. Les moralistes nous le serinent d’ailleurs : « S’il n’y a pas de repas de famille, c’est qu’il n’y a pas d’esprit de famille ! » D’où nous vient donc cette certitude que manger ensemble est de l’ordre du sacré ? Pourquoi vantons-nous à ce point les vertus de cette pratique pour l’équilibre de notre psyché ? La faute à la Cène, sans doute, qui nous enjoint depuis deux mille ans à « partager » pour « communier ». Mais aussi, et surtout, à ce fantasme si répandu de la « famille Ricoré » : la nappe vichy autour de laquelle tout le monde se presse en riant, c’est vrai, c’est si charmant. Sauf que, si l’on est honnête, on peut bien l’admettre : dans la réalité, le repas familial est plus souvent l’occasion de « se bouffer le nez » qu’un pur moment de félicité. « La question soulevée par le cliché de la tablée collective, c’est donc bien sûr celle de la norme, commente la psychanaly­ste et psychologu­e Catherine Grangeard. Or, parce que celle-ci s’occupe du général sans s’attacher aux cas particulie­rs, nous devrions toujours l’interroger : est-elle vraiment adaptée à mon histoire, à mon foyer ? » Et, dans certains cas, la réponse ne fait pas un pli : l’injonction à manger ensemble n’est pas du tout fondée. « Parce qu’elle néglige toute singularit­é, je dirais même qu’elle est largement critiquabl­e, reprend la spécialist­e des troubles de l’alimentati­on. Combien de patients m’ont ainsi confié à quel point ces rendezvous avaient fini par les “gaver”… » Telle cette épouse au petit appétit qui ne supportait plus les remarques désobligea­ntes de son mari. Ou cet ado qui redoutait toujours que s’expriment, à table, les conflits latents qui minaient ses parents… « À eux, comme à tous ceux qui ne s’y retrouvent pas, je dis “halte !”. Plutôt que de céder à la pression de mauvaise grâce, négociez donc, de temps en temps, le droit de vous échapper pour mieux vous préserver ! » propose Catherine Grangeard. Car, qu’on se le dise : manger en groupe n’est aucunement indispensa­ble. Ce préjugé se révèle même souvent fragilisan­t, quand il faudrait au contraire trouver la force de se questionne­r : pourquoi ces moments sont-ils si compliqués pour moi ? Qu’est-ce que cela dit de nous ? Mais pour oser, encore faut-il cesser de voir le repas commun comme une solution miracle pour resserrer les liens. D’où ce conseil de la psychanaly­ste : « À l’heure de vous nourrir, redonnez de la valeur à votre liberté en regardant ce que vous mettez dans votre assiette, plutôt que de juger l’endroit où vous la posez. » Car, bien plus que dans le collectif, l’essentiel est là : bien manger, n’est-ce pas d’abord se respecter ? 1. Source : enquête Insee « Le temps de l’alimentati­on en France », 2012. Catherine Grangeard, spécialisé­e dans les troubles de l’alimentati­on, est l’auteure notamment de Comprendre l’obésité (Albin Michel). Son site : catherineg­rangeard.blogspot.fr.

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