Psychologies (France)

Mama lumière

Yahne Le Toumelin n’est pas seulement “la mère de Matthieu Ricard”. Avant d’être nonne bouddhiste, elle a été une jeune femme libre et singulière, une peintre en quête de lumière, une amoureuse éblouie… Rencontre hors du temps avec une extraordin­aire étin

- Par Valérie Péronnet

Pour arriver jusqu’à elle, c’est tout un voyage ; elle vit depuis longtemps quelque part en Dordogne, au coeur de la forêt, dans les arbres, même : sa modeste maison en bois, cachée au bout d’un chemin improbable, est posée au bord d’une pente très raide sur laquelle s’accrochent des arbres courageux, de sorte que, depuis la grande baie vitrée de la pièce unique, on est dans la canopée. Au milieu des bois, mais en pleine lumière. Pas sûr que ça ait, au bout du compte, une réelle importance : le soleil, c’est elle.

Un sourire incandesce­nt et des yeux qui crépitent. Elle est là, dans ses habits rouges de nonne, ses jolies vieilles mains posées sur ses genoux,

et m’accueille d’un « Je suis prête à revoir la mama lumière », suivi d’un rire enfantin. Je la crois immédiatem­ent, sans oser lui dire que je ne sais pas qui est la mama lumière, mais qu’elle lui ressemble sûrement. En quelques minutes, j’ai compris : je range mon plan et mes questions, et je la laisse m’embarquer avec elle, dans sa vie. Je trierai plus tard. Ou pas.

« Un jour, mon père a dit : “Elle est jolie mais elle ne parle pas. J’ai peur qu’elle soit idiote.” Ça ne m’intéres- sait pas de parler. Je préférais lire. Ça a été ma première liberté. » C’était dans les années 1930 – la dame est née en 1923 – et, dans la bibliothèq­ue paternelle, elle pioche ce qui l’intéresse : la philosophi­e, la spirituali­té, l’ésotérisme. « J’étais un peu différente. Je ne m’en rendais pas compte, jusqu’au jour où, à l’école, l’aumônier nous a fait une leçon sur les anges, en expliquant qu’on ne les voyait pas. Mais je le voyais, moi, mon ange… » Au Croisic, où elle grandit, elle trouve une grotte-cachette, face à l’océan, dans laquelle elle passe des heures à réfléchir. « J’étais tellement innocente ! J’entrais en nirvana, tranquillo­u… » Elle peint, aussi. Beaucoup, pour le plus grand plaisir de son père. « À 12 ans, je copiais Vélasquez, je savais que c’était la meilleure façon de le comprendre. Ma mère était fâchée parce que je ne faisais pas le ménage. »

En 1942, elle découvre le peintre allemand Paul Klee. Elle a 19 ans. « Grâce à lui, j’ai perdu les formes mais j’ai trouvé la lumière.

Ma vision de la peinture a éclaté. » À l’image du monde, que la guerre fait éclater autour d’elle. À cette époque, elle rencontre à Paris l’étrange et sulfureux Georges Gurdjieff, maître spirituel de l’intelligen­tsia parisienne. « Il m’a guidée vers la connaissan­ce de l’esprit, c’est ce que je cherchais. » Dans la foulée, elle est un peu speakerine et journalist­e. C’est comme ça qu’elle interviewe sur l’existentia­lisme le jeune Jean-François Ricard, dit Revel, à l’époque étudiant à Normale sup. « Il est tombé amoureux. Il avait l’intelligen­ce, le coeur, et nous avions des affinités de polarité. Je suis tombée enceinte, alors je lui ai demandé sa main. » Le bébé s’appelle Matthieu. Jean-François devient professeur ; ils

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