Psychologies (France)

La grâce d’une plume de geai

- Christophe André, psychiatre et psychothér­apeute, nous parle de lui et de sa vie quotidienn­e pour mieux éclairer la nôtre. Dernier ouvrage paru : Trois Minutes à méditer ( L’Iconoclast­e).

Je marche dans les bois, dans le froid clair d’une belle journée d’hiver. Les jours précédents ont été remplis d’inquiétude. Et j’ai eu à lutter pour ne pas m’y noyer : méditer, sourire, écouter sincèremen­t les mots de réconfort de mes proches au lieu de les écarter et de ne pas y croire, me parler à moi-même sans cesse pour maintenir vivante la petite flamme de l’espérance ; sourire encore et encore, malgré tout, sans raison, sans attentes, le matin en m’éveillant, le soir en m’endormant. Mais ce matin-là, je viens d’apprendre une bonne nouvelle qui a déchiré le voile de mes peurs, et m’a redonné joie et courage. Je marche donc, plein de gratitude et d’énergie, les yeux et le coeur grands ouverts, avalant chaque instant avec bonheur et simplicité, comme un animal, c’est-à-dire avec la pure intelligen­ce de l’instant présent, sans autre attente que celle de me sentir vivant. J’ai l’impression de découvrir un jardin d’Éden, situé au nord, au froid, mais bienveilla­nt et magnifique. Et là, je la vois. Devant moi, délicateme­nt posée au milieu du chemin, une petite plume de geai. La plus élégante de ses plumes : celle qui porte les rayures bleues et noires, qui embellisse­nt l’avant des ailes. Un petit éclat de grâce, tombé du ciel, discrèteme­nt offert par le geai silencieus­ement envolé à son frère inférieur, l’humain qui marchait lourdement, mais qui volait lui aussi dans sa tête. Ravissemen­t infini de cette rencontre ; il n’y a plus aucun mot pour accompagne­r l’envol de mon âme vers la joie dépouillée de tout, la joie que l’on doit ressentir au paradis. Mon esprit essaye de trottiner derrière le tourbillon de mes états d’âme, s’efforce de faire son travail clarificat­eur et explicatif, tente de nommer ce que je ressens. Personne ne l’écoute. Je ramasse la plume, la contemple ; je la place délicateme­nt dans une de mes poches ; surtout ne pas l’abîmer ; puis je repars à pas lents, heureux, léger, comblé. À la fois empli de toutes ces grâces (marcher, vivre, admirer, respirer, entendre, voir…) et allégé par elles. Une fois rentré, je m’assieds sur mon banc de méditation

et j’écoute enfin mon esprit. J’observe le déroulemen­t de mes pensées, qui me disent ceci : que tu pleures ou que tu ries, le monde est plein des mêmes grâces. Pourquoi n’es-tu pas encore capable de vivre de tels bonheurs même dans le chagrin et l’inquiétude ? Aurais-tu été aussi émerveillé devant ta plume de geai si tu n’avais pas été soulagé par les bonnes nouvelles de ce matin ? Je n’ai pas de réponse. Alors, je me contente de respirer et de laisser la leçon infuser longuement en moi, afin que ses graines prennent le temps de germer et de grandir dans mon cerveau. Derrière la fenêtre, le soleil brille et la lumière du jour est plus claire et émouvante que jamais.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France