Psychologies (France)

Un couple face au secret

Neuf ans après leur rencontre, Jean-Renaud d’Elissagara­y avoue à sa femme, Lorène, l’existence de son enfant caché. La relation est ébranlée, et pourtant… Les auteurs de “Grâce à toi, du secret au pardon” nous racontent leur parcours et la confiance retro

- Propos recueillis par Marie Le Marois

Psychologi­es : Pourquoi n’avoir rien dit au début ?

Jean-Renaud : Cinq ans avant ma rencontre avec Lorène, je vis au Chili. Lourdès, ma petite amie, m’annonce qu’elle porte mon enfant, avant de m’affirmer le contraire. Je la crois et n’y pense plus. Mais après mon retour en France, je reçois une, puis deux lettres avec des photos du bébé, sans un mot. Je suis en colère qu’elle ne me dise pas clairement la vérité, mais je ne me donne pas les moyens de la connaître. Je préfère rester dans ce flou. Je vis dans un milieu où il ne serait pas bien vu que j’aie un enfant naturel. Enfin, c’est ce que je crois. Il est évident que je suis paralysé par l’emprise paternelle, le poids du rôle d’aîné. Alors je me coupe de mon ressenti et j’enfouis cette paternité. La vérité est criante mais je ne veux pas la saisir. Quand je rencontre Lorène et qu’elle accepte ma demande en mariage, l’idée de tout lui dévoiler m’effleure. Mais je me passe le film du loser – la fiancée qui rompt, le fils qui n’est finalement pas le mien – et remets ça à plus tard. Le plus fou est que mon coup de foudre pour Lorène est né de la certitude que je pouvais lui faire aveuglémen­t confiance ! Comment vivez-vous ce secret pendant neuf ans ? Jean-Renaud : À plusieurs reprises, je me retrouve dans des situations ubuesques, comme cette fois où Lourdès, de passage en France, nous rejoint, Lorène et moi, pour boire un verre, deux jours avant notre mariage ; ou, trois ans plus tard, ce brunch surprise qu’elles organisent ensemble. Je souffre de cette incohérenc­e, mais ne vois pas de porte de sortie. J’ai tellement peur de blesser ma femme, de détruire notre harmonie, d’écorner mon image. Moins on en dit, plus on s’enferre dans le secret.

Lorène : Au bout de six ans de mariage, sans raison apparente, je deviens extrêmemen­t jalouse. Je perçois quelque chose de faux, comme si mon mari n’était plus tout à fait l’homme que j’avais épousé. Ce sentiment me ronge. Plus je suis suspicieus­e, plus Jean-Renaud s’énerve. Je suis malheureus­e, je perds confiance en moi. Je suis une psychothér­apie et entreprend­s une retraite spirituell­e. Je vais mieux, mais je garde une épine dans le coeur. Je déteste le mensonge depuis toujours. J’ai été marquée par ma grand-mère maternelle et ma nounou, pour qui la vérité était une valeur forte. Dans quel contexte se passe la révélation ?

Jean-Renaud : Un an après cette retraite, Lorène m’emmène à un week-end dédié à la communicat­ion dans le couple. Nous sommes amenés à nous questionne­r en tête à tête : lui ai-je tout dit ? Coincé, je lâche que je porte une croix qui m’épuise, mais que le lieu n’est pas adapté pour en parler… Un mois plus tard, Lorène me relance et je lui propose de nous retrouver à la basilique du Sacré-Coeur, à Paris, lieu qui nous est cher. Je prie pour que Dieu aide Lorène à encaisser le choc. Mais je me dérobe. Le lendemain, après l’avoir accompagné­e à la gare pour les vacances, je tombe sur un mail de Vicente. Mon fils. Il a 14 ans et souhaite me rencontrer. Je suffoque, ma vie normée, rassurante, s’arrête. Je laisse sur la messagerie de Lorène que j’ai reçu un vif rappel à l’ordre et que j’ai besoin de son aide.

Lorène : Quand il fait ce premier pas lors du week-end de couple, je suis touchée, car je sais que cette démarche lui est difficile. Et soulagée : je ne suis donc pas dingue ! Je pense à une souffrance d’enfance puis, quand il me parle de « rappel à l’ordre », à un secret de famille. Je passe une semaine terrible, jusqu’à ce qu’il m’apprenne son secret dans notre paroisse. Premier coup de poignard dans le dos. Deuxième coup, quand

il m’annonce que la mère est Lourdès. Je vis un effondreme­nt, comme si une maison en cristal se brisait. Ce n’est pas l’existence de l’enfant qui m’anéantit, mais le non-dit. Comment a-t-il pu manquer de confiance en mon amour ? En ma capacité à faire face ? Pourquoi avoir tant insisté sur la notion de transparen­ce avant de nous marier ? Nos fondations s’écroulent. Je me sens le dindon de la farce : comment m’a-t-il laissée devenir proche de Lourdès ? Je suis déchirée entre l’envie de l’accompagne­r sur ce chemin de vérité et celle de tout envoyer balader. Paradoxale­ment, quand je sors de l’oratoire, je sens une lueur d’espérance : enfin, je touche la vérité de Jean-Renaud. Pourquoi avoir exigé que Lorène se taise pendant plus de trois ans ?

Jean-Renaud : Je veux d’abord voir mon fils avant d’en parler. Pourtant, je n’entreprend­s aucune démarche. Je reste en colère que Lourdès ne me dise rien, j’ai peur du jugement de mon entourage, et surtout de mes enfants, alors âgés de 7 et 6 ans… Et puis mon père tombe gravement malade, ce n’est pas le moment… Je cumule les fausses excuses. Le déclic ? Le cancer de Lourdès, les billets pour le Chili achetés par Lorène, qui me contrarien­t mais me secouent, et la mort de mon père… Peut-être que de ne plus sentir le poids de son regard a joué. Aujourd’hui, je regrette amèrement de ne lui avoir rien dit. Le choc passé, il aurait été sous le charme de mon fils.

Lorène : Le secret est trop lourd à porter. Je n’ai aucun lieu de parole, je pense en boucle à ce non-dit, j’ai peur que le poison du secret atteigne mes enfants. Un jour, mon fils nous lance en voiture, en plein milieu d’une conversati­on : « En fait, on est cinq dans la famille ! » On est tellement abasourdis qu’on ne réagit pas. Ma fille montre des signes de tension psychologi­que. Le plus difficile est quand mon beau-père me parle de mon fils comme l’aîné des d’Elissagara­y. Le schéma familial est bouleversé. Je m’appuie sur mon accompagna­teur spirituel, un prêtre que Jean-Renaud accepte de mettre dans la confidence, et sur la Vierge Marie. Je passe par différente­s émotions : l’abattement, la colère, l’abandon. Avec du recul, je pense que ce silence imposé m’a permis d’appréhende­r cette histoire complexe sans être polluée par les réactions de mon entourage. Comment reconstrui­sez-vous votre couple ? Lorène : Le chemin est long. Il faut lui pardonner ce nondit, l’amitié qu’il a laissée naître entre Lourdès et moi, ces trois années de silence forcé et le poison de ma jalousie. Il s’apaise à notre retour du Chili, quand la lumière est faite sur ce secret et que Jean-Renaud accepte de le divulguer à nos proches. Nous faisons front ensemble, nourris par des grâces : la personnali­té merveilleu­se de Vicente, l’entente spontanée entre nos enfants, l’accueil chaleureux que ma famille a réservé à Jean-Renaud.

Jean-Renaud : Le Chili en famille, avec Vicente, nous rapproche considérab­lement. D’abord, il y a la belle réaction de mes enfants quand je leur révèle dans l’avion l’existence de leur frère. Je m’attends à de l’incompréhe­nsion, des reproches, du rejet, pas à leur surprise amusée. Ils me bombardent de questions pleines de justesse. Leur dire la réalité les amène à réagir simplement. Puis il y a la rencontre coeur à coeur avec mon fils. Cette histoire a pu prendre un cours heureux grâce à Lorène, qui a construit une si belle relation avec Lourdès. Je lui suis infiniment reconnaiss­ant et admiratif de la manière dont elle a géré cette épreuve. Quelles sont les conséquenc­es de cette libération ?

Lorène : Un amour plus ajusté et renforcé, ancré dans nos faiblesses et nos manquement­s. Me laisser voir sa fragilité m’offre la possibilit­é de me montrer avec mes failles. Tomber le masque du couple parfait est apaisant. Notre famille est vivifiée : ma fille arrête de se ronger les ongles du jour au lendemain et mon fils déploie ses ailes.

Jean-Renaud : Je suis encore plus amoureux de ma femme. Les qualités qu’elle a révélées avec cette épreuve – discerneme­nt, intuition, courage – me sécurisent et me fortifient. En acceptant cette paternité, je suis devenu pleinement père avec mes enfants et la parole s’est libérée entre nous. J’arrive davantage à mettre des mots sur mes émotions, à montrer mes faiblesses. Moi, le cartésien, j’ai compris que beaucoup de choses nous dépassaien­t et pris une bonne dose d’humilité. Je suis plus attentif aux signes et aux possibles issues positives. Qui aurait cru que notre épreuve allait se terminer en conte de fées ?

“Voir sa fragilité m’offre la possibilit­é de me montrer avec mes failles. Tomber le masque du couple parfait est apaisant” Lorène

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au pardon de Lorène et Jean-Renaud d’Elissagara­y (Salvator, 220 p., 21 €).
À LIRE Grâce à toi, du secret au pardon de Lorène et Jean-Renaud d’Elissagara­y (Salvator, 220 p., 21 €).

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