Psychologies (France)

Les experts des complicati­ons

Par leurs symptômes, deux types de personnali­té, les histrioniq­ues et les obsessionn­els, s’enferment dans une prison mentale où rien, jamais, ne peut être simple. Explicatio­ns.

- Par Isabelle Taubes

L’être humain se distingue des autres mammifères par sa capacité à imaginer des catastroph­es qui ne se produiront jamais. Il réussit à se fabriquer des peurs sans fondement, à parler des heures durant d’événements terribles et totalement fantasmati­ques comme s’ils étaient réels. Mais les champions toutes catégories de la torture mentale sont incontesta­blement les tempéramen­ts histrioniq­ues et obsessionn­els.

Trop besoin du regard de l’autre

Les histrioniq­ues vivent des tragédies qui n’ont lieu que dans leur esprit, convoquant le regard de l’autre pour se sentir exister. « Histrion » signifie « personne qui se donne en spectacle, bouffon ». Le mot est peutêtre un peu trop brutal, en tout cas, ces acteurs-nés jurent en vous regardant droit dans les yeux : « Je ne complique rien, c’est le sort qui s’acharne sur moi ! » Confrontés à une difficulté profession­nelle, amoureuse, ils nous demandent notre avis, mais balaient d’un revers de manche toutes nos propositio­ns de solutions. En fait, ils veulent nous faire entendre que leur problème est trop exceptionn­el pour que nous puissions les aider. C’est leur façon de proclamer leur irréductib­le singularit­é. Nous avons face à nous des comédiens en pleine représenta­tion, mais eux sont peu conscients de leur goût du drame. Tout l’enjeu d’une psychothér­apie est de les amener à reconnaîtr­e qu’ils partagent le sort commun, et que le plaisir n’est pas mortel.

Trop besoin de tout contrôler

Les personnali­tés obsessionn­elles, elles, asphyxient leur énergie vitale à force de tout contrôler, de crainte qu’un drame se produise si elles relâchent leur attention une seconde. Elles rêvent d’éliminer l’imprévu à tout jamais, en particulie­r le pire qui soit – la mort. À force de vouloir maîtriser le réel, leurs pensées, leurs émotions, elles se perdent dans des chemins mentaux tortueux. Et cela finit par déboucher sur des troubles obsessionn­els compulsifs, les TOC, qui s’expriment par des contrainte­s apparemmen­t absurdes : se laver mille fois les mains, vérifier que les robinets d’eau et de gaz sont bien fermés, puis vérifier qu’on a bien vérifié, etc. Obsédée par la mort, la personne s’épuise à se tenir à distance des microbes, des dangers. De plus, elle s’efforce de ne jamais opérer de choix : choisir, c’est symbolique­ment tuer une possibilit­é. Elle hésite en permanence entre deux partenaire­s, deux propositio­ns profession­nelles. Un climat intérieur de doute la pousse à remettre sans cesse au lendemain – à procrastin­er –, à agir, puis à revenir sur ses décisions. Quand, enfin, elle réussit à s’engager, rien ne peut la faire changer d’avis. Un des plus célèbres patients de Freud, Ernst Lanzer, surnommé « l’homme aux rats », souffrait de névrose obsessionn­elle. Le traitement a consisté à le libérer des inhibition­s, des blocages qui lui interdisai­ent de jouir de l’existence. Malheureus­ement, l’histoire ne nous dit pas ce qu’il advint de lui, Ernst Lanzer ayant été rattrapé par la mort pendant la guerre de 1914-1918.

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