Les experts des complications
Par leurs symptômes, deux types de personnalité, les histrioniques et les obsessionnels, s’enferment dans une prison mentale où rien, jamais, ne peut être simple. Explications.
L’être humain se distingue des autres mammifères par sa capacité à imaginer des catastrophes qui ne se produiront jamais. Il réussit à se fabriquer des peurs sans fondement, à parler des heures durant d’événements terribles et totalement fantasmatiques comme s’ils étaient réels. Mais les champions toutes catégories de la torture mentale sont incontestablement les tempéraments histrioniques et obsessionnels.
Trop besoin du regard de l’autre
Les histrioniques vivent des tragédies qui n’ont lieu que dans leur esprit, convoquant le regard de l’autre pour se sentir exister. « Histrion » signifie « personne qui se donne en spectacle, bouffon ». Le mot est peutêtre un peu trop brutal, en tout cas, ces acteurs-nés jurent en vous regardant droit dans les yeux : « Je ne complique rien, c’est le sort qui s’acharne sur moi ! » Confrontés à une difficulté professionnelle, amoureuse, ils nous demandent notre avis, mais balaient d’un revers de manche toutes nos propositions de solutions. En fait, ils veulent nous faire entendre que leur problème est trop exceptionnel pour que nous puissions les aider. C’est leur façon de proclamer leur irréductible singularité. Nous avons face à nous des comédiens en pleine représentation, mais eux sont peu conscients de leur goût du drame. Tout l’enjeu d’une psychothérapie est de les amener à reconnaître qu’ils partagent le sort commun, et que le plaisir n’est pas mortel.
Trop besoin de tout contrôler
Les personnalités obsessionnelles, elles, asphyxient leur énergie vitale à force de tout contrôler, de crainte qu’un drame se produise si elles relâchent leur attention une seconde. Elles rêvent d’éliminer l’imprévu à tout jamais, en particulier le pire qui soit – la mort. À force de vouloir maîtriser le réel, leurs pensées, leurs émotions, elles se perdent dans des chemins mentaux tortueux. Et cela finit par déboucher sur des troubles obsessionnels compulsifs, les TOC, qui s’expriment par des contraintes apparemment absurdes : se laver mille fois les mains, vérifier que les robinets d’eau et de gaz sont bien fermés, puis vérifier qu’on a bien vérifié, etc. Obsédée par la mort, la personne s’épuise à se tenir à distance des microbes, des dangers. De plus, elle s’efforce de ne jamais opérer de choix : choisir, c’est symboliquement tuer une possibilité. Elle hésite en permanence entre deux partenaires, deux propositions professionnelles. Un climat intérieur de doute la pousse à remettre sans cesse au lendemain – à procrastiner –, à agir, puis à revenir sur ses décisions. Quand, enfin, elle réussit à s’engager, rien ne peut la faire changer d’avis. Un des plus célèbres patients de Freud, Ernst Lanzer, surnommé « l’homme aux rats », souffrait de névrose obsessionnelle. Le traitement a consisté à le libérer des inhibitions, des blocages qui lui interdisaient de jouir de l’existence. Malheureusement, l’histoire ne nous dit pas ce qu’il advint de lui, Ernst Lanzer ayant été rattrapé par la mort pendant la guerre de 1914-1918.