Que les forces de l’esprit soient avec lui
Un voeu pour notre jeune président
Les lecteurs de Psychologies savent que j’ai été la confidente spirituelle du président François Mitterrand1. Ce dernier m’avait dit que la responsabilité d’un chef d’État est si lourde, son pouvoir si grand dans le cadre de notre Constitution, qu’il formait le voeu que ses successeurs n’abusent pas de ce pouvoir. Et prennent le temps de penser, d’aller puiser au fond d’eux-mêmes les forces de l’esprit afin d’être guidés dans leur action. Vous imaginez bien l’émotion que j’ai eue en regardant sur mon petit écran de télévision, le soir du second tour de l’élection, la marche si mitterrandienne de notre jeune président, Emmanuel Macron, seul, dans la nuit, vers la pyramide du Louvre. Son pas lent, même très lent, presque méditatif. Son visage grave. Je n’ai pu retenir une sorte de prière : le voeu que les forces de l’esprit l’accompagnent !
Une pensée ouverte au paradoxe
J’ai été touchée par ce clin d’oeil au « bâtisseur » de la pyramide. Et j’ai mieux senti ce que les deux présidents avaient en commun : un même sens du symbole, sans doute une conscience aiguë du destin. Une profondeur d’esprit, une capacité d’aller chercher au fond de soi les forces qui portent, bref, une vie intérieure qui compense le tourbillon de l’action politique et permet de la mûrir. Mais ce qui me paraît le plus intéressant, c’est cette « pensée du paradoxe » que partagent les deux hommes. Cette méfiance commune du manichéisme. On sait que François Mitterrand, un être d’une complexité rare, plaidait pour la « coexistence des contraires », un concept dont nous parlions souvent et qui est le coeur de la théorie jungienne. Avoir le courage de tenir ensemble des choses contradictoires.
La responsabilité du fragile
Emmanuel Macron, lui, d’après ce que je lis, s’inspire du philosophe Paul Ricoeur. On sait que ce dernier se méfiait du « ou bien, ou bien », de « l’un ou l’autre ». Cette liberté d’esprit, cette éthique, qui consiste à ne pas être prisonnier du « ou » et à le remplacer par le « et », n’est pas facile à assumer. Car il faut à la fois avoir le sens du consensus et savoir décider, trancher. François Mitterrand lui-même avait dû faire des choix et disait dans un entretien que nous avions eu, et au cours duquel je l’encourageais à rassembler les Français – c’était l’expérience de la cohabitation en 1986 –, qu’il se méfiait « de l’oecuménisme naïf des Français ». Je souhaite donc de tout coeur à notre nouveau président de tenir cette ligne, si nouvelle, si pleine d’espoir. Je souhaite aussi à notre président philosophe de se souvenir de l’appel à la responsabilité du fragile et du vulnérable de Paul Ricoeur. Les malades, les personnes âgées ou vivant avec un handicap ne doivent pas être oubliés. Il ne faudrait pas que la volonté du progrès se fasse au détriment de ceux qui ont besoin d’être protégés.