Psychologies (France)

pas Non, toi !

- Christophe André, psychiatre et psychothér­apeute, nous parle de lui et de sa vie quotidienn­e pour mieux éclairer la nôtre. Dernier ouvrage paru : Sérénité, 25 histoires d’équilibre intérieur (Odile Jacob).

CCela se passe un été, à la montagne, dans une grande maison de famille. Beaucoup de cousins y sont réunis et randonnent régulièrem­ent, grandes ou petites balades. Cette semaine-là, un vieil oncle de 82 ans est venu passer quelques jours avec un de ses copains, sympathiqu­e et dynamique, mais 84 ans au compteur tout de même… Ils sont plutôt en forme, autonomes, s’intègrent très bien au groupe plus jeune, et se font leurs petites journées, partagées entre bons restaurant­s et visites culturelle­s dans le coin. Ils nous voient tous les jours partir pour nos promenades. L’oncle n’est pas un fou de sport et n’est guère intéressé par la marche. Mais au bout d’un moment, ça titille son copain. Un matin, alors que nous nous apprêtons à partir faire une balade de deux ou trois heures, il veut venir avec nous : sans nous en parler, il arrive au moment du départ de la promenade, chaussures de sport aux pieds. Et il nous explique qu’il a décidé de nous accompagne­r. Mais je l’ai vu marcher depuis quelques jours, et je pense qu’il va avoir du mal à suivre ; j’essaye de le lui expliquer et de le dissuader, car j’ai un peu peur qu’il ne chute et se blesse. Il n’a pas envie de m’écouter. Alors l’oncle le met lui aussi en garde Méfietoi d’eux, ce sont des montagnard­s, ils crapahuten­t partout, à toute allure ! » Je lui explique à nouveau que la randonnée que nous allons faire est en terrain pentu et accidenté, qu’il risque de tomber. Les cousins se joignent à moi. C’est un moment très embarrassa­nt. Au bout de quelques minutes, il renonce à nous accompagne­r. Mais on voit bien que c’est douloureux pour lui, et qu’à la déception et à la frustratio­n s’adjoignent d’autres états d’âme : nous venons de lui rappeler qu’il est trop vieux ; qu’il peut partager nos repas et nos conversati­ons, mais que nos activités sportives lui sont désormais, et pour toujours, interdites. C’est pour lui un de ces moments couperets où les humains prennent conscience de leur âge : la première fois où l’on nous dit « madame » ou « monsieur » ; la première fois où l’on nous laisse une place assise dans les transports en commun ; et la première fois où l’on s’aperçoit que l’on n’a plus sa place dans certaines activités sportives… C’est certaineme­nt un moment douloureux, j’en ai mal pour lui. Durant la balade, nous reparlons de l’épisode, tous un peu embarrassé­s. Nous nous demandons si nous n’aurions pas dû renoncer à notre programme, pour l’emmener en terrain plus facile et accessible. Mais d’un autre côté, nous étions une dizaine, tous prêts à partir et désireux de grimper haut. Nous n’avons pas renoncé à notre plaisir pour faire une place à un vieux monsieur et nous résoudre à une promenade adaptée au troisième âge. Nous avons eu tort…

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