Parents-profs : trouver la bonne alliance
Pour atténuer le malaise entre les familles et l’école, des initiatives de “coéducation” voient le jour. De nombreux professionnels ont remis en question leur pratique, changé de posture à l’égard des parents, et les aident à s’impliquer dans la scolarité
Selon un récent sondage, plus de neuf parents sur dix voudraient une autre école1. Au coeur de leur mécontentement, le sentiment que les réformes successives ne sont pas à la hauteur des enjeux. Beaucoup se plaignent d’une mauvaise communication avec les enseignants. « Je suis le plus souvent réduite à écouter leurs doléances, témoigne Sylvie. On a mis mes enfants dans la case “insatisfaisant”, sans jamais souligner ce qu’ils font bien, sans chercher à éveiller leur intérêt. » Côté enseignants, le malaise s’est accru aussi : 40,3 % des directeurs d’école estiment que les relations avec les familles se sont détériorées. Pire, près d’un sur deux affirme s’être fait agresser verbalement ou physiquement par un parent lors de l’année écoulée2. « Dans l’ensemble, les relations avec les parents sont plutôt agréables, nuance MarieHélène, enseignante de CE2. Mais quelques-uns se montrent suspicieux dès la réunion de rentrée. Leur mépris est difficile
Joséphine, maman de Léonard, en classe de CE1 “Je ne conteste jamais l’enseignant devant mon fils”
« J’ai une conception à l’ancienne du rapport au prof : pour moi, il est essentiel que mon fils le respecte. Même si je ne suis pas d’accord avec une de ses décisions, je ne le dis pas devant mon fils, je ne conteste jamais un devoir ni une punition. Je pars du principe que l’instit n’est pas Superman, qu’il n’est pas tenu à la perfection. S’il donne une poésie un peu cucul à mon goût, je ne lui dis pas, j’en propose d’autres à mon fils, à lire à la maison. À mon sens, le meilleur moment pour discuter avec les enseignants, c’est lors des sorties scolaires. Ils sont dans de bonnes dispositions car nous donnons aussi de notre temps. On apprend un tas de choses sur le fonctionnement de la classe, les programmes, le comportement de nos enfants. Ce qui facilite grandement les relations, c’est de dire aux profs, dès le début de l’année, qu’on leur fait confiance. On sent tout de suite un soulagement de leur côté. Du coup, quand je préviens que Léonard va rater trois jours d’école parce qu’on part à Berlin, ils me font confiance aussi car ils savent que je ne vais pas l’emmener à Disneyland, mais faire un voyage qui va lui apprendre d’autres choses. » à accepter quand on a le sentiment de tout donner pour les enfants. » « Ils se défoulent dans le cahier de liaison, abonde Juliette, professeure principale dans un collège rural. Soit parce qu’ils ne sont pas informés de nos méthodes, comme la pédagogie inversée (“Vous lui avez donné un exercice avant de faire la leçon ? C’est n’importe quoi !”), soit parce qu’ils contestent l’autorité de l’institution (“Votre punition ? Il ne la fera pas !”). Sous prétexte que l’école est gratuite, certains se comportent comme si les choix pédagogiques n’avaient aucune valeur. » Résultat : les problèmes de discipline explosent, et les élèves se désinvestissent.
Se recentrer sur la pédagogie
Comment comprendre cette défiance mutuelle ? « Les parents peuvent avoir un mauvais souvenir de leur scolarité et du mal à accorder leur confiance à l’institution, énumère Marion, enseignante de CM2. Il peut aussi y avoir un décalage entre ce que la famille attend de l’école (une bulle affective, un “formatage”) et ses missions réelles (émanciper les élèves par le savoir). En période de crise, certains entrent dans une logique de sauvetage de leur enfant, jusqu’à demander à choisir sa place dans la classe et à écarter les enfants agités. D’autres sont trop occupés à survivre pour pouvoir s’investir, ou trop pris par leur travail… » Plus largement, « le système scolaire s’est profondément transformé ces vingt-cinq dernières années, et les changements n’ont pas été expliqués aux parents, constate JeanLouis Auduc3, professeur agrégé, médiateur entre les familles et l’école. Ils ne se sentent pas accompagnés par l’institution. Souvent même, ils se sentent trahis ». D’autant plus, ajoute Frédéric Jésu4, pédopsychiatre, qu’« il existe une forte propension de l’école à renvoyer les familles vers la médecine en cas de difficultés d’apprentissage ou de comportement. Il y a urgence à se recentrer sur les questions scolaires et pédagogiques ».
Se concerter
L’école de Jules Ferry est née de la volonté de séparer les familles et l’institution, « les premières étant perçues comme le lieu des inégalités et de l’obscurantisme, la seconde comme celui de l’objectivité et de l’émancipation », rappelle Dominique Sénore5, pédagogue. Or, « de même que l’on ne peut pas soigner un enfant sans faire alliance avec sa famille, on ne peut pas l’aider à surmonter ses difficultés scolaires en tenant à l’écart ceux qui vivent avec lui », estime Frédéric Jésu. Le maître connaît l’élève, le parent connaît l’enfant, leurs savoirs respectifs doivent se conjuguer dans le même souci de l’aider à grandir. Depuis 2013 et la loi de refondation de l’école, l’Éducation nationale a décidé de promouvoir
Le maître connaît l’élève, le parent connaît l’enfant, leurs savoirs respectifs doivent se conjuguer
« le dialogue et la coopération entre tous les acteurs de la communauté éducative ». Dans la lignée de cette philosophie participative, dite de « coéducation », Frédéric Jésu accompagne des élus locaux dans la rédaction de leur « projet éducatif de territoire ». Il s’agit, indique-til, « d’organiser une concertation entre tous ceux qui peuvent apporter une contribution à l’éducation de l’enfant : parents, enseignants, animateurs du périscolaire, militants associatifs, agents des centres sociaux et culturels, mais aussi artistes ou artisans pour transmettre un savoir ». L’enfant lui-même doit pouvoir y participer. Et le pédopsychiatre de citer le pédagogue polonais Janusz Korczak : « Ce n’est pas parce qu’il est petit que son point de vue est petit. » Dans les écoles, la coéducation a inspiré de nombreuses réflexions sur ce qui permettrait d’atténuer les rivalités entre parents et profs, et les aider à cheminer main dans la main.
Faire preuve de respect
Catherine Hurtig-Delattre6 est directrice d’une maternelle à Lyon. « À nous, dit-elle, de changer nos postures d’enseignants : ne pas attendre que les parents s’impliquent pour leur tendre la main, réfléchir à l’usage que nous faisons du cahier de liaison, de l’affichage, des réunions, quand tous ne parlent pas français, ne sont pas disponibles au même moment, pas également motivés. À nous, surtout, de modifier notre regard : tous ne sont pas des “emmerdeurs” quand ils sont trop présents, ni des “démissionnaires” quand ils ne se montrent pas. » Il convient, estime-t-elle, d’opter pour une « asymétrie à parité d’estime » – une expression qu’elle emprunte à l’agence de lutte contre l’illettrisme : « D’un côté, un professionnel de l’éducation qui intervient ponctuellement dans la vie de l’enfant, de l’autre, un parent impliqué au quotidien dans une relation affective, chacun méritant considération et respect. » Cette parité d’estime doit, pour Dominique Sénore, se traduire dans l’accueil fait aux parents : « On ne les reçoit pas avec une fesse posée sur le bureau en les faisant asseoir à la place de leur enfant, une manière de les ramener à leur propre vécu scolaire. » Jean-Louis Auduc est partisan
Laurence, enseignante de CE1 “Les enseignants sont de moins en moins considérés”
« J’ai le souvenir, au début de ma carrière, il y a vingt ans, d’avoir été portée par le soutien des parents, m’en trouvant transcendée dans le travail que j’entreprenais avec mes élèves. Aujourd’hui, les enseignants sont beaucoup moins considérés. À l’occasion de la réforme des rythmes scolaires, la réflexion d’un parent élu m’a beaucoup affectée. Sans même se demander si les modalités choisies par la commune étaient bénéfiques pour son enfant, il avait soupçonné qu’il s’agissait surtout de permettre aux enseignants d’être libérés plus tôt – en réalité, nous faisions le choix de rester plus tard pour assurer l’étude. La détérioration des relations entre parents et enseignants est à replacer dans un contexte plus large : la dégradation du statut de fonctionnaire, réputé pas rentable et trop cher. Alors que le monde entier nous envie notre modèle social, les Français, de plus en plus, oublient la chance qu’ils ont de vivre dans un pays où l’État prend en charge la santé, l’éducation, les retraites… Pour améliorer les relations entre parents et enseignants, il faudrait redorer le blason de l’école. En lui restituant les moyens qu’on lui a supprimés ces dernières années. »
de « légitimer leur place dans la communauté éducative » en leur attribuant, comme cela a été fait avec son concours dans une école de Champigny-sur-Marne, une classe rebaptisée « espace parents » : un lieu pour se rencontrer avec ou sans les enseignants, à statut égal.
Bien expliquer les consignes
Pour aider les parents à accompagner la scolarité de l’enfant, « les enseignants ont un effort d’explicitation à faire par rapport aux consignes, assure Dominique Sénore. Qu’attend- on quand on dit : apprendre les leçons ? La savoir par coeur ? Pouvoir la raconter avec ses mots ? Préparer des questions concernant les points qu’on n’a pas compris ? » De leur côté, les parents n’ont pas à refaire la classe à la maison ni à faire les devoirs à la place de l’enfant pour lui éviter une mauvaise note. « Ils ont presque un rôle d’entraîneur, indique Jean-Louis Auduc. Ce n’est pas à l’école que l’enfant se réalise, mais il s’entraîne pour plus tard : il doit faire des tours de stade, des longueurs. Le parent est là pour soutenir sa persévérance. » Et cela peut passer par d’autres sphères que les devoirs, en luttant par exemple « contre la dictature de l’immédiateté imposée par les écrans, recommande-t-il. Différer les satisfactions, comprendre qu’il faut du temps au temps. Ainsi, rien de tel que le jardinage pour lui montrer qu’on ne tire pas sur les feuilles pour qu’elles poussent, mais qu’il faut patiemment arroser et soigner les plants ». Les activités quotidiennes sont autant d’occasions de lui montrer comment ce qu’il a appris en classe lui est utile dans la vie (calculer un trajet à vélo, des proportions de lait ou de farine, exprimer ses goûts avec des mots savoureux…).
Supprimer les notes
Dominique Sénore préconise aussi de supprimer les notes, « qui figent un résultat et ne donnent aucune solution d’amélioration ». Et de les remplacer par des appréciations personnalisées : comment l’enfant s’y prend, ce qui est compliqué pour lui, ce qui est à travailler avec l’aide des parents. Il salue l’initiative de Susanne, enseignante stagiaire dans le Beaujolais, qui a remplacé le carnet de notes par un cahier de réussites où elle consigne, avec l’élève, ses progressions du jour. Il n’a pas réussi un exercice de maths ? Qu’importe. « J’ai vu comme tu t’es concentré, tu as posé des questions pertinentes, c’était super ! », de quoi l’encourager et rassurer les parents. Avec ou sans notes, ceux- ci peuvent choisir de cesser de se focaliser sur le résultat pour aider leur enfant à donner du sens au savoir : « On peut adopter une posture d’ignorant en l’interrogeant sur sa journée, suggère Jean-Louis Auduc. Ah, vous avez étudié le triangle ? Explique-moi, je ne me souviens plus. Quand l’enfant redit ce qu’il a appris, le savoir s’imprime dans son esprit. »
Inviter les parents en classe
Dans sa maternelle lyonnaise, Catherine HurtigDelattre invite les parents à venir en classe célébrer l’anniversaire de leur enfant en choisissant une activité : c’est la journée de l’« enfant soleil ». Les uns apportent des photos, des films sur leur pays d’origine, les autres enseignent une danse ou font découvrir une spécialité culinaire. Le roi de la fête, à qui l’on confie un coussin en forme de soleil, est photographié avec ses parents, leur portrait est affiché dans la classe aux côtés des autres familles. Simples à mettre en oeuvre, ces événements sont une occasion précieuse de « mettre en valeur les cultures familiales, conçues comme porteuses d’un savoir aussi riche et important que celui de l’école, dit la directrice. Tous les enfants en profitent : ceux qui vivent dans la précarité, car leurs parents gagnent en dignité ; et les autres, qui accèdent à la diversité et à l’altérité ». Des parents mis à l’honneur, des élèves investis, des enseignants gratifiés, la coéducation bénéficie à tout le monde. « C’est toujours l’enfant qui est à l’origine de belles ententes. Sans lui nous ne nous serions pas rencontrés, savoure Marion, l’enseignante de CM2. Il a donc déjà un rôle social, c’est un objectif de l’école. » À nous, parents ou enseignants, de faire en sorte que ces premières
expériences se passent bien. 1. Étude BVA réalisée pour La Croix et l’Association de parents d’élèves de l’enseignement libre (Apel), 2017. 2. Enquête de Georges Fotinos, Observatoire international de la violence à l’école, 2014. 3. Jean-Louis Auduc, auteur de FamillesÉcole : construire une confiance réciproque (Canopé éditions). 4. Frédéric Jésu, auteur d’Agir pour la réussite de tous les enfants ( L’Atelier). 5. Dominique Sénore, auteur de Parents et profs d’école : de la défiance à l’alliance (Chronique sociale). 6. Catherine Hurtig-Delattre, auteure de La coéducation à l’école, c’est possible ! (Chronique sociale).