Le développement personnel peut-il remplacer une thérapie ?
Non, répond le psychanalyste Saverio Tomasella, car la finalité de ces deux approches diffère. Elles offrent en revanche des bénéfices complémentaires.
Apprendre à gérer ses émotions ou sa relation aux autres, déployer sa créativité ou découvrir ses ressources sont autant de thèmes centraux du développement personnel ( DP). On peut les travailler seul ou en groupe, via des livres ou des stages. « Il y a dans le DP, comme son nom l’indique, une idée de progression, de réalisation de soi basée sur le désir de s’améliorer et de mieux se connaître, détaille Saverio Tomasella. Cette attitude procède de la curiosité personnelle et n’est pas forcément motivée par une difficulté profonde ou par de la souffrance. » Selon le psychanalyste, les manuels et les stages de développement personnel peuvent constituer une étape vers la thérapie pour ceux qui hésitent à s’engager dans une démarche impliquante, « ils sont un premier pas vers le questionnement intérieur, la recherche d’explications et de solutions, mais ils ne sont pas suffisants pour opérer des remaniements psychiques profonds ». Saverio Tomasella pointe ainsi les limites et les risques de l’autodiagnostic propre au DP, qui confond souvent le symptôme et la cause : on peut, par exemple, passer du temps à apprendre à gérer sa colère – le symptôme donc – sans jamais travailler sur son origine. « Le thérapeute, lui, ne l’aborderait pas sous l’angle problème-solution. Il aiderait le patient à comprendre que son comportement est le fruit d’une histoire, d’une famille, que le problème “colère” n’est que la partie émergée de l’iceberg. Cette investigation lui permettrait de changer de regard sur son histoire et sur luimême, de changer de position, de devenir acteur de sa vie, d’agir au lieu de réagir. Avec un livre ou dans un stage, on peut être dans l’évitement, se raconter des histoires sur soi. C’est plus difficile dans la relation avec un thérapeute. » Pour autant, le psychanalyste est loin de nier les bienfaits du DP. « C’est une extraordinaire boîte à outils qui permet de garder un esprit de curiosité, d’ouverture, de créativité. Il est aussi facteur de prise de conscience et porteur de valeurs humaines fortes. » Lorsqu’ils sont effectués après une thérapie, poursuit-il, les stages sont aussi une belle opportunité de concrétiser, de mettre en acte des attitudes et des comportements nouveaux. « Dans les groupes, la force du partage est porteuse de transformation. Entendre des histoires différentes, s’exercer dans un cadre bienveillant et parfois ludique est enrichissant. Cela permet d’accepter l’altérité, d’être plus souple, plus fluide avec les autres. » Complémentaires mais pas rivaux, développement personnel et thérapie ne demandent qu’à unir leurs forces pour notre profit.
“Lorsque l’on est seul à se confronter à ses difficultés, c’est un peu comme d’ouvrir un tiroir et découvrir qu’il contient une mygale” Jean-Louis Monestès, psychologue
d’idées, en éclairant les zones d’ombre de leur histoire, en tentant d’interpréter leurs rêves et de décrypter leurs symptômes. Même si nombre de thérapies, aujourd’hui, intègrent des techniques corporelles comme la relaxation ou le massage, la parole y tient toujours une place prépondérante. Car c’est ainsi que le sujet se découvre, en se racontant, en nommant ses émotions, en essayant de donner du sens à ce qu’il vit. C’est ainsi, surtout, qu’il reconquiert sa liberté en exprimant sa singularité hors des carcans de son éducation ou de la bien-pensance, en faisant entendre sa voix. « On n’est pas dans une conversation entre amis, raconte Lara, 34 ans, mais bien dans un travail orienté vers un but. Je voulais comprendre pourquoi j’allais mal, défendre ma singularité contre ce (ceux) qui m’empêchai(en)t d’être moi-même, (re) découvrir mes désirs. J’ai beaucoup tâtonné, troqué un mot pour un autre jusqu’à trouver le bon, celui qui disait vraiment qui j’étais, ce que je voulais. » Richard, 41 ans, confie avoir parfois erré dans des monologues laborieux : « Ma psy me laissait beaucoup parler seul. Je me suis souvent senti abandonné. J’ai compris plus tard combien cette solitude était initiatique : je n’avais pas d’autre choix que de me confronter à moi-même, d’aller à la rencontre de l’enfant souffrant que j’avais été. J’étais aussi le seul autorisé à me redéfinir. »
L’IMPORTANCE DE LA RELATION
Mais cette introspection, cette reconquête de soi ne pourraient avoir lieu sans la présence d’un psy formé à l’écoute et au repérage des processus psychiques à l’oeuvre, de ce qui se dissimule sous des mécanismes de défense et des processus d’évitement. « Lorsque l’on est seul à se confronter à ses difficultés, c’est un peu comme d’ouvrir un tiroir et découvrir qu’il contient une mygale : on est tenté de le refermer prestement, décrit Jean-Louis Monestès, psychologue et formateur en thérapie d’acceptation et d’engagement (ACT). La relation est donc au centre de la guérison. » « Il faut quelqu’un pour entendre ce que vous refusez d’entendre de vous », affirmait Anne Dufourmantelle, pour « questionner la réserve de fatalité et de liberté » contenue dans vos propos, dans votre vision de vous-même. Quelqu’un, enseignait aussi le philosophe et psychanalyste François Roustang, pour aider à sortir de la plainte et réveiller le corps, le geste, les décisions qui désengluent. Et là encore, on n’y parvient pas seul ou alors en se faisant violence, en étouffant en soi une souffrance qui doit pouvoir se dire pour être dépassée. « J’ai longtemps cru que l’écriture pourrait suffire à mieux me connaître, raconte Marine, 44 ans. Mais elle entretenait surtout ma propension à m’isoler et à garder mes blessures secrètes. La relation thérapeutique offre l’expérience de pouvoir se confier à quelqu’un, se reposer sur un autre, découvrir un accueil sans jugement. On peut alors véritablement déposer son fardeau et commencer à s’aimer soi-même. »
UN CHEMIN VERS L’AUTHENTICITÉ
La thérapie est une course de fond. Elle requiert beaucoup de ténacité et d’endurance. « Il faut se regarder, s’interroger tout le temps, éprouver des chagrins, des douleurs qu’on avait choisi d’éviter », poursuit Marine. C’est un chemin, décrivait Anne Dufourmantelle, qui invite à « mettre à l’épreuve une certaine idée que l’on se faisait de soi », qui autorise à « entrer en non-conformité avec soi », à désobéir à ce que l’on croyait être, au nom d’une obéissance à son désir profond. Un chemin vers la liberté et l’authenticité sur lequel il s’agit, résumaitelle, de « se perdre pour se trouver ». À terme, « on n’est toujours pas parfait, pas définitivement guéri, pas parfaitement équilibré, atteste Marine. Mais on arrive enfin à s’assumer, à s’ouvrir aux autres, à faire des choix. Bref, à vivre sa vie ».