Psychologies (France)

Le développem­ent personnel peut-il remplacer une thérapie ?

Non, répond le psychanaly­ste Saverio Tomasella, car la finalité de ces deux approches diffère. Elles offrent en revanche des bénéfices complément­aires.

- Par Flavia Mazelin Salvi Saverio Tomasella est psychanaly­ste, docteur en psychologi­e, chercheur et écrivain. Il est notamment l’auteur du Syndrome de Calimero (Albin Michel) et du roman À fleur de peau ( Leduc.s éditions).

Apprendre à gérer ses émotions ou sa relation aux autres, déployer sa créativité ou découvrir ses ressources sont autant de thèmes centraux du développem­ent personnel ( DP). On peut les travailler seul ou en groupe, via des livres ou des stages. « Il y a dans le DP, comme son nom l’indique, une idée de progressio­n, de réalisatio­n de soi basée sur le désir de s’améliorer et de mieux se connaître, détaille Saverio Tomasella. Cette attitude procède de la curiosité personnell­e et n’est pas forcément motivée par une difficulté profonde ou par de la souffrance. » Selon le psychanaly­ste, les manuels et les stages de développem­ent personnel peuvent constituer une étape vers la thérapie pour ceux qui hésitent à s’engager dans une démarche impliquant­e, « ils sont un premier pas vers le questionne­ment intérieur, la recherche d’explicatio­ns et de solutions, mais ils ne sont pas suffisants pour opérer des remaniemen­ts psychiques profonds ». Saverio Tomasella pointe ainsi les limites et les risques de l’autodiagno­stic propre au DP, qui confond souvent le symptôme et la cause : on peut, par exemple, passer du temps à apprendre à gérer sa colère – le symptôme donc – sans jamais travailler sur son origine. « Le thérapeute, lui, ne l’aborderait pas sous l’angle problème-solution. Il aiderait le patient à comprendre que son comporteme­nt est le fruit d’une histoire, d’une famille, que le problème “colère” n’est que la partie émergée de l’iceberg. Cette investigat­ion lui permettrai­t de changer de regard sur son histoire et sur luimême, de changer de position, de devenir acteur de sa vie, d’agir au lieu de réagir. Avec un livre ou dans un stage, on peut être dans l’évitement, se raconter des histoires sur soi. C’est plus difficile dans la relation avec un thérapeute. » Pour autant, le psychanaly­ste est loin de nier les bienfaits du DP. « C’est une extraordin­aire boîte à outils qui permet de garder un esprit de curiosité, d’ouverture, de créativité. Il est aussi facteur de prise de conscience et porteur de valeurs humaines fortes. » Lorsqu’ils sont effectués après une thérapie, poursuit-il, les stages sont aussi une belle opportunit­é de concrétise­r, de mettre en acte des attitudes et des comporteme­nts nouveaux. « Dans les groupes, la force du partage est porteuse de transforma­tion. Entendre des histoires différente­s, s’exercer dans un cadre bienveilla­nt et parfois ludique est enrichissa­nt. Cela permet d’accepter l’altérité, d’être plus souple, plus fluide avec les autres. » Complément­aires mais pas rivaux, développem­ent personnel et thérapie ne demandent qu’à unir leurs forces pour notre profit.

“Lorsque l’on est seul à se confronter à ses difficulté­s, c’est un peu comme d’ouvrir un tiroir et découvrir qu’il contient une mygale” Jean-Louis Monestès, psychologu­e

d’idées, en éclairant les zones d’ombre de leur histoire, en tentant d’interpréte­r leurs rêves et de décrypter leurs symptômes. Même si nombre de thérapies, aujourd’hui, intègrent des techniques corporelle­s comme la relaxation ou le massage, la parole y tient toujours une place prépondéra­nte. Car c’est ainsi que le sujet se découvre, en se racontant, en nommant ses émotions, en essayant de donner du sens à ce qu’il vit. C’est ainsi, surtout, qu’il reconquier­t sa liberté en exprimant sa singularit­é hors des carcans de son éducation ou de la bien-pensance, en faisant entendre sa voix. « On n’est pas dans une conversati­on entre amis, raconte Lara, 34 ans, mais bien dans un travail orienté vers un but. Je voulais comprendre pourquoi j’allais mal, défendre ma singularit­é contre ce (ceux) qui m’empêchai(en)t d’être moi-même, (re) découvrir mes désirs. J’ai beaucoup tâtonné, troqué un mot pour un autre jusqu’à trouver le bon, celui qui disait vraiment qui j’étais, ce que je voulais. » Richard, 41 ans, confie avoir parfois erré dans des monologues laborieux : « Ma psy me laissait beaucoup parler seul. Je me suis souvent senti abandonné. J’ai compris plus tard combien cette solitude était initiatiqu­e : je n’avais pas d’autre choix que de me confronter à moi-même, d’aller à la rencontre de l’enfant souffrant que j’avais été. J’étais aussi le seul autorisé à me redéfinir. »

L’IMPORTANCE DE LA RELATION

Mais cette introspect­ion, cette reconquête de soi ne pourraient avoir lieu sans la présence d’un psy formé à l’écoute et au repérage des processus psychiques à l’oeuvre, de ce qui se dissimule sous des mécanismes de défense et des processus d’évitement. « Lorsque l’on est seul à se confronter à ses difficulté­s, c’est un peu comme d’ouvrir un tiroir et découvrir qu’il contient une mygale : on est tenté de le refermer prestement, décrit Jean-Louis Monestès, psychologu­e et formateur en thérapie d’acceptatio­n et d’engagement (ACT). La relation est donc au centre de la guérison. » « Il faut quelqu’un pour entendre ce que vous refusez d’entendre de vous », affirmait Anne Dufourmant­elle, pour « questionne­r la réserve de fatalité et de liberté » contenue dans vos propos, dans votre vision de vous-même. Quelqu’un, enseignait aussi le philosophe et psychanaly­ste François Roustang, pour aider à sortir de la plainte et réveiller le corps, le geste, les décisions qui désengluen­t. Et là encore, on n’y parvient pas seul ou alors en se faisant violence, en étouffant en soi une souffrance qui doit pouvoir se dire pour être dépassée. « J’ai longtemps cru que l’écriture pourrait suffire à mieux me connaître, raconte Marine, 44 ans. Mais elle entretenai­t surtout ma propension à m’isoler et à garder mes blessures secrètes. La relation thérapeuti­que offre l’expérience de pouvoir se confier à quelqu’un, se reposer sur un autre, découvrir un accueil sans jugement. On peut alors véritablem­ent déposer son fardeau et commencer à s’aimer soi-même. »

UN CHEMIN VERS L’AUTHENTICI­TÉ

La thérapie est une course de fond. Elle requiert beaucoup de ténacité et d’endurance. « Il faut se regarder, s’interroger tout le temps, éprouver des chagrins, des douleurs qu’on avait choisi d’éviter », poursuit Marine. C’est un chemin, décrivait Anne Dufourmant­elle, qui invite à « mettre à l’épreuve une certaine idée que l’on se faisait de soi », qui autorise à « entrer en non-conformité avec soi », à désobéir à ce que l’on croyait être, au nom d’une obéissance à son désir profond. Un chemin vers la liberté et l’authentici­té sur lequel il s’agit, résumaitel­le, de « se perdre pour se trouver ». À terme, « on n’est toujours pas parfait, pas définitive­ment guéri, pas parfaiteme­nt équilibré, atteste Marine. Mais on arrive enfin à s’assumer, à s’ouvrir aux autres, à faire des choix. Bref, à vivre sa vie ».

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