Psychologies (France)

“UN BON PSY, C’EST CELUI QUI SAIT ÉCOUTER, PAS CELUI QUI SAIT PARLER !”

“Aller voir quelqu’un”, nous sommes nombreux à y penser… Mais frapper à sa porte, c’est une autre affaire. Nous avons pourtant tout à gagner à nous lancer dans l’aventure, explique Robert Neuburger. À condition de ne pas se tromper de praticien.

- Propos recueillis par Christilla Pellé-Douël ROBERT NEUBURGER Psychiatre et psychanaly­ste, il est notamment l’auteur d’ « On arrête ?… on continue ? » Faire son bilan de couple (Payot), des Familles qui ont la tête à l’envers (Odile Jacob) et des Parole

Psychologi­es : Vous recevez chaque mois un lecteur ou une lectrice de Psychologi­es pour une « Première séance »… Comment les aidez-vous à évaluer s’ils ont besoin d’aller « voir quelqu’un », comme on dit ? R.N. : La meilleure indication, c’est lorsque l’on se pose des questions sur soi, sur ses relations avec les autres, qu’on a le sentiment de tourner en rond face à une situation qui semble insoluble. La condition de base, pour moi, c’est de penser que l’on est pour quelque chose dans ses propres difficulté­s, difficulté­s qui peuvent être de nature variable.

Par exemple ?

R. N. : Des souffrance­s psychiques reliées à des traumas anciens, qui viennent faire intrusion dans le présent, mais aussi des souffrance­s engendrées par des problèmes actuels, difficulté­s de couple, souffrance au travail, etc. Les circonstan­ces sont variées, mais les symptômes se ressemblen­t : sentiments dépressifs, mais pas seulement. Ce qui déclenche la demande, c’est souvent la rencontre avec un événement cristallis­ant la problémati­que, ça peut être un deuil, un divorce, un licencieme­nt, une maladie… Il n’est pas toujours simple de se décider à aller consulter… R.N. : Ça me semble normal d’être inquiet : ni le patient ni le thérapeute ne savent comment cela va se passer. Le processus peut être lent, tortueux. Entamer une thérapie, c’est partir à la rencontre de

soi-même et c’est souvent une découverte passionnan­te, surprenant­e, de choses que nous nous étions cachées, de faits que l’on avait oubliés et qui, pourtant, nous ont conduits dans la vie.

Comment analysez-vous cette réticence, cette peur d’y « aller » ?

R. N. : Je crois, d’après mon expérience, que les gens ont peur de se faire enfermer dans un diagnostic, d’être « pathologis­és ». Ils n’ont pas tort, car c’est une tendance actuelle très forte qui n’apporte rien et qui, au pire, aggrave la situation. Si vous êtes triste pour de bonnes raisons et que l’on vous dit que vous êtes « déprimé », en quoi cela peut-il vous avancer ?

Comment s’y prendre pour trouver « le bon » ?

R.N. : C’est devenu la bouteille à l’encre. Il y a une myriade de « thérapeute­s » qui pensent avoir trouvé une approche personnell­e ou être fondateurs d’une « école »… C’est très compliqué de faire un tri dans toutes ces « thérapies ». Si vous êtes névrosé – ce qui n’est pas une insulte : nous le sommes tous à des degrés divers –, vous serez probableme­nt tenté d’aller vers la pire personne pour vous aider, de même que vous aurez des choix amoureux problémati­ques… Parce que, justement, vous êtes névrosé et, donc, en proie à des répétition­s, des angoisses… Il vous faut donc plutôt demander conseil à ceux qui sont compétents en la matière et en qui vous avez confiance pour vous orienter.

Faut-il prendre des précaution­s ?

R.N. : Ah oui ! Se méfier des thérapeute­s interventi­onnistes. Un bon thérapeute, c’est celui qui sait écouter, pas celui qui sait parler. Ceux qui vous expliquent comment faire pour se sentir mieux, pour devenir autonome, sont en réalité ceux qui vont créer une dépendance vis-à-vis d’eux. C’est paradoxal, mais cela génère des liens interminab­les. À fuir ! Le bon psy intervient au bon moment pour stimuler votre processus de pensée, pas pour se substituer à vous.

Pensez-vous que ce soit une bonne idée de tenter une ou deux séances avant de se lancer ?

R.N. : Mais oui ! On ne perd rien à essayer ! Je dis « on » car le psy a son mot à dire. Il s’investit aussi. Il m’est arrivé de ressentir une profonde antipathie pour certaines personnes… Pendant des années, j’ai donné de mon temps, de ma pensée, de mon énergie, et ce n’est pas rien ! Depuis quarante ans, j’éprouve une constante curiosité, cela me passionne complèteme­nt. Mais je ne fais pas une affaire personnell­e du mieux- être de mes patients. Vouloir aider les gens à aller mieux, c’est une mauvaise raison d’être psy, car on ne fait que les rendre dépendants ! On ne peut que les aider à s’aider, c’est-à- dire à éveiller leur propre créativité de façon qu’ils puissent trouver en eux leurs propres solutions, que ce soit des individus ou des couples. Il faut conserver une distance pour être efficace.

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