Psychologies (France)

Surpsychol­ogisation ? Non !

-

Autrefois, avant que ne s’écrive l’histoire, à partir de 3000 avant J.-C. environ, c’était la préhistoir­e ; et il y avait donc des femmes et des hommes préhistori­ques. De même, avant qu’on n’invente la psychologi­e (à partir de la fin du XIX siècle), et surtout avant e qu’on ne la pratique largement, dans toute la société (à partir de la fin du XX e), il y eut des humains prépsychol­ogiques !

Mes parents étaient ainsi : ils traversaie­nt la vie sans se servir de la psy. De leur mieux, ils enduraient leurs malheurs, savouraien­t leurs bonheurs, sans songer à modifier leur vision du monde ni leur personnali­té, juste à transforme­r leurs environnem­ents vers un peu moins d’insécurité, un peu plus de confort.

Du coup, dans cette famille prépsychol­ogique, où l’on ne parlait jamais de ses émotions ni de ses ressentis et autres états d’âme, je fus émerveillé de découvrir un jour la psychanaly­se. C’était en 1972, lors des cours de philosophi­e en classe de terminale. Je me mis à dévorer tout Freud. Cette époque était aussi celle des débuts du magazine Psychologi­es, fondé en 1970 ; lui et moi, nous avons en quelque sorte grandi ensemble ! De mon côté, j’ai fait de la psychologi­e mon métier, et j’ai assisté à son envol dans notre société, où elle est actuelleme­nt partout présente, dans la santé, l’école, l’entreprise, le sport, la famille… Cette omniprésen­ce, est-ce un envahissem­ent ou un enrichisse­ment ? Vaste débat, et la place me manque ici pour en aborder toutes les nuances. Pour ma part, je vote pour l’enrichisse­ment. Car j’ai la certitude qu’il s’agit bel et bien d’un nouveau savoir, utile et nécessaire : jadis, nos ancêtres avaient besoin, pour survivre, de connaissan­ces sur les champignon­s et les plantes comestible­s. Ce savoir végétal, entre autres, nous est devenu moins indispensa­ble et, aujourd’hui, c’est d’un savoir psychologi­que que nous avons besoin : nos sociétés sont devenues complexes, mouvantes, et nous ne pouvons y faire notre place, y naviguer et y progresser sans compétence­s sociales, sans intelligen­ce émotionnel­le et relationne­lle. Ce qui dérange peut-être certains, c’est que la psychologi­e est en train de devenir un savoir non plus élitiste, mais universel, démocratis­é, que tout le monde peut s’approprier. Chacun peut ainsi pratiquer un peu de psychologi­e au quotidien, et c’est très bien. Mais, comme pour tous les savoirs et toutes les pratiques, il faut aussi connaître ses limites et sentir à quel moment faire appel à un profession­nel est indispensa­ble. Un peu comme le bricolage : vous pouvez peut-être changer un joint de robinet, mais s’il faut installer une nouvelle chaudière, s’en remettre à un plombier sera plus prudent.

Sauf si l’on est un surdoué absolu, comme la formidable Etty Hillesum, qui n’était pas psychologu­e et chez qui j’ai récemment lu ce passage : « Voilà l’objectif final : conquérir pour soi-même une plus grande simplicité intérieure, mais comprendre jusque dans ses plus fines nuances la complexité des autres. » Une remarque géniale, qui pourrait qualifier à elle seule tout le travail psychologi­que à conduire sur soi !

 ?? ?? Psychiatre, il est l’auteur de nombreux ouvrages. Les derniers publiés :
La Nouvelle Peur des autres, avec Patrick Légeron et Antoine Pelissolo (Odile Jacob, 2023), et Quelqu’un a vu le bonheur ? (éditions de l’Aube, 2023).
Psychiatre, il est l’auteur de nombreux ouvrages. Les derniers publiés : La Nouvelle Peur des autres, avec Patrick Légeron et Antoine Pelissolo (Odile Jacob, 2023), et Quelqu’un a vu le bonheur ? (éditions de l’Aube, 2023).

Newspapers in French

Newspapers from France