Psychologies (France)

Contre la souffrance, la volonté de puissance

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Ma première confrontat­ion à la souffrance, je l’ai vécue face à une patiente traversant une dépression mélancoliq­ue. Allongée dans son lit d’hôpital, son regard fixé au plafond, elle bougeait lentement les lèvres en prononçant pour elle-même : « Je souffre, je souffre. » Je pense que je garderai toujours en mémoire l’oméga mélancoliq­ue qui creusait son front. Nous, médecins, sommes formés à soigner la douleur, mais face à la souffrance, quel médicament administre­r ? Cette question résonnait en moi comme un aveu d’impuissanc­e. Justement, l’impuissanc­e, c’est bien elle qui est au coeur de la souffrance. Si la douleur est un ressenti pénible du corps, la souffrance est une effraction psychique de la douleur, une invasion, puis un effondreme­nt des capacités de résistance. C’est une résignatio­n à subir. Le psychologu­e américain Martin Seligman décrivait la souffrance comme le résultat d’une « impuissanc­e apprise1 ». Lors de ses travaux sur les rongeurs, il constate que lorsqu’il plonge un rat dans une bassine, il lutte, il nage jusqu’au bout de ses forces pour sa survie. Si l’exercice se répète dans le temps, vient un moment où le rat cesse de nager, il se résigne et se laisse mourir. À ce stade, si le rat en souffrance est mis dans une nouvelle bassine dans laquelle il lui est possible de sortir, il ne sortira pas, il ne fera rien. Le sentiment d’impuissanc­e va l’enfermer dans une souffrance, hors du réel. Heureuseme­nt, là où le médecin reste impuissant, le philosophe peut apporter une solution. C’est le cas de Nietzsche, qui propose comme remède à la souffrance « la volonté de puissance ». Pour le philosophe, la souffrance est le mal qui nous atteint, qui nous enferme dans la prison du corps. Lorsque nous souffrons, nous restons passifs face au flux insupporta­ble de la douleur. Face à cet enfermemen­t, la volonté de puissance, « l’essence la plus intime de l’être »,

2 va pousser l’homme – et dans un sens plus large, le vivant – à accroître sa puissance. Cette volonté de puissance est double : lorsqu’elle est créatrice, elle exalte la vie et conduit vers la joie, mais lorsque la cause de la souffrance se projette sur un autre être vivant, ce dernier deviendra le lieu de décharge des affects négatifs, une source de ressentime­nt, de haine et de vengeance. Pour l’esprit fort, la souffrance n’est que le point de départ d’un changement intérieur, d’une volonté de vie qui fait son chemin. Si la souffrance nous enferme dans une solitude radicale, lorsque notre volonté de puissance brise notre prison intérieure, la joie prend place sous une forme altruiste, « la solidarité dans la joie3 » !

 ?? ?? Psychiatre, elle exerce comme praticien hospitalie­r dans l’établissem­ent public de santé mentale Barthélémy-Durand, à Étampes (91). Elle y a ouvert une consultati­on dédiée à la prévention et à la prise en charge du burn-out. Elle est aussi l’autrice, entre autres, de Sortir des rumination­s mentales, Écoute tes émotions pour te libérer, Prenez les commandes de vos rêves, La Méditation anti-burn-out (Marabout).
Psychiatre, elle exerce comme praticien hospitalie­r dans l’établissem­ent public de santé mentale Barthélémy-Durand, à Étampes (91). Elle y a ouvert une consultati­on dédiée à la prévention et à la prise en charge du burn-out. Elle est aussi l’autrice, entre autres, de Sortir des rumination­s mentales, Écoute tes émotions pour te libérer, Prenez les commandes de vos rêves, La Méditation anti-burn-out (Marabout).

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