8 HABITER SON CORPS, FRÉQUENTER LA NATURE

La joie est par essence l’émotion qui dit l’unité du corps, de l’esprit – de l’âme ? Épicure déjà, pionnier en sobriété, avait son jardin potager, souligne Ilaria Gaspari, qui insiste pour cultiver la joie sur l’importance de savoir cultiver son jardin : « La relation avec la nature, avec les plantes est très importante, explique-t-elle. Pour la relation au temps qu’elle induit, la patience, la manutention. C’est le moyen de se mettre au rythme des saisons et d’entrer en relation avec d’autres façons d’être vivant. »

Il y a toujours un printemps… La « joie », qui vient du latin gaudia (« plaisir des sens, volupté »), a une dimension profondément terrestre. Bien au-delà du plaisir. C’est celle que chante Albert Camus dans Noces (Gallimard, “Folio”, 1972). « Un livre qui est un véritable hymne à la joie, précise Laure Devillairs, à la joie d’être en vie et de pouvoir contempler la beauté du monde : une “vie à goût de pierre chaude, pleine de soupirs de la mer et des cigales qui commencent à chanter maintenant…” La joie des noces que propose Camus est de vivre à gorge déployée, et d’éprouver une forme d’orgueil à ça, car “il n’y a pas de honte à être heureux”. »

Il y a quelque chose d’organique dans la joie. C’est « l’absurde et indéfendable » joie « enivrante de vivre », comme la décrit Clément Rosset : « La joie presque miraculeuse d’exister. » Cette intime conviction par moments de ne faire qu’un, corps et âme, un avec les éléments, de « vibrer » de tout notre être à l’unisson avec le monde autour. Comme dans ce premier temps de nos vies, avant d’être séparés. Une ineffable sensation, comblante, d’alignement. Presque tout ferait sens alors, ou plutôt on est au-delà du (non) sens. Clément Rosset cite, en conclusion de La Force majeure, cet adage médiéval après lequel, de fait, il n’y a rien à ajouter :

« Je viens je ne sais d’où,

Je suis je ne sais qui,

Je meurs je ne sais quand,

Je vais je ne sais où,

Je m’étonne d’être aussi joyeux. »