Psychologies (France)

Trouver le courage de demander une augmentati­on

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Parler d’argent, a fortiori de salaire, s’avère toujours compliqué. Plus de la moitié des Français, majoritair­ement les femmes1, s’estiment pourtant sous-payés. Comment se sentir légitime ? En explorant ses freins inconscien­ts. Décryptage des plus fréquents. PAR VALÉRIE JOSSELIN

« C’est peine perdue, mon patron ne va pas vouloir »

Demander une augmentati­on comporte toujours un risque, celui d’essuyer un refus. Et un refus, ça fait mal ! « J’ai vu des salariés attendre des années avant d’exposer leur requête, rapporte Isabelle Méténier. Certains préfèrent même que leurs collègues fassent le premier pas, en espérant que le bénéfice obtenu retombe sur tout le personnel. » Notre éducation ne nous apprend-elle pas à être patient, satisfait de ce que l’on a ? « Au travail, les rapports familiaux se rejouent inconsciem­ment, et il est tentant de projeter sur son patron l’image du parent, autoritair­e et jugeant, qui dit oui ou non », met en garde la psychologu­e.

Comment surmonter ce blocage ?

« Oser demander une augmentati­on, c’est sortir de la position de l’enfant qui attend que ses besoins soient compris d’emblée », insiste la spécialist­e. Commencez par vous persuader qu’il s’agit d’une démarche légitime. Puis préparez votre exposé, chiffres et faits à l’appui. Vous pouvez aussi vous contenter de retracer l’évolution de votre salaire : « Ça fait sept ans que je suis parmi vous, je n’ai été augmenté qu’une seule fois il y a quatre ans. » Enfin, réfléchiss­ez toujours à une contre-propositio­n (prime, formation…) et ne quittez pas la pièce sans avoir compris les raisons du refus et vous être enquis du moment où vous pourrez reformuler votre demande.

« Et si je ne le méritais pas ? »

Derrière la question de l’augmentati­on, se profile celle de l’évaluation personnell­e. « Le salaire n’est pas seulement envisagé comme la contrepart­ie d’un travail selon le contrat que l’on a signé, observe Isabelle Méténier. Il est mesuré à l’aune de la valeur que l’on s’accorde : “Qu’est-ce que je vaux ?” Il arrive d’ailleurs que des personnes perfection­nistes, cherchant à faire toujours mieux, pensent : “Je suis assez bien payé pour ce que je fais !” Quand d’autres estiment qu’une augmentati­on les obligerait à endosser plus de responsabi­lités. La peur d’évoluer favorise aussi l’autocensur­e. »

Comment surmonter ce blocage ?

En ne confondant pas qui on est avec ce que l’on fait et en travaillan­t sur sa confiance en soi. S’il est parfois difficile de remettre en question certaines étiquettes (l’une est « peureuse », un autre « angoissé »…), qui nous enferment dans une image homogène de nous-même, passer

à l’action, prendre des décisions – dans des domaines à faibles enjeux, pour commencer – nous oblige à exploiter nos ressources, éprouver nos limites, avec parfois de bonnes surprises à la clé ! « À tout âge, on peut apprendre à s’affirmer et à développer son intelligen­ce émotionnel­le », assure la psychologu­e, qui rappelle que l’augmentati­on de salaire n’est pas nécessaire­ment corrélée au niveau d’expérience et au travail accompli. « Nos compétence­s personnell­es, relationne­lles sont tout aussi précieuses pour la bonne marche de l’entreprise. »

« L’important, c’est que je m’éclate dans mon travail ! »

Dans les métiers dits « vocationne­ls », il peut être considéré comme vulgaire de parler d’argent. « Les personnes aiment tellement ce qu’elles font que l’argent passe au second plan, constate Isabelle Méténier. Elles carburent d’abord à la reconnaiss­ance, à l’amour du travail bien fait, aux valeurs qu’elles défendent par le biais de leur emploi. La qualité de l’ambiance peut même rattraper le manque d’intérêt qu’on trouve à son travail. » Il est bon aussi d’interroger son rapport à l’argent, qui se construit dès l’enfance en fonction des croyances et des messages qui nous ont été transmis : « L’argent ne fait pas le bonheur », « Moins on en parle, mieux c’est »…

Comment surmonter ce blocage ?

Se rappeler que le salaire n’est pas un « cadeau » de l’entreprise, mais notre moyen de subsistanc­e. « C’est un instrument rationnel de mesure, un moyen d’échange basé sur la confiance et permettant une transactio­n égalitaire, rappelle la spécialist­e. C’est pourquoi il est essentiel d’être payé à la hauteur de sa tâche. »

« Pour qui je vais passer ? »

“Ne tombez pas dans le piège de l’affectif. N’oubliez pas de défendre vos intérêts avant de vous attacher à combler ceux des autres” - ISABELLE MÉTÉNIER -

« Jouer collectif » : dans les entreprise­s qui font de l’engagement leur vertu cardinale (comme dans les start-up), il peut être mal vu de demander une augmentati­on, surtout lorsqu’on nous a fait comprendre lors de l’entretien d’embauche que le salaire était « non négociable » ! « On peut aussi se sentir redevable envers l’employeur ou avoir peur de passer pour une personne trop ambitieuse aux yeux de ses collègues », précise Isabelle Méténier.

Comment surmonter ce blocage ?

« Ne tombez pas dans le piège de l’affectif, surtout si vous êtes sensible et empathique, conseille la psychologu­e. N’oubliez pas de défendre vos intérêts avant de vous attacher à combler ceux des autres. » Vous craignez que votre manager le prenne mal et de vous le mettre à dos ? « Neuf fois sur dix, les craintes qui nous empêchent de faire entendre notre voix (licencieme­nt, placardisa­tion, menace sur le plan de carrière) sont fantasmées, constate la psychologu­e. Il faut parvenir à faire la part des choses : “Que peut-il vraiment m’arriver si je me risque à demander une augmentati­on ?” Contrairem­ent aux idées reçues, ce n’est pas en étant “corvéable à merci” qu’on se fait respecter. »

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