Psychologies (France)

AIDER UN ADO À SURMONTER un chagrin d’amour

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Les ruptures à l’adolescenc­e sont loin d’être anodines. Et les parents sont parfois perdus. Comment accompagne­r son enfant lors de son premier chagrin d’amour ? Comment trouver la bonne distance et l’aider au mieux dans cette étape qui le fera grandir… encore un peu plus vite ? PAR ÉMILIE POYARD

"Lou faisait la tête depuis quelques jours, et quand je lui ai demandé si ça allait, elle a éclaté en sanglots. Elle m’a expliqué que son petit copain l’avait quittée. C’est dur de trouver les mots… Surtout que je ne savais même pas ce qu’elle vivait ! » Comme de nombreux parents, Estelle a tout d’abord pensé qu’il s’agissait d’une « amourette » et que ce n’était « pas très sérieux ». Et puis, elle a vu sa fille de 15 ans ne plus manger, ne plus dormir et se réfugier, encore plus que d’habitude, dans sa chambre.

NE PAS BANALISER

« Il faut vraiment prendre au sérieux les ruptures des adolescent­s, parce que leurs émotions sont très intenses et qu’ils idéalisent leur relation. C’est la première fois qu’ils expériment­ent l’amour puis la déception, et ils n’ont pas d’outils pour apprendre à gérer le stress et vivre la tristesse », explique la psychologu­e Delphine Py. Elle reçoit des ados dans son cabinet mais parle aussi santé mentale avec eux sur TikTok, Instagram1 et vient de publier un guide sur le sujet2 . « Les adolescent­s sont encore en plein développem­ent cognitif. Un chagrin d’amour intense va avoir un impact sur leur estime d’eux-mêmes et sur leur vision du monde. On sait aussi que, lors de cette période charnière, ils sont plus reliés à leurs pairs qu’à la famille. En perdant cette relation, ils peuvent aussi perdre des amis. » C’est ce qui est arrivé à Emma, la fille de Marie : « En quatrième, son petit copain l’a trompée avec sa meilleure amie : ça a été la double peine ! J’ai trouvé Emma en pleurs et je lui ai proposé de discuter. Elle a tout de suite lâché ce qu’elle avait sur le coeur : ça a été libérateur. »

IDENTIFIER LES SIGNES DE MAL-ÊTRE

Certains adolescent­s sont plus secrets que d’autres, et la communicat­ion peut parfois se révéler compliquée. Comment savoir alors ce qu’ils traversent ? Selon Delphine Py, des signes de mal-être peuvent alerter les parents, par exemple « si on constate un changement brutal dans le comporteme­nt de l’ado, s’il

se désintéres­se d’une activité qu’il adore, s’il devient agressif ou au contraire apathique, si ses notes à l’école baissent ou qu’il rate des cours ». Il faut également être attentif à son sommeil : dort-il à l’excès ou, à l’inverse, rencontre-t-il des problèmes d’insomnie ? Côté alimentair­e, y a-t-il une perte ou une prise de poids ? Est-ce qu’il se dévalorise quand il parle de lui ? « Il ne faut surtout pas le forcer à parler, mais on peut lui faire comprendre que l’on est disponible pour lui. » Par exemple, ne pas hésiter à lui dire : « On a l’impression que quelque chose ne va pas, nous sommes là si tu veux en discuter. »

ACCEPTER L’IDÉE QUE SON ENFANT SOIT TRISTE

Mais comment l’aider à aller mieux ? « Ce n’est pas un bisou ni un bout de sparadrap qui va réparer un coeur meurtri… Je n’ai toujours pas trouvé la formule magique », se désole Marie. « C’est vraiment difficile de voir son enfant souffrir. On peut être amené à vouloir trouver des solutions rapides, donc à minimiser ou nier ce qu’il vit, en lui disant que ce n’est pas grave et que ça va passer. L’adolescent ne se sent alors ni entendu, ni soutenu », alerte Delphine Py. On s’abstient donc d’émettre des jugements de valeur du type « Oh, ça va, ça faisait dix jours que tu étais avec lui/elle », ou « À ton âge, c’est pas vraiment de l’amour », ou « J’ai toujours su qu’il n’était pas fait pour toi ». La psychologu­e conseille également « d’éviter la positivité toxique, par exemple les formules toutes faites, comme “Un de perdu, dix de retrouvés” ». Il faut accepter l’idée que son enfant soit triste. « On peut l’aider à identifier puis à accueillir ses émotions, et lui rappeler que c’est normal de ressentir de l’injustice, de la colère ou de la tristesse. Cela va l’aider à faire le deuil de cette relation. »

CERNER SES BESOINS

Sans être constammen­t sur son dos, il est important de lui demander régulièrem­ent comment il se sent. « C’est un joli cadeau de lui montrer et de lui rappeler qu’on est là pour lui et qu’il peut compter sur nous. Et s’il n’arrive pas à nous en parler, on lui propose de discuter avec sa grande soeur, un oncle ou une tante… » Et puis, « il faut repérer de quoi il a besoin. Est-ce qu’il veut qu’on lui fiche la paix ou qu’on le divertisse ? » Ce sera alors le moment de lui proposer une balade, une sortie ciné ou d’aller voir un match, selon ses envies.

FAIRE APPEL À UN PROFESSION­NEL

Aller chez le psy… ou pas ? Une question que de nombreux parents se posent. « Il faut tenter de maintenir le dialogue, et si on sent que l’ado se mure vraiment, on peut dans un premier temps l’emmener chez le médecin traitant. » Celui-ci pourra si besoin l’orienter vers un psychologu­e. « Il n’y a pas

de consultati­on inutile : même si ce n’est pas aussi dramatique que les parents le pensent, leurs ados vont peut-être trouver un certain bénéfice à s’épancher dans un lieu neutre », rassure Emmanuelle Mercier, autrice de Mieux vivre l’adolescenc­e de son enfant3 . Cette infirmière diplômée en psychotrau­matologie reçoit des adolescent­s et leurs parents au centre médico-psychologi­que de l’hôpital d’Aurillac. « Il n’y a rien de plus cruel pour un parent que de se sentir impuissant. Si certains jeunes en détresse ne leur parlent pas, ce n’est pas parce qu’ils ne les aiment pas ou qu’ils ne leur font pas confiance, mais plutôt par pudeur et par peur de voir dans leur regard de la désapproba­tion ou de la panique. » Son conseil ? « J’encourage les parents à aborder la question de la relation amoureuse et à ne pas en faire un sujet tabou. L’adolescent comprend qu’il ne sera pas jugé, et cela lui permettra plus tard, s’il en ressent le besoin, de verbaliser cette rupture. »

METTRE DES MOTS SUR LES MAUX

Car, confrontés à un immense chagrin, certains peuvent être tentés de gérer leurs émotions à fleur de peau par des comporteme­nts à risque. Emmanuelle Mercier, qui est aussi formatrice en prévention suicide, rappelle que « le bouleverse­ment hormonal que les adolescent­s traversent, l’immédiatet­é de la vie – ils sont dans l’agir, le carpe diem et le “tout de suite et maintenant” –, les rendent plus vulnérable­s au risque de passage à l’acte. Quand la relation amoureuse s’arrête d’un coup, sans vraiment que le jeune ait bien compris pourquoi, qu’il se sent abandonné et esseulé, il peut, de manière totalement impulsive et irréfléchi­e, se mettre en danger ».

Julia en tremble encore. « Quand sa petite amie l’a quitté, mon fils de 15 ans a eu des idées noires et a pris des médicament­s. C’était un appel au secours, et heureuseme­nt, nous avons pu agir à temps. Mais j’ai beaucoup culpabilis­é : je n’ai rien su et rien vu de sa détresse. » Estelle s’est elle aussi longtemps sentie « impuissant­e ». « Il n’y avait que des pleurs, des cris et des portes claquées à la maison, je ne savais plus quoi faire. » Elle a alors décidé d’emmener Lou à la Maison des adolescent­s de sa ville, où elle a rencontré un psychologu­e. Une consultati­on pour mettre des mots sur ses maux. Aujourd’hui apaisée, la jeune fille a retrouvé sa joie de vivre. « Je me demande d’ailleurs si elle n’est pas amoureuse », grimace dans un sourire Estelle.

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