JE SUIS RADIN
Souvent moquée, l’avarice cache une profonde insécurité personnelle. Identifier ses blessures d’enfance et ses croyances irrationnelles peut aider à retrouver un rapport plus serein avec l’argent. PAR SÉGOLÈNE BARBÉ
Multimilliardaire, Ingvar Kamprad, le fondateur d’Ikea, décédé en 2018, vivait dans un modeste pavillon, conduisait une vieille Volvo et s’habillait aux puces « pour faire des économies ». Interrogé par les journalistes, il justifiait son côté « pingre » par sa région d’origine, une province pauvre du sud de la Suède où « un sou était un sou ». Souvent difficile à vivre pour l’entourage, l’aversion pour la dépense trouve-t-elle toujours ses racines dans l’enfance ? Que cache cette difficulté à sortir son porte-monnaie ?
J’AI CONNU LA PRIVATION
Si l’économe surveille autant son budget, c’est souvent dans un but précis : garder suffisamment d’argent pour ses loisirs, s’offrir un jour la voiture ou la maison de ses rêves. Le radin, lui, cherche juste à accumuler de l’argent qu’il ne compte pas spécialement dépenser. Ce besoin de thésauriser, comme l’Harpagon de Molière avec sa cassette, est parfois lié à un traumatisme du passé. Ceux qui ont connu dans l’enfance les privations ou la ruine soudaine des parents en garderont peut-être une insécurité qui les rendra particulièrement attentifs à leur compte en banque. « Un enfant élevé par des parents radins peut continuer à “faire attention” une fois adulte. Mais parfois, il prendra le contrepied de son éducation en devenant un “flambeur” », commente le psychanalyste et écrivain Patrick Avrane, auteur de Petite Psychanalyse de l’argent (PUF, 2018).
JE MANQUE DE CONFIANCE EN MOI
« Cela me rassure de ne pas trop dépenser car je vis dans la hantise de perdre mon travail », avoue Fanny, 41 ans. La pingrerie cache souvent une peur de l’avenir mais aussi un manque de confiance en soi. Pour certains, l’argent devient un rempart contre le manque, la perte ou l’abandon, une conjuration inconsciente de la mort. « Le radin croit assurer son futur en restant assis sur son argent, mais c’est contre-productif : il reste bloqué à un certain moment de son évolution en refusant d’investir dans une maison, sa retraite ou des projets nouveaux », analyse le psychologue cognitif et comportemental Cyril Malka.
J’ASSOIS MON POUVOIR SUR LES AUTRES
Le patriarche qui se montre généreux avec l’un de ses enfants mais radin avec l’autre, le mari qui reproche à sa femme de trop dépenser pour leur foyer et lui fait sentir qu’il gagne bien plus qu’elle… « Pour certaines personnalités narcissiques, l’avarice est aussi un moyen de contrôler ses proches », assure Cyril Malka. Le radin cherche souvent à se montrer plus malin que tout le monde, fier d’avoir réussi à acheter un produit au meilleur prix. Obsédé par l’idée de ne pas « se faire avoir », il devient parfois d’une méfiance pathologique dans ses rapports avec les autres. « L’argent a à voir avec le sentiment de puissance, le désir de dominer le monde, assure Patrick Avrane. Même s’il n’utilise pas son argent, l’avare se sent tout-puissant car il a le sentiment qu’il pourrait tout acheter. » Y compris l’amour des autres ?