Psychologies (France)

Ma vie après l’AVC, par Jacques Salomé

Alors qu’il publie son nouveau livre, “Un zeste d’éternité”, Jacques Salomé a accepté de se confier à “Psychologi­es”. Victime d’un grave accident vasculaire cérébral en 2014, le fondateur de la méthode Espere, grand spécialist­e de la communicat­ion, a perd

- Propos recueillis par Laurence Folléa et Patricia Salmon Tirard Photos Ed Alcock

Psychologi­es : Comment allez-vous aujourd’hui ? J. S. :

Je vis. Je me réjouis d’être à vos côtés. Merci pour cette invitation me permettant d’exprimer le bonheur inouï de ressentir à nouveau la vie palpitant en moi. Même si je traverse les épreuves de la maladie, qui m’a affaibli et m’a dépossédé de ce que j’avais de plus cher : les mots pour dire…

Qu’est-ce que cette épreuve a changé dans votre rapport à la vie, et à la mort ? J. S. :

Les émotions m’envahissen­t… Cela m’a renvoyé à ma propre difficulté à accepter ce qui m’arrive, à me recentrer sur l’homme que je suis devenu aujourd’hui. En février 2014, j’ai subi un très grave AVC avec une hémorragie qui m’a emporté pendant presque trois semaines vers un autre monde. J’ai senti la vie quitter mon corps. L’approche de la mort ne m’a pas effrayé, j’y étais un peu préparé. Mes enfants, ma famille étaient tous là, et j’ai reçu alors – j’ai l’impression que c’était la première fois – beaucoup, beaucoup d’amour. Et ces immenses preuves d’amour inconditio­nnel se sont répandues dans mon corps délaissé. C’était comme une force qui me ramenait à la vie.

Comment pensez-vous être revenu parmi nous ? J. S. :

Je suis resté des heures entières enfermé dans le silence, prisonnier de longs mois d’un corps hémiplégiq­ue, j’ai attendu longtemps, très longtemps, afin de recentrer mes forces, mes ressources intérieure­s, pour reconqué- rir lentement mon corps fatigué par cette rude épreuve. Les soins reçus en urgence, la présence attentionn­ée de l’équipe du petit hôpital de province dans lequel j’étais soigné, l’amour de mes proches et l’énergie bienveilla­nte envoyée par des gens du monde entier, tout cela m’a sauvé. J’éprouve une grande gratitude envers tous. J’ai refusé de poursuivre ma rééducatio­n dans le centre médicalisé, que je trouvais trop austère. J’ai préféré retourner dans ma maison, au calme, sous mes arbres et au soleil. Une décision téméraire, mais risquée du point de vue médical. « C’est ici », comme l’indique la plaque de mon portail, que je continue la rééducatio­n, à mon rythme et sous le regard bienveilla­nt de mon épouse, Valeria. Aujourd’hui, je me sens revivre : mon visage est capable

de sourire, mes mains peuvent toucher un livre, tenir un stylo, mes jambes soutiennen­t le poids mouvant de mon corps. Mais le chemin de l’expression reste encore à apprivoise­r… Je garde l’espoir, car la graine de vie reçue à ma naissance est toujours là, bien précieuse, et demande à être préservée.

Vous sentez-vous miraculé ? J. S. :

D’après les pronostics donnés par les médecins, oui, je me sens miraculé. Mon nouveau livre est aussi un miracle, qui me permet de me sentir encore relié à mes lecteurs. Ce sont des textes inédits, parfois embaumés par la poésie, dans lesquels je me délivre ou, plutôt, je délivre quelques chemins de vie qui m’ont fait grandir.

Cette maladie vous a-t-elle rappelé votre épreuve d’enfance : cinq ans plâtré de la tête aux pieds et le médecin qui vous condamne à ne plus jamais marcher ? J. S. :

Oui, après quelques semaines de rééducatio­n dans son établissem­ent avignonnai­s, le médecin chef de la clinique m’a délaissé, sans aucune explicatio­n et sans aucun espoir. Comme dans mon enfance. Cette épreuve violente

m’a rappelé de ne plus me laisser définir par des idées toutes faites concernant mes possibles. J’ai mobilisé mes propres ressources intérieure­s pour ne plus me faire soigner (soi-nier), avec l’espoir d’accéder au guérir ( gai-rire) grâce à la présence régulière d’un kinésithér­apeute et d’une orthophoni­ste. Le rapport que j’avais établi jusque-là avec le monde, avec moi-même et avec les autres étant profondéme­nt déstabilis­é, cela m’a aussi obligé à redéfinir mes liens et mes relations pour me consolider à nouveau. Surtout dans la relation avec moi-même.

Donnez-vous un sens à votre maladie ? J. S. :

Je pense que les maladies sont des langages symbolique­s, avec lesquels nous tentons de crier et, dans le même temps, de cacher l’insupporta­ble qui nous habite. Toute maladie est signifiant­e et porte en elle une potentiali­té de guérison affective ou spirituell­e. Elle devient le germe d’une naissance nouvelle. Actuelleme­nt, j’ai l’impression de cohabiter dans une entente physique et psychique avec mon corps, dans le sens où je suis attentif aux signaux qu’il m’envoie. Dans ce silence qui m’habite, j’écoute mon corps, j’observe mon esprit, le souffle de mes idées, et je pense à la vie, à ma vie, à ce que j’en fais, comment je la cultive au quotidien, comment je peux l’embellir et surtout la vivifier, pour laisser après moi plus de vie que je n’en ai reçu !

Comment ressentez-vous le regard des autres ? J. S. :

Il y a tellement de bienveilla­nce autour de moi que je me sens accueilli dans mes différence­s. Le plus difficile a été d’accepter ce qui m’arrive. Mais je vis paisibleme­nt avec moi-même, car tout est bien préservé dans mon esprit. Les mots sont là, attendant avec pudeur d’être exprimés, ne demandant qu’à sortir de moi, danser, rêver, se prolonger avec vous tous… Ce qui est douloureux, c’est quand ils deviennent incompréhe­nsibles pour l’autre au moment de l’expression, créant parfois un espace de doute, de souffrance, de perdition de beaucoup d’énergie, car nos mots ne font plus partie du même langage. Ce sont les gestes, les regards et quelques écrits ou dessins qui m’aident alors à me faire comprendre. C’est une épreuve terrible. La maladie m’a enlevé la parole et je n’arrive pas à dire à ceux que j’aime que je les aime… Ce qui me manque le plus, c’est de ne pas pouvoir les encourager, car c’est ce que je sais faire.

Que conseiller­iez-vous à des personnes traversant une telle épreuve ? J. S. :

Je les invite à rester fidèles à euxmêmes et à respecter leur être intérieur. Il appartient à chacun, malade, accompagna­teur ou proche, d’écouter ce qu’il ressent sur le moment et, donc, les langages utilisés par son corps. Notre corps est notre compagnon le plus fidèle. Il émet en permanence des signaux : joie, confiance, abandon ou ouverture, mais aussi peur, refus, retrait ou fuite. Ces messages permettent de mieux s’entendre soi, de s’interroger sur le sens profond de ses émotions, pour mieux se positionne­r face à cette question : « Comment accueillir ce qui m’arrive ? »

Utilisez-vous la méthode Espere, que vous avez créée et qui souligne la force du langage intraverba­l, pour vous faire comprendre ? J. S. :

Oui, cette autre façon de communique­r me permet de me relier à mon entourage. Dire par les vibrations de mon regard ; exprimer par la tendresse de mes gestes ; mettre en commun par la lumière de mon esprit. Et quel bonheur pour moi d’avoir du répondant et de me sentir entendu dans ce silence ! J’ai toujours ce rêve qu’un jour la communicat­ion pourra être enseignée à l’école comme une matière à part entière. Je rêve d’une école qui apprendrai­t l’importance des soins apportés à la personne, ces petits gestes, ces attentions, cette écoute dense (danse), tissée de silences, de regards, de respiratio­ns qui nous permettent de nous sentir accueillis et aimés.

“Toute maladie est signifiant­e et porte en elle une potentiali­té de guérison affective ou spirituell­e”

Valeria, votre épouse, est-elle votre voix ? J. S. :

En peu de temps, Valeria a appris à me connaître et à m’apprivoise­r. Aujourd’hui, grâce à elle, qui sait interpréte­r mes paroles muettes, je peux m’exprimer. C’est mon lien le plus précieux avec l’extérieur. Je me sens tellement enveloppé par l’amour. Ce sentiment qui nous a tous deux fait grandir nous aide à traverser ensemble cette lourde épreuve. Nous vivons une si belle complicité !

Et vos enfants ? Comment sont-ils présents ? J. S. :

Je suis un père comblé. Ils sont cinq et je me réjouis de les recevoir, parfois ensemble (vous imaginez la joie à notre table familiale !), parfois un par un, afin d’agrandir la présence unique et bienveilla­nte de chacun.

Quelles sont vos activités quotidienn­es ? J. S. :

La maladie m’a imposé un changement radical, mais je reste un éternel combattant, qui respecte son engagement pour la vie en soi. Mon esprit bourdonne encore d’une multitude d’idées, de projets qui m’aident à apercevoir la beauté de mon existence, à trouver une harmonie dans la façon de la vivre au quotidien. Téméraire, je continue ma rééducatio­n. Vivant dans le cadre magnifique des terres ocre de Provence, j’ai le privilège de m’accorder le temps de m’occuper de mes arbres, de les respirer, d’admirer leur grandeur flamboyant­e. Surtout à ce moment de l’année. Je cultive également un tout petit potager, et je suis le « récoltant content » (comme inscrit sur les étiquettes de bouteilles) de ma propre huile d’olive, réservée à la consommati­on personnell­e. Je suis aussi heureux de pouvoir échanger encore avec mes lecteurs. Je m’efforce de suivre régulièrem­ent notre correspond­ance, soit par courrier, soit par mail (c’est vrai que cela me demande beaucoup plus de temps pour répondre), Valeria étant à mes côtés. Ce qui me porte aussi, c’est de pouvoir aller encore à la rencontre de mon public aux salons du livre, à certains événements culturels ou encore lors de séminaires de formation à la méthode Espere que Valeria organise ( je suis émerveillé par ses capacités porteuses de vie et d’amour, et par sa disponibil­ité malgré ce temps qui lui est tellement compté !). J’ai aussi une grande reconnaiss­ance envers mes maisons d’édition, je remercie également les libraires et toutes les personnes qui me soutiennen­t dans cette démarche de rencontre. Et, bien sûr, chacun de mes fidèles lecteurs qui participe à consolider mon enthousias­me de vie.

Vous allez toujours à la rencontre de vos lecteurs, malgré l’épreuve ? J. S. :

Je suis émerveillé et comblé par la fidélité et la générosité de mon public, à qui je dois beaucoup. J’estime que j’ai encore des choses à dire… Et je les dis autrement, avec une présence pure. Cette rencontre unique avec chaque personne est un partage en réciprocit­é : j’accueille et j’offre, elle donne et elle reçoit. Il y a de l’écoute, de la bienveilla­nce, et surtout de la lumière d’âme. Mon ami Christian Bobin disait : « C’est la présence à l’autre qui est silencieus­ement agissante dans l’accompagne­ment. » Je me sens stimulé par ces échanges. La douceur de nos pensées qui se croisent, la caresse paisible d’un éclat de larmes, le cri assourdi pour faire taire les doutes. Il y a de quoi faire remonter le coeur, le mien, en surface.

Comment parvenez-vous à conserver votre beau sourire ? J. S. :

Je garde en moi la bonté vivante du moment présent, l’émerveille­ment que le jour puisse se lever, que la lumière soit là, avec sa chaleur généreuse et opulente. Je me laisse caresser par l’image de ces nouveaux projets qui me font plonger dans l’appétit de la vie avec toute sa pétillance. Je suis dans sa grâce. C’est la conquête d’une autre façon d’être, qui me confirme que je suis vivant et heureux de l’être. 1. Cet entretien a été réalisé par écrit grâce à Valeria Salomé, que Jacques Salomé remercie « pour sa patience et l’harmonie de ses mots facilitant la capacité de [s’]exprimer ».

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