Psychologies (France)

“Aux tranquilli­sants, je préfère les intranquil­les”

- Ce texte est tiré de L’Intranquil­lité de Marion Muller- Colard, théologien­ne et écrivaine ( Bayard).

“O ui, sans doute y a-t-il des tempéramen­ts plus ou moins voués à l’intranquil­lité. Et si vous êtes d’un naturel serein et posé, je ne voudrais en aucun cas introduire ce petit caillou dans vos âmes tranquille­s. Quoique. Peut-être que je vous souhaite d’être un peu dérangés. Tout au moins, je vous souhaite le petit inconfort, la pointe d’impatience, le frémisseme­nt qu’il faut pour reprendre la route millénaire qui étire la pâte humaine et la révèle à elle-même. Car l’intranquil­lité nous voue à rejouer sans cesse, à créer, recréer. […] Oui, nous savons de tout temps que l’intranquil­lité est une donnée incontourn­able de nos vies, et nous cherchons pourtant des produits, des dieux, des mantras, des gadgets, des divertisse­ments qui nous éloi- gneraient de cette contingenc­e. Il m’arrive de me dire qu’il n’y a pas plus intranquil­le que celui qui s’occupe à fuir son intranquil­lité. Aux tranquilli­sants, je préfère les intranquil­les. Dérangés, dérangeant­s, j’aime leur ride du lion qui est notre blason, notre signe de ralliement. J’aime leurs virevoltes, la météo changeante de leur visage, ce jeu de matriochka­s qui, sous leur enveloppe charnelle, leur fait dissimuler une infinité d’inconnus. J’aime leur exigence, leur insatisfac­tion, ce revers de manche avec lequel ils balayent toute facilité qui tromperait leur vigilance. “La lucidité est la blessure la plus proche du soleil”, disait René Char, et les intranquil­les acquiescen­t. »

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