Psychologies (France)

/ Entretien avec Philippe Brenot “Don Juan est complèteme­nt démodé”

Autrefois, on ne se sautait pas dessus après avoir tchatté pendant trois jours et bu deux cocktails. On prenait son temps, ce qui avait le don de faire monter le désir… Philippe Brenot aide ses patients à renouer avec les premières étapes de la rencontre

- Propos recueillis par Christilla Pellé-Douël

Psychologi­es : D’après vous, nous ne prenons plus le temps de nous désirer…

P.B. : Les étapes de la conquête amoureuse sont brûlées. Il y a cinquante ans, cela se passait progressiv­ement : à la première rencontre, il n’y avait pas ou peu de contact physique, et pas d’allusion directe. Les signaux étaient lancés à distance : le regard, les vêtements choisis, un parfum, une manière de se tenir. Puis, lors des rendez-vous suivants, venaient les phases de tendresse : se prendre par la main, caresser une joue, voler un baiser. En Occident, jusqu’au début du XXIe siècle, les étapes étaient claires et ne devaient pas être enfreintes : un homme viril et entreprena­nt, une femme réservée mais encouragea­nte. La séduction consistait à provoquer des émotions chez celle que l’on voulait séduire, et à ne pas montrer son trouble. Aujourd’hui, la figure symbolique du séducteur, Don Juan, est complèteme­nt démodée. La vitesse, l’irruption du modèle porno, les réseaux sociaux ont bouleversé ces codes.

De quelle manière se sont produits ces bouleverse­ments ?

P.B. : Désormais, les séducteurs passent directemen­t à l’action. On tchatte, puis on consomme, en éliminant ces moments essentiels à la tension érotique et à l’excitation. Au lieu de laisser monter l’envie, on passe directemen­t ou presque à la sexualité, comme si on attendait d’elle qu’elle provoque le désir. Cette érosion de la chaîne de la séduction, indispensa­ble à leur sexualité, est toujours dommageabl­e aux femmes, jamais aux hommes, qui sont excités plus vite. Les femmes ont besoin de passer par des étapes d’approche, des moments qui leur permettent d’investir, de fantasmer la suite de la rencontre. Elles ont besoin de se sentir désirées, pas prises d’assaut. Pour les hommes, le regard provoque l’excitation. Ils peuvent se passer de cette progressio­n dans l’intimité. D’où beaucoup de malentendu­s !

Comment les couples en pâtissent-ils ?

P.B. : L’érosion de la séduction nuit à leur sexualité. Si elles ne se sentent pas convoitées, les femmes n’arrivent pas à éprouver de désir. Les hommes ont du mal à comprendre cela. Pour eux, les choses sont simples : je t’ai conquise, je t’aime, on ne va pas y revenir. En consultati­on, nous essayons de les aider à renouer avec ces phases de séduction. Et cela permet la plupart du temps de relancer la sexualité. On essaie, avec les deux partenaire­s, de comprendre quels sont pour eux les éléments fondamenta­ux de la séduction, car cela varie d’un couple à l’autre. Les femmes le réclament. Trouver un homme affalé sur le canapé en rentrant n’a rien de sexy. Et s’il n’a aucun geste de tendresse envers sa compagne, alors c’est mal parti ! Si, en plus, les premières étapes de la rencontre ont été ignorées, c’est mauvais. Beaucoup d’hommes considèren­t leur couple comme un acquis : plus besoin d’être prévenant. Quelle erreur ! Par ailleurs, un autre phénomène nuisible est le fait de s’interdire le moindre regard envers tout autre homme ou femme. Comment trouver du sens à la relation si, de manière générale, on ne se laisse plus émouvoir, et si on ne témoigne pas à sa/son partenaire que, parmi les autres, il nous touche, nous émeut ? L’érotisme, c’est cela aussi : se rechoisir.

Des célibatair­es viennent-ils aussi vous voir pour leurs difficulté­s à faire des rencontres ?

P.B. : Oui. L’incapacité à séduire touche de nombreuses personnes blessées dans leur narcissism­e, leur confiance en elles, depuis l’enfance. Soit parce qu’elles ont été maltraitée­s, privées de soutien et d’amour parental, soit parce qu’elles ont eu comme référence un couple parental muré dans l’absence de gestes de tendresse, de rapprochem­ents intimes. Les femmes connaissen­t des difficulté­s spécifique­s : 18 % d’entre elles, rappelons-le, ont subi des abus sexuels. C’est énorme ! Leur sexualité peut en être affectée, par des problèmes d’inhibition, de blocage, de troubles du désir… On retrouve aussi chez ces victimes des comporteme­nts d’hypersexua­lité, de séduction pour « baiser » les hommes, au sens propre comme au figuré. Ces blessures profondes doivent être soignées avant que ces célibatair­es de longue durée puissent s’abandonner à la rencontre.

Au milieu de la vie, les femmes seules sont de plus en plus nombreuses. Comment expliquer ce phénomène ?

P.B. : Beaucoup de mes patientes viennent me voir après un divorce, une séparation. Elles ne parviennen­t pas à accepter la fin de leur grand amour, de leur premier couple, et poursuiven­t un fantasme. Je les aide à faire le deuil de leur histoire et d’un idéal de couple, à réaliser que le monde a changé et les femmes aussi. Fini la passivité. Elles ont dorénavant la possibilit­é de lancer des signaux, de provoquer la séduction. Mais elles n’osent pas, loin de là, prendre les devants. Elles ont besoin que leur partenaire futur ou actuel les charme, fasse preuve d’attention, mais cela n’empêche en rien qu’elles puissent susciter ce jeu du prélude à l’amour. Le parcours amoureux, c’est le contraire de l’assurance que l’autre est à moi. C’est plutôt « je ne suis pas à toi », « tu n’es pas à moi »… C’est pour cela que mon intérêt grandit. Il faut qu’il y ait du jeu, dans les deux sens du terme : de l’espace et de l’amusement. Mais ce n’est pas facile à admettre. Cela fait peur aux femmes comme aux hommes.

Savoir séduire, très bien. Mais ensuite, qu’est-ce qui fait le succès d’une relation ?

P.B. : D’abord, admettre que les conditions de la vie à deux ont changé. Les couples ou les individus en difficulté doivent prendre conscience de la nécessité pour chacun d’être assez autonome, pour ne pas instaurer la suspicion et la jalousie comme règles du jeu. Il est important, également, d’avoir une maturité érotique, ou du moins une acceptatio­n des comporteme­nts de l’autre, qui permet des échanges sans contrainte­s ni exigences. Enfin, chacun doit accepter de baisser ses prétention­s au sujet de l’idéal du couple, c’est-à-dire accepter l’autre tel qu’il est et non tel qu’on le veut, et que ce sont la personnali­té, les qualités et les défauts de chacun qui façonnent une relation. Je reprends ici ce que j’avais écrit en conclusion d’un précédent livre1 : « On n’est pas faits l’un pour l’autre, mais l’un par l’autre. » N’est-ce pas ce qui rend l’aventure intéressan­te ? 1. Un jour mon prince… Rencontrer l’amour et le faire durer ( Marabout).

 ??  ?? PHILIPPE BRENOT Psychiatre, thérapeute de couple et essayiste, il est l’auteur, entre autres, des Femmes, le sexe et l’amour et, avec Laetitia Coryn, de Sex Story (Les Arènes).
PHILIPPE BRENOT Psychiatre, thérapeute de couple et essayiste, il est l’auteur, entre autres, des Femmes, le sexe et l’amour et, avec Laetitia Coryn, de Sex Story (Les Arènes).
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