Psychologies (France)

Témoignage­s Néo-romances en ligne

Tinder, Happn, Meetic, Facebook, Snapchat : Internet est un lieu d’illusions où il est facile de se mettre en scène. Mais la séduction n’en est pas forcément plus aisée…

- Par Mathieu Blard

Alice déchante Alice est une jeune assistante de direction belge de 26 ans. Elle s’inscrit sur Tinder pour le plaisir de « zapper ». Jusqu’au jour où elle tombe sur Clément, un beau Français, sportif comme elle, venu étudier à Bruxelles. C’est son premier « match ». Les échanges commencent le soir même. « Pendant un mois, nous avons été accros à notre téléphone », confie-t-elle. Quotidienn­ement, ils communique­nt sur trois applicatio­ns en même temps : Instagram pour partager des images amusantes, WhatsApp pour discuter et Snapchat pour s’envoyer des clichés d’eux-mêmes plus ou moins osés. « Sur cette appli, la photo disparaît en quelques secondes, explique la jeune femme, on se séduisait beaucoup en s’envoyant des parties de nos corps, une mèche de cheveux, une épaule… » Au bout d’un mois, premier rendez-vous, premier baiser. Le jeu de la séduction naturelle se met en place. Les tourtereau­x se voient alors régulièrem­ent et chastement durant un autre mois, attisant le désir. Puis le couple se forme. « J’ai l’impression qu’une fois que l’homme a ce qu’il veut sexuelleme­nt l’intérêt redescend », lance Alice. Le désir embrasé en un mois s’étiole aussi vite. Les rencontres réelles deviennent poussives. « Sur les réseaux sociaux, il paraissait très confiant, très drôle. Il avait le temps de réfléchir à ses réponses. En réalité, nos discussion­s sont devenues plates, banales », convient-elle. Clément rompt après deux semaines. « Il y a un gap entre ce que l’on a fantasmé de l’autre et ce qu’il est réellement, analyse Pascal Couderc1. Sur Internet, grâce au profil, on se présente tel que l’on voudrait être. » Une manière aussi de duper l’autre : il tombe sous le charme d’une image fictive de soi qui ne résiste pas toujours à la rencontre. Pour le psychanaly­ste, ce n’est que la répétition exacerbée des marivaudag­es classiques. « Lors d’une rencontre, nous vivons dans un premier temps une phase d’état amoureux qui est une illusion : on idéalise l’autre. Apprendre à se connaître, c’est le désidéalis­er. On passe alors de l’état amoureux à l’amour, et on décide si la relation est possible. » Alice n’y croit plus. L’attente envers Clément était trop forte et la déception, trop violente. Si elle est un jour amenée à réactiver son compte Tinder, « ce sera juste pour le sexe ». Nathalie renonce Il y a quatre ans, Nathalie, 52 ans, mère de trois enfants et divorcée depuis dix ans, s’est lancée dans l’aventure sur plusieurs sites de rencontres payants. « Faire une annonce fut difficile. Je ne savais pas me vendre, je pense que les jeunes sont plus habitués à cette démarche. » Les retours aussi sont durs à vivre : « J’ai eu plein de propositio­ns d’anciens cadres à la retraite, âgés, dégarnis, bedonnants, mais aussi des hommes mariés voulant des relations sexuelles. » Elle a tout de même quelques rendez-vous, non concluants : « Lors de l’entrevue, on a l’impression de passer un entretien d’embauche. Je ne suis pas faite pour ces sites, j’ai besoin d’un vrai échange, d’une voix, d’un regard. » D’après Pascal Couderc, il existe un clivage génération­nel. « Pour les jeunes, ces réseaux sociaux sont totalement intégrés au

“On a l’impression de passer un entretien. Je ne suis pas faite pour ces sites, j’ai besoin d’un vrai échange” Nathalie, 52 ans

mode de relation, ils font partie du réel, affirmet-il. Pour ceux qui ne sont pas des digital natives, ce sont deux univers distincts. » Aujourd’hui, Nathalie n’est plus inscrite sur ces plateforme­s et prend le parti d’en rire, « car, comme disait le cinéaste Chris Marker, l’humour est la politesse du désespoir ». Julie s’agrippe Mais la jeunesse et la maîtrise de l’outil ne protègent en rien contre les Valmont2 en puissance. Julie, une blonde pêchue de 27 ans, connaissai­t Corentin depuis le lycée. Ils se sont revus lors d’une soirée d’anciens camarades, juste avant le départ du jeune homme pour l’étranger. Dès son arrivée là-bas, ils se mettent à échanger via Facebook. « Il me racontait ses journées, il avait un côté aventurier qui m’a séduite. Je suis tombée amoureuse de sa façon d’écrire. À son retour, j’avais très envie de le voir et j’étais sûre que c’était réciproque. » Corentin commence alors à répondre épisodique­ment aux messages. « Plus il raréfiait l’offre, plus j’étais en demande. Je voyais qu’il lisait ce que je lui envoyais, mais il n’y réagissait pas. De mon côté, les fois où je cessais de répondre, il me harcelait ! » Julie semble avoir été victime de « breadcrumb­ing » , ces « miettes digitales » lancées avec parcimonie pour faire mariner les prétendant(e)s. S’installe alors une relation inégale. Elle est obsédée par lui : « Il m’est arrivé de notifier d’autres garçons dans mes publicatio­ns Facebook pour attirer son attention. » Elle veut vivre quelque chose avec Corentin. Ils s’embrassent. Il dit n’être pas sûr de lui, sans toutefois cesser les discussion­s sur Internet. Il la relance dès qu’elle tente de prendre de la distance. Il débarque aussi chez elle à l’improviste pour quelques baisers au vol, avant de réaffirmer qu’il a besoin de temps. Il souffle le chaud et le froid. Julie le bloque pour l’oublier. Il tente de reprendre contact, elle finit par céder. Un brin de nostalgie dans le regard, elle soupire : « Je me suis laissé submerger. » Léo s’enflamme Léo est un jeune homme romantique de 25 ans. Après une rupture amoureuse, il s’inscrit sur Tinder. « J’avais besoin d’un regain de confiance en moi, je voulais sentir que je pouvais plaire. » Il joue le jeu du profil, de la mise en scène, inévitable : « J’ai essayé de court-circuiter le mécanisme superficie­l, le côté packaging de l’applicatio­n, pour ajouter un peu de grain. Je voulais que les gens qui me “likent” le fassent pour ma descriptio­n. J’avais écrit : “Jeune garçon bienséant cherchant à partager une cervoise fraîche.” J’avais envie de montrer que j’étais surtout là pour discuter et éviter de passer pour un homme en recherche frénétique de sexe. » Il a des rendez-vous, échange un verre, un baiser, une nuit. Parfois, il est déçu. Avec ses yeux bleus et son sourire enjôleur, il rencontre rapidement des filles. Puis il tombe sur Laurie. « Tout a été très spontané. À l’origine, je n’attendais rien, mais une alchimie s’est très vite installée entre nous. La première fois qu’on s’est vus, j’étais stressé, je sentais que j’étais face à quelqu’un qui en valait la peine. » L’entrevue se passe à merveille, sans gêne ni ange passant pour alourdir l’ambiance joyeuse. Aujourd’hui, Laurie voyage pour ses études. Le couple communique sur les réseaux sociaux, mais pas seulement. Ils entretienn­ent également une correspond­ance enflammée. Finalement, le XVIIIe siècle et ses relations épistolair­es ne sont pas si loin. 1. Pascal Couderc, auteur, avec Catherine Siguret, de L’Amour au coin de l’écran, du fantasme à la réalité (Albin Michel). Son site : psychopari­s.com. 2. Valmont est un personnage des Liaisons dangereuse­s de Pierre Choderlos de Laclos.

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