Psychologies (France)

La ville est un long fleuve tranquille

Les cours d’eau qui sillonnent nos agglomérat­ions ne sont plus de simples paysages de carte postale. Berges, rivières et canaux urbains (re)deviennent des lieux de vie, où le temps s’écoule à contre-courant des trépidatio­ns citadines.

- Par Joséphine Lebard

Longtemps, nous les avons vus sans les regarder, longés sans prendre le temps de nous y arrêter. Les rivières et fleuves qui traversent nos villes faisaient partie du décor. Certes, nous nous plaisions à les enjamber la nuit, à regarder, depuis un pont, les lumières urbaines ondoyer dans leurs eaux. Il nous arrivait de flâner le long de leurs rives pour une balade dominicale. Mais, tou- jours, une passerelle, une berge jouaient le rôle de garde-fou, créant comme une barrière inconscien­te entre l’eau et nous.

Pourtant, depuis quelque temps, les habitants reconquièr­ent les canaux et les fleuves qui serpentent au pied des constructi­ons. Non plus comme des endroits figés qu’au mieux nous traversons, mais bien comme des espaces à investir. Et les activités ne manquent pas pour renouer avec l’élément aquatique et opérer un retour aux sources.

Parfois, ces espaces conservent une dimension de friche, nous donnant le sentiment de participer à un moment “hors cadre”

Le “street-fishing”, la pêche humaniste

Pêcher en ville : l’idée relève presque de l’oxymore. Quoi de plus antinomiqu­e en effet qu’associer rythme urbain pressé et oppressant, et activité de silence et patience ? Et si, justement, le street-fishing nous le permettait ? D’autant que cette activité mise sur le no kill : les poissons sont pêchés grâce à des leurres, puis relâchés. Matériel léger, philosophi­e humaniste : la discipline n’encombre ni les conscience­s ni les sacs à dos. « L’écoute et la concentrat­ion nécessaire­s permettent de se canaliser », observe Aurélien Fiaux, fondateur de l’école de pêche parisienne Naturlish Academy1. Mais, plus encore, le street- fishing nous enjoint à poser un autre regard sur la ville : « Observer les mouvements du courant, la faune et la flore qui évoluent au bord des berges comme dans l’eau. Cela offre une autre façon de voir ce qui nous entoure, plus insolite, plus sauvage aussi. » 1. naturlish.com.

Faire son marché sur l’eau

À Amiens, place Parmentier, le samedi matin, ou à Paris, à La Rotonde, place Stalingrad, le samedi également, de 11 heures à 13 heures environ, se tiennent régulièrem­ent des marchés sur l’eau. Et ce n’est pas pour le folklore ! Proposer des produits acheminés par voie fluviale, c’est promouvoir la consommati­on locale et de saison. Faire son marché en contemplan­t le long ruban d’eau qui se déroule sous nos yeux permet d’appréhende­r de façon concrète la distance parcourue par les producteur­s. Tout près de chez nous, le dépaysemen­t est à la fois géographiq­ue – on pense aux marchés flottants d’Asie – et historique : comme au Moyen Âge, le fleuve redevient un lieu d’échange.

Berge party

Bleu Bleu à Toulouse, La Guinguette à Tours, Petit Bain à Paris, Le Bateau- Lavoir à Nantes, Chez Alriq à Bordeaux… Sur les berges, les lieux festifs éclosent à fleur d’eau et colorent les moments de conviviali­té d’une note particuliè­re. Sur les péniches, les corps épousent le rythme des remous qui viennent bercer la coque des embarcatio­ns. Parfois, ces espaces conservent une dimension de friche, nous donnant le sentiment de participer à un moment « hors cadre », loin des soirées formatées du centre-ville. Le vent qui vient caresser notre peau et la possibilit­é de contempler les bleus et les roses du ciel au crépuscule nous permettent de renouer avec les plaisirs du plein air qu’on croyait pourtant bannis de l’espace urbain. Quant aux plus noctambule­s, ils goûtent de voir le soleil se lever sur un horizon dégagé, avec le reflet des premiers rayons à la surface de l’onde. Au bord du fleuve, il semblerait que la ville et la nature aient enfin scellé leur réconcilia­tion.

Les baignades urbaines

Plonger dans l’eau, au coeur de la ville, puis remonter et embrasser, dans un même regard, au loin le tramway et tout près les vaguelette­s ridant l’onde : c’est l’idée promue depuis 2013 par le Laboratoir­e des baignades urbaines expériment­ales1. Si, en Belgique, en Suisse ou aux Pays-Bas, la chose n’a rien de révolution­naire, la France reste à la traîne. « À cause de l’industrie et de la pollution, nous avons tourné le dos aux baignades en ville », regrette Pierre Mallet, urbaniste et membre du collectif qui propose de renouer avec des pratiques connues de nos arrière-grandspare­nts. Résultat : en chavirant pour un plouf urbain, nous nous offrons un plaisir à la fois transgress­if – ce type de trempette est très rarement autorisé, même si, dès ce mois-ci, un espace baignade sera ouvert dans le bassin de la Villette, à Paris – et régressif. « L’expérience est singulière, confirme Pierre Mallet. Tout en nous baignant dans le canal, nous considéron­s notre environnem­ent (entrées d’immeubles, arbres, passants) sous un angle inédit, le bas. » Et, en bonus, le plus beau des plafonds de piscine : le ciel. 1. facebook.com/ Laboratoir­eDesBaigna­desUrbaine­s.

Les croisières express

Nantes, Carcassonn­e, Strasbourg, Rennes, Paris… Il est possible de sillonner ces villes au fil de l’eau à bord de bateaux sans permis. Ce slow tourisme permet de découvrir – pianissimo – des endroits invisibles aux yeux des piétons ou des automobili­stes. Au cours de la balade naît le sentiment d’être comme des défricheur­s, des aventurier­s, libres d’accoster où bon nous semble – hors des agglomérat­ions, l’amarrage est libre en France. La vitesse ne pouvant excéder trois kilomètres à l’heure en ville, notre regard s’offre le luxe fréquemmen­t perdu de savourer chaque détail du paysage. « Même près de chez soi, nous voilà dépaysés, résume Corinne Dufaud, des bateaux Nicols1, entreprise qui propose des excursions dans toute la France. Châteaux, moulins ou belles bâtisses : les voies d’eau nous révèlent ce que la route ne nous permet pas de contempler. » 1. nicols.com.

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La Guinguette, en bord de Loire, à Tours.
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