Pedale!

Chute à la barrière

- PAR GRÉGORY LETORT / PHOTOS: EMMANUEL GRANDIN ( QUOTIDIEN DE LA RÉUNION) ET DR

Tombé violemment à deux tours de l’arrivée de la première étape du Tour de La Réunion 2016, Jonathan a reçu les premiers soins alors que la course se poursuivai­t. Son père, Jean-Bernard Boyer, n’a pas supporté et a décidé d’interrompr­e l’étape en jetant une barrière de sécurité devant les coureurs lancés au sprint… C’est la dernière étape du Tour de la Réunion 2016 qui devait se jouer ce 13 avril 2017 devant le tribunal correction­nel de Saint-Denis. À la barre, Jean-Bernard Boyer, accompagné de son fils Jonathan, un coureur local, licencié au Vélo Club Sainte-Marie, prétendant au maillot vert Europcar de meilleur sprinteur de la 70e édition d’une épreuve gagnée en son temps par Laurent Fignon (1980), mais qui n’a même pas bouclé la première étape. Le 4 septembre, au lendemain du prologue, lors du dernier sprint intermédia­ire de la journée, disputé à deux tours de l’arrivée, le métropolit­ain Enzo Bernard et Boyer s’accrochent les cocottes et finissent sur le bitume après avoir embrassé à pleine vitesse les barrières métallique­s le long desquelles se massent les spectateur­s. Parmi eux, un enfant, victime d’une plaie profonde à un pouce. Bernard s’est relevé, pas Boyer qui a reçu les premiers soins à quelques mètres de la ligne avant d’être évacué plus tard au CHU de Bellepierr­e. Sérieuseme­nt blessé, il a porté plainte contre son confrère pour “coups et blessures involontai­res”. Mais en ce jour d’avril, l’instructio­n est encore en cours et c’est une autre plainte qui doit être examinée. Elle vise son père, Jean-Bernard Boyer, accusé de “violences avec arme par destinatio­n”. Les faits sont survenus en cette même journée du 4 septembre dans un décor de zone industriel­le, loin des cols que La Réunion peut offrir, et au terminus d’une journée folle, marquée, outre cette chute, par une neutralisa­tion de la course, le temps que les organisate­urs puissent, à 80 kilomètres de l’arrivée, redessiner un parcours afin de parer au problème peu commun d’une route fermée. Cette arme, Jean-Bernard Boyer s’en est servie à 100 mètres de l’arrivée sous les yeux de tous, dont Michel Bénard, directeur de l’organisati­on, qui, après 103 kilomètres sur la moto, attendait sur la ligne le dénouement. Vue parfaite sur l’impensable: deux secondes avant le déboulé des sprinteurs, Jean-Bernard Boyer a agrippé une barrière et l’a couchée au milieu de la route. “Un attentat”, définira Bénard. Sauvés par leurs réflexes, trois coureurs passent à gauche, deux à droite. Mais le Sud-africain Bradley Potgieter prend la barrière frontaleme­nt et s’envole, comme le Réunionnai­s Paul Rivière. Filmée, la séquence est surréalist­e. “Est ce que vous avez déjà vu ça? Mais cet homme est fou!” hallucine le speaker qui en oublierait de commenter la victoire d’Axel Journiaux resté comme par miracle sur son vélo.

“Je ne voulais blesser personne”

L’homme était surtout fou d’inquiétude pour son fils et c’est d’ailleurs ce qu’il a l’intention de plaider. Il a vu Jonathan chuter, et les coureurs continuaie­nt à passer devant lui, toujours gisant au sol. Il exige l’arrêt de la course. Refus. Alors il décide de l’arrêter à sa façon, dans son esprit pour protéger son fils. Avec la barrière pour atteindre son but. L’instinct paternel pour justifier son geste aux conséquenc­es lourdes. Si Paul Rivière, un peu sonné, doit seulement déplorer la mise à la décharge de son vélo, Potgieter, lui, est transporté à l’hôpital, victime d’une fracture de la clavicule. Pourtant, Jean-Bernard Boyer ne se sent pas vraiment coupable. “Quand j’ai vu mon fils blessé, j’étais très inquiet. J’ai vu rouge. Ne pas stopper la course voulait dire que les coureurs allaient arriver en plein sprint à l’endroit où il était pris en charge. J’ai voulu le protéger. La seule solution que j’ai trouvée a été de tirer cette barrière. Je ne voulais blesser personne.” Huit mois plus tard, Michel Bénard n’accepte toujours pas la défense: “Les secours ont pris le gamin en charge de façon immédiate. Il y a eu un niveau de réactivité qui ne peut être amélioré. Et nous avions sécurisé la zone où il était soigné.” Et de balayer la thèse d’une sécurité défaillant­e.

“Il y a des règles à la FFC. Pour qu’une course soit arrêtée, certaines conditions doivent être réunies. Le directeur de course présent n’a pas jugé bon de le faire. Et s’il n’y avait pas eu notre service d’ordre et les gendarmes, monsieur Boyer aurait été lynché par le public.” Les frères de Paul Rivière cherchent effectivem­ent à aller à sa rencontre. JeanBernar­d Boyer n’était pas difficile à trouver: assumant son geste, il tourne en rond, furieux, dans la zone d’arrivée avant d’être exfiltré vers le commissari­at du port pour être entendu pendant deux heures. La sidération passée, Bénard porte plainte, la première étape est annulée, mais le lendemain, le Tour repart bien avec l’équipe sud-africaine revenue sur sa décision de quitter l’épreuve. Sept jours plus tard, la course s’achève avec la victoire d’Axel Journiaux, le déçu de la première étape. Mais le véritable point final, c’est ce procès. Placé en garde à vue mardi 13 septembre 2016, Jean-Bernard Boyer doit donc s’expliquer ce 13 avril devant le tribunal correction­nel. Michel Bénard, président au moment des faits du Vélo Club de Saint-Denis, le club organisate­ur, vient chercher des réponses. Mais il est bien seul. Le Sud-Africain Potgieter, qui s’est porté partie civile, est absent. Quant à Paul Rivière, en plus d’être excusé puisqu’il prend part au tour du Maroc, il a pardonné. Déjà stoïque le jour de cette première étape devant le geste du père Boyer (“Ce n’est pas un truc à faire”), il a accepté un accord à l’amiable. Un deal à 7 000 euros, le prix d’un vélo neuf, pour enterrer sa plainte. Mais Bénard devra finalement revenir, et Rivière pourrait quand même avoir l’occasion de témoigner: le procès tant attendu a finalement été renvoyé à l’été. Georges-André Hoarau, l’avocat de Boyer, n’a eu aucun mal à plaider le renvoi: son client n’a pas pu disposer de la copie complète du dossier afin de préparer sa défense. Un report bienvenu au vu de la stratégie qui se dessine: attaquer l’organisati­on de la course. Outre la plainte pour “coups et blessures involontai­res” visant Enzo Bernard, une plainte pour “mise en danger de la vie d’autrui” – encore en cours d’instructio­n mi-avril – a été déposée par Boyer et son fils contre le club organisate­ur. L’enjeu: confronter les deux plaintes au tribunal. Une accusation plutôt que des excuses. Là aussi, c’est assumé, l’avocat du prévenu évoque une course mal organisée qui aurait dû être arrêtée à deux reprises, ainsi qu’un geste “malheureux”. Michel Bénard a du mal à l’entendre. “J’attends de ce procès que monsieur Boyer soit reconnu coupable. Notre avocat va demander réparation, mais j’espère surtout que sera envoyé un message pour dire à quel point ce qu’il s’est passé est grave.” L’avocat, qui n’entend pas plaider la relaxe, prévient, lui, qu’il table sur une remise de peine. Dans les faits, Jean-Bernard Boyer encourt trois ans de prison et 75 000 euros d’amende. Dans la vie, il faut bien mettre des barrières.

“Quand j’ai vu mon fils blessé, j’étais très inquiet. J’ai vu rouge” Jean-Bernard Boyer

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Beau plat du maillot vert.
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