DAVE IN THE SKY
Il est le tout-puissant manager de l’équipe Sky, l’homme derrière les victoires de Wiggins et Froome sur le Tour, celui qui a ringardisé la concurrence avec ses “gains marginaux”. Dave Brailsford, l’ancien petit coureur, pourrait savourer sa revanche, si l’ombre du dopage ne l’avait pas rattrapé ces derniers mois. Voyage audessus d’un crâne chauve entre le pays de Galles, Londres et Saint-Étienne.
Dans son costume-cravate cintré, le crâne luisant, Dave Brailsford affronte pendant plus d’une heure, ce 19 décembre 2016, les parlementaires de la commission culture, médias et sport de Westminster. Les élus cherchent à comprendre dans quelles conditions Bradley Wiggins a pu bénéficier, avant le Tour 2011 et 2012, mais aussi sur le Giro 2013, d’une autorisation d’usage à des fins thérapeutiques (AUT) pour du triamcinolone, un stéroïde interdit, afin de soigner son asthme, comme le montre son dossier médical dévoilé deux mois plus tôt par les Fancy Bears, le groupe de hackers russes. Ils souhaitent aussi connaître le contenu du fameux “colis mystère” livré en juin 2011, à la fin du Critérium du Dauphiné, par un entraîneur de la Fédération britannique au médecin du Team Sky, pour s’occuper du même Wiggins, à la santé hésitante. “Le Dr Freeman m’a dit que c’était du Fluimucil”, indique fermement Brailsford, moins convaincant sur les autres questions soulevées par les parlementaires. Pourquoi avoir fait venir de Manchester un simple décongestionnant nasal, autorisé par l’Agence mondiale antidopage – mais déconseillé aux asthmatiques –, disponible pour huit euros dans une pharmacie française? Pourquoi avoir attendu l’ouverture d’une enquête de l’Agence antidopage britannique (UKAD) avant de révéler le contenu du colis acheminé à grands frais jusqu’à La Toussuire? L’intéressé reconnaît, l’air penaud, le nez dans ses notes, avoir “très mal géré la situation”, mais assure qu’il en a “tiré les leçons”.
“Il ne cherche pas à être populaire”
Matt Lawton est le premier au courant du “mistery package” qui affole pendant des semaines les rédactions britanniques. Avant
de noircir la moindre ligne, le journaliste du Daily Mail devise avec Brailsford pendant deux heures, en “off”, dans un café du Cheshire. Le Fluimucil n’est pas mentionné une seule fois par le patron de la Sky, lancé à la place dans des explications rapidement démenties. “Il était stressé et tenait à tout prix à ce que l’article ne soit pas publié, raconte Lawton. Il m’a proposé en échange un article plus positif et m’a demandé si un bon tuyau sur une équipe concurrente pouvait suffire à mettre fin à mes recherches.” Marchandage douteux ou tentative désespérée d’un homme au parcours jusque-là impeccable, soucieux de sauver la réputation de son équipe, déjà bien écornée par les problèmes d’asthme de Wiggo? La presse locale ne traîne pas pour brûler l’idole qu’elle avait consacrée. “Il ne comprend pas aujourd’hui que les choses puissent se retourner contre lui, rapporte Jeremy Whittle,
“Il se moque de ce que les gens pensent de lui et s’est fait quelques ennemis parmi les journalistes, qui le lui font payer aujourd’hui.” Richard Moore, son biographe
du Times. Il est resté caché pendant tout le dernier Paris-Nice. L’ambiance autour de Sky me rappelle celle qui existait autour de l’US Postal à l’époque d’Armstrong.” Selon Richard Moore, auteur de Mastermind: how Dave Brailsford reinvented the wheel (aux éditions 90 minutes), la morale protestante anglo-saxonne ne pardonne pas au dirigeant de 53 ans son exploitation parfois borderline du règlement. “Ce n’est pas l’attitude des pays latins. Ici, il n’y a pas de zone grise, tout est soit noir, soit blanc. Brailsford ne cherche pas à être populaire. Il se moque de ce que les gens pensent de lui et s’est fait quelques ennemis parmi les journalistes, qui le lui font payer aujourd’hui.” Concurrent du Sun, dont le propriétaire, Rupert Murdoch, est aussi, via son bouquet satellite, le sponsor principal du Team Sky, le Daily Mail mène la charge. Le quotidien divulgue en mars dernier l’ébauche d’un rapport indépendant sur la gestion du programme de haut niveau de British Cycling dirigé par Brailsford entre 2003 et 2014. Il lui est reproché d’y avoir fait régner une “culture de la peur”, aux côtés de son ancien bras droit, le tempétueux Shane Sutton. L’Australien a été poussé vers la sortie l’an dernier, accusé de sexisme, notamment par Jessica Varnish qu’il aurait encouragée à “aller faire un gosse” tout en pointant son “gros cul”. Brailsford est, lui, accusé d’avoir fermé les yeux sur le comportement grossier de son collègue. Rendus intouchables par leurs résultats, les deux hommes ont été mis en cause publiquement par certains coureurs britanniques, retombés depuis dans le silence en attendant la publication officielle du rapport. “Croyez-moi que j’aurais eu des choses à dire, mais on m’a trop pourrie sur les réseaux sociaux la dernière fois que j’ai osé critiquer Brailsford pour repasser par-là”, regrette une médaillée olympique.
Hostilités galloises et exil en France
L’homme derrière le miracle du cyclisme britannique est désormais sous pression. “Il aurait sans doute démissionné si Sky ne l’avait pas soutenu”, avance Moore. Pour l’instant, son crédit lui permet d’affronter la tempête médiatique. Et il est important. Brailsford a transformé un pays périphérique du cyclisme en une superpuissance en l’espace d’une décennie. Sa révolution, il la débute sur piste à une époque où la France de Rousseau et Tournant écrase alors la concurrence. Intronisé en 2003 directeur de la performance de British Cycling, il poursuit le travail initié par son prédécesseur, Peter Keen, ancien coach de Boardman. Le succès est insolent: deux titres à Athènes dès l’année suivante, sept à Pékin comme à Londres en 2012. Bradley Wiggins, Chris Hoy, Victoria Pendleton et leurs camarades deviennent les principaux marchands d’or de la délégation britannique. Fin 2012, Brailsford est désigné entraîneur de l’année par la BBC, puis anobli par la reine, quelques mois avant de redescendre les ChampsÉlysées aux côtés d’un Wiggins, premier vainqueur britannique du Tour. Pour les adeptes de success storytelling, l’ascension de “Sir Dave” est donc un modèle du genre. Né le 29 février 1964, à Derby, dans l’East Midlands, le garçon déménage rapidement avec sa mère Barbara, son père John et sa grande soeur Helen vers le massif montagneux du Snowdonia, dans le nord du pays de Galles. “Mon père était alpiniste et on habitait près du col du Llanberis, considéré comme la Mecque des grimpeurs à cette période”, situe Dave. Devenu plus tard guide de haute-montagne, résidant aujourd’hui dans les Hautes-Alpes, John s’est forgé une réputation dans son milieu. “Il a inventé le premier coinceur, une petite pièce de métal amovible à insérer dans les fissures des rochers, pour assurer les grimpeurs, une révolution pour eux”, admire Stéphane Pennequin, propriétaire du seul musée du coinceur au monde, en Corse. Le virus de la grimpette n’attrapera pas son fils, apeuré par les hauteurs. Lui préfère le ballon rond et le poste de gardien. “Il s’est présenté un jour et s’est approprié le numéro 1, alors qu’on avait un gardien, se rappelle, dans une interview à ITV Wales, Malcolm Allen, un de ses coéquipiers de l’époque, passé pro ensuite en D1 anglaise. Il était très compétitif, même à l’entraînement. Mais on avait surtout l’habitude de le voir sur son vélo.” Un moyen de transport et une échappatoire pour lui. “Dave était réservé”, appuie l’ancien footballeur, qui élargit: “Il était différent.” Le contexte local lui rappelle qu’il n’est pas un enfant du coin. “On vivait dans une communauté très galloise. Les gens étaient plutôt anti-Anglais. Je me suis déjà fait tabasser à l’école, je détestais y aller”, révèle celui qui suivit une scolarité en gallois jusqu’à ses 16 ans. À la maison, Dave cherche aussi sa place. Après le départ de Derby, Barbara et John ont offert un petit frère au quatuor, Andrew, un adepte de la grimpette comme papa. “J’étais un peu coincé au milieu, à faire signe que j’étais là, admet-il. J’étais un gamin plutôt angoissé.” Au sein de sa bande de rouleurs, il ne répond par exemple jamais aux saluts de son père, cycliste lui aussi, lorsqu’ils se croisent sur les routes. “Je voulais sans doute encore plus prouver
“Quand on est partis au ski ensemble, avec Valérie, Dave et deux de ses copains, il avait tout organisé, jusqu’à la cagnotte alimentaire. Il était comme un grand frère qu’on écoutait beaucoup. Il était fédérateur.” Sophie, amie de la petite copine française de Brailsford
que les autres que j’étais comme tout le monde.” À 15 ans, une blessure au genou le détourne définitivement du foot, son médecin lui préconise le vélo pour se retaper. Sans doute le point de bascule de la vie de Dave, qui propose alors au paternel de l’accompagner sur les routes. “J’ai réalisé qu’il était plutôt bon à vélo et que je pouvais apprendre pas mal de choses de lui, déroule-t-il. De 16 à 20 ans, j’ai passé pas mal de temps à rouler avec lui, alors qu’on n’était pas très proches auparavant.” Un soir, à table, le fiston annonce son départ en France pour percer dans le vélo. “Ma mère était terrifiée, vu que je quittais mon job d’apprenti dessinateur industriel. Mon père, lui, m’a encouragé d’un gros ‘Yes! Vas-y fiston!’” Et le voilà qui embarque avec ses rêves de Tour ainsi que “800 livres en poche, mon vélo dans un carton, un sac à dos et un ticket de train sans retour pour Grenoble.” Ne reste plus qu’à trouver un club. L’Anglais tente sa chance après une course avec des coureurs pros. “Très naïf, j’ai demandé si je pouvais me joindre à eux. Ils étaient morts de rire.” Après quelques échecs, il trouve refuge auprès d’un groupe de cyclistes du côté de l’ASPTT SaintÉtienne. “Ils m’ont accepté par pitié, je pense… Et j’ai roulé avec eux pendant trois ans.”
“Le petit gendre de la famille chez Valérie”
Un peu blousé dans la répartition des primes jusqu’à ce qu’il comprenne le français, Dave apprend le métier en tant qu’équipier dévoué. Il peut se payer une location et “gagner un petit salaire”. Mais mis à part à vélo, l’étranger éprouve la solitude. “Il n’y avait pas de téléphones portables et je n’arrivais pas à tenir une conversation en français.” Il va d’abord compenser cet isolement par une plongée dans la lecture spécialisée. “J’ai compris que je n’allais pas percer dans le vélo et je me suis passionné pour les livres de coaching science, sur les méthodes d’entraînement.” Avant de concrétiser ses connaissances à l’université de Chester, il travaille comme surveillant d’internat d’un CAP soigneurpalefrenier du nord de Saint-Étienne, au château de Sasselange de Veauchette. “Du 1er septembre 1987 au 1er juillet 1988, d’après les registres”, certifie Monsieur Radet, ancien comptable et professeur de biologie végétale de l’établissement. “Il s’occupait aussi de l’étude”, renchérit Béatrice, interne cette année-là. Le pion tombe surtout amoureux d’une autre interne, majeure. “Une relation, sérieuse, et rien de répréhensible”, ajuste Béatrice. “Elle s’appelait Valérie, confirme Sophie*, une ancienne bonne copine de l’intéressée. Ça a bien dû durer jusqu’en 1992, même quand elle est partie de Veauchette pour étudier à Lyon. C’était un peu le petit gendre de la famille chez Valérie.” Même de retour en Angleterre pour reprendre ses études, Dave enchaîne les allers-retours ChesterLyon, “pendant les vacances scolaires”. Avec un dernier tronçon en costaud, “toujours à vélo”, entre Saint-Étienne et Lyon. Témoin de l’idylle, Sophie apprend, au cours de vacances au ski, à connaître ce Dave “plutôt charismatique”, “meneur de bande”, mais aussi “paradoxal”. Sophie, toujours: “Autant il était super cool, drôle, décontracté, avec son jean et son tee-shirt, boute-en-train lorsqu’on sortait, autant il était super carré sur d’autres aspects, comme l’alimentation, les horaires. Quand on est partis au ski ensemble, avec Valérie, Dave et deux de ses copains, il avait tout organisé, jusqu’à la cagnotte alimentaire. Il était comme un grand frère qu’on écoutait beaucoup.” Ces virées du côté de Lyon ont tout d’un sas de décompression pour le très studieux étudiant en cours de science du sport et de psychologie à Chester et plus tard en MBA à la Sheffield University Management School. “Les soirées ne m’intéressaient pas. J’étais vraiment ‘boring’ comme mec, s’excuse-t-il. Je voulais tout apprendre, alors je passais mon temps à avaler des bouquins. J’avais compris que l’approche et la rigueur scientifiques permettaient l’amélioration régulière de la performance.”
“On vivait dans une communauté très galloise. Les gens étaient plutôt anti-Anglais. Je me suis déjà fait tabasser à l’école, je détestais y aller.” Brailsford à propos de son enfance
garde un pied dans le cyclisme puisqu’il s’improvise soigneur pour la modeste formation Neilson-Tivoli, dirigée par John Herety, un ancien coureur pro. Ce dernier le recommande plus tard chez Muddy-Fox, une boîte de fringues pour cyclistes basée dans l’Essex, pour un poste de commercial. La trentaine entamée, Dave vit encore dans une colocation à quatre à Balham, dans le sud de Londres. Dave Loughran, revendeur de la marque Planet X, passe souvent par l’appartement et sympathise avec Brailsford, “un mec cool, qui aimait le foot et le vélo.” Après un détour comme commercial pour une société française de bâtons d’encens, l’ancien de l’ASPTT revient dans le vélo grâce à son nouvel ami. “Je lui ai dit qu’il s’amuserait plus à travailler avec moi”, explique Loughran. Le duo bosse depuis Sheffield, mais ne crache jamais sur les salons spécialisés à l’étranger, notamment le Roc d’Azur, grand-messe commerciale et sportive du VTT mondial, organisé dans le Var depuis 1984. “C’est simple, la plage était à 300 mètres de l’événement”, cadre Christophe Morera, plus connu sous le nom de “Dangerous Momo”, qui a rencontré pour la première fois les deux Dave lors de l’édition 1996 sur le stand de Planet X. “Je vois Loughran, peinard dans ses tongs, allongé derrière son comptoir, et Brailsford déjà chauve, décrit-il. Il ne ressemblait pas au rosbeef moyen, il était élégant, bien sapé. Il avait juste un peu plus de bide qu’aujourd’hui. Ils détonnaient par rapport aux autres exposants. Les noms de leurs produits tournaient autour des planètes, Uranus, tout ça…” Même si les deux Anglais ne viennent pas du monde du freeride et que Christophe s’avoue loin “du monde des jambes rasées”, le trio s’entend bien et Planet X accepte de sponsoriser l’équipe du Français, Passion Ocre. “On a commencé à faire des images et des médias en Grande-Bretagne, ça cartonnait. Ils ont eu le flair d’être les premiers à sponsoriser les mecs du street trial aussi. Je dois beaucoup à Dave.” Au bout d’une année, Brailsford propose à Momo le dangereux de démarcher les magasins pour la marque dans l’Hexagone, en tant que chef de produit. À l’époque, Christophe Morera découvre les qualités de leader du futur mentor de Chris Froome. À côté du bouillant Loughran, Brailsford sait, lui, arrondir les angles. “À un moment donné, je sentais un potentiel business dans le mouvement street. C’était un gros boulot et je voulais être augmenté. Loughran, un sanguin, m’a dit d’aller me faire foutre et Dave a calmé le jeu. Il m’a conseillé d’ouvrir ma propre boîte. Aujourd’hui, je distribue par exemple du lubrifiant pour le Team Sky.” À cette même période, Brailsford diversifie aussi ses activités, en parallèle de Planet X. “Quand j’allais le voir en Angleterre, on se débrouillait toujours pour que ça ne tombe pas pendant les jours où il bossait à la fédé”, relève Dangerous Momo. En 1997, après un coup de fil de John Herety, devenu manager de l’équipe britannique sur route, Brailsford s’engage à fournir 200 vélos à la fédération. “On ne savait absolument pas comment se les procurer dans le délai demandé”, s’amuse Loughran, nostalgique de ces années d’insouciance, sans femme ni enfants, à regarder avec son ami chauve des vidéos du Tour entre leurs séjours mensuels en France pour rouler. “J’ai revu Dave sur le dernier Giro, même si les molosses de la Sky ne voulaient pas me laisser accéder au bus. Et il n’arrivait toujours pas à croire qu’il avait réussi à faire carrière dans le vélo.” Ceux de la fédé ont été livrés à temps et l’ancien commercial creuse vite son trou au sein de l’organisation. Le cyclisme britannique aurait-il atteint sans lui de tels sommets? “Avec tellement d’argent, la réussite était programmée, mais il ne serait peut-être pas allé si haut”, estime Richard Moore. L’argent dont l’auteur parle provient d’abord de la loterie nationale, redistribué aux disciplines susceptibles de ramener le plus des médailles. Il permet à Brailsford de mettre en oeuvre son fameux concept des “gains marginaux”, ces détails censés créer la différence sur la concurrence moins pointilleuse. Le magot grossit ensuite grâce au milliardaire Rupert Murdoch, qui transforme Sky en l’équipe la plus riche
du peloton. Sylvain Calzati embarque au début de l’aventure, en 2010. “Tout le monde se foutait de nous avec nos combinaisons moulantes, nous jalousait avec notre budget, témoigne le Français. La Sky avait surtout un train d’avance. Au niveau de la méthode, les équipes françaises étaient restées au temps de Hinault. En matière de nutrition, par exemple, tout était programmé, calculé. La Sky s’inspirait beaucoup de la Formule 1. Certains coureurs allaient faire des tests chez McLaren, en soufflerie. Aujourd’hui, toutes les équipes pros ont adopté les méthodes de la Sky, qu’elles décriaient auparavant.”
“Une approche tellement rationnelle et dénuée d’émotions”
Mais le succès des hommes en noir doit aussi beaucoup au flair et à la personnalité de leur manager, obsessionnel de la chose cycliste. “Il ne voit quasiment jamais sa femme ni sa famille, souligne le journaliste du Times Jeremy Whittle. S’il n’était pas à ce poste, il serait sans doute dans son camping-car, tous les étés, sur le bord des routes du Tour. Il a d’ailleurs du mal à parler d’autre chose que de vélo.” Calzati, resté un an seulement dans l’écurie Sky, abonde. “Il connaît bien le cyclisme. Ce n’est pas parce qu’on n’a pas été un bon coureur qu’on ne devient pas un bon manager. Dave, ça reste un des tout meilleurs quand on voit ses résultats. Il n’y a qu’à regarder les coureurs: il n’y a aucun tocard.” Toujours ouvert à de nouvelles idées, il a également su s’entourer de spécialistes extérieurs, comme le scientifique australien Tim Kerrison, venu de la natation, ou le psychiatre Steve Peters, les laissant très autonomes dans leurs domaines de compétences respectifs. Celui qui donne à l’occasion des conférences en entreprise pour arrondir ses fins de mois est davantage un meneur d’hommes qu’un entraîneur. “On ne peut s’empêcher, quand on le rencontre, d’être impressionné, reconnaît Matt Lawton, qui ne l’a pourtant pas ménagé ces derniers mois dans le Daily Mail. Comme avec Mourinho ou Ferguson, on peut sentir pourquoi les gens ont envie de le suivre.” Ce qui ne l’empêche de présenter certains traits propres aux hommes de pouvoir. Plutôt accueillant au premier abord, Brailsfor passe pourtant aussi pour irritable et autoritaire. Sa culture de l’excellence s’accompagne d’un manque de compassion. “Ça reste un Anglais, tranche Calzati. Même s’il est assez sympa, malgré son sourire, tu ne sais jamais ce qu’il pense vraiment. En fait, quand tout va bien, il est très correct. Quand il décide de passer à autre chose, on peut avoir du mal à le trouver.” Un sentiment partagé par Richard Moore, qui a consacré un livre “au réinventeur” de la roue. “Il n’est pas du genre à crier sur les gens, mais son approche est tellement rationnelle et dénuée d’émotions qu’il peut manquer d’empathie.” Comme lorsqu’il fait appel à l’ancien dircom de Tony Blair, Alastair Campbell, pour régler sur le modèle du conflit nord-irlandais celui qui l’opposait à la pistarde Victoria Pendleton, après avoir découvert que celleci entretenait, en dépit du règlement, une relation avec son entraîneur, Scott Garner. Un compromis est trouvé. Pendleton décroche l’or et l’argent aux JO de Londres, puis se marie l’année suivante. Devenu chef d’empire, Sir Dave sait gérer avec un certain contentement les sujets délicats par un sens politique développé. “Il est à l’aise dans ce milieu, note Moore. Il est très ambitieux et sait comment éviter de répondre aux questions.” Mais depuis décembre, la technique s’est grippée et les nuages s’accumulent dans le ciel de la Sky. Et il ne fait jamais bon avoir un crâne trop lisse en cas d’orage.