Pedale!

NOTRE-DAMEDES-CYCLISTES, PRIEZ POUR NOUS…

Ici, on prie le Christ ressuscité, mais pas seulement. À la chapelle de Notre-Dame-des-Cyclistes, le pèlerin porte le cuissard et remplit sa gourde d’eau bénite. Depuis 1959, il rend aussi hommage au dieu cycliste au milieu des maillots d’Ocaña, Bobet, Me

- À LA BASTIDE D’ARMAGNAC ( LANDES) / PHOTOS: GD PAR GAUTIER DEMOUVEAUX,

il n’y avait pas ce portique surmonté d’une croix et de deux roues de vélo, le visiteur trop pressé pourrait passer sans faire attention à Notre-Dame-des-Cyclistes. Perdue au milieu des vignes et des champs de maïs, à la sortie du village de La Bastide d’Armagnac, l’endroit marque la frontière entre les Landes et le Gers et sent bon un Sud-Ouest fantasmé. C’est ici que le Tour de France doit passer le 12 juillet prochain, lors de la 11e étape reliant Eymet à Pau. À quelques jours de l’événement, l’effervesce­nce gagne gentiment le village. Éric Lestage, le curé de La Bastide, et donc responsabl­e religieux de la chapelle dédiée aux cyclistes de France et de Navarre, espère que le troupeau de ses ouailles à bicyclette sera groupé ce jour-là. “J’ai fait une demande à Rome pour que le pape prie pour notre chapelle et pour les coureurs du Tour, annonce l’homme d’Église. Et si, le jour de l’étape, il n’y a pas d’échappée au moment du passage de la course devant Notre-Dame-des-Cyclistes, le peloton devrait s’arrêter, me permettant ainsi de le bénir. Je suis en train de préparer une prière pour l’occasion, et elle devrait être traduite en anglais, espagnol, italien, et peut-être même en chinois.” Même si, aux dernières nouvelles, aucun coureur de l’Empire du Milieu n’est annoncé. À la différence de ses prédécesse­urs, l’abbé n’est pas trop porté sur la chose cycliste. Il avoue posséder un vieux VTT, dont il se sert surtout pour chercher le pain par beau temps. Cependant, il perpétue la tradition et célèbre chaque année, le jour du lundi de Pentecôte, la messe annuelle à Notre-Dame-des-Cyclistes. Pour l’histoire de ce lieu atypique, il renvoie volontiers à Claude Nadeau, son voisin direct. Ce retraité, président de l’associatio­n des amis de Notre-Dame, accueille tout au long de l’année les 15 000 pratiquant­s, pèlerins ou simples curieux, avec son équipe de bénévoles, “beaucoup de gens du Nord ou de Bretagne, mais aussi des étrangers. Notamment des Belges et des Hollandais… Que des passionnés de vélo!” Cet été, ce sera la cinquième fois que le Tour passe devant la chapelle. L’occasion de récupérer des nouvelles offrandes, à savoir les tuniques des champions, qui tapissent les murs intérieurs de l’édifice. “Nous avons les maillots de tous les vainqueurs du Tour depuis 1959, mais pas les trois derniers. J’ai contacté Monsieur Wiggins, qui m’a répondu que cela ne l’intéressai­t pas, déplore Nadeau. Froome m’a promis qu’il l’apporterai­t, mais je ne l’ai pas encore vu. Il a peut-être eu un peu de retard, avec le Brexit. Quant à Nibali, il m’a dit que s’il n’avait pas l’occasion de passer avant le Tour, il promettait de déposer un maillot le 12 juillet prochain...” Pour paraphrase­r le roi Henri IV, le voisin palois, S’

pour qui Paris valait bien une messe, une victoire à Paris vaut bien un maillot. Et on ne rigole pas avec le dieu des cyclistes.

La malédictio­n de Fignon

Le fameux Tour 1989 est là pour le rappeler. Ainsi, Laurent Fignon n’aurait pas laissé échapper la victoire seulement à cause du guidon de triathlète de Greg LeMond ou de sa douleur mal placée à la selle. Au départ de la 8e étape ce 9 juillet, le peloton s’élance au pied de la chapelle, l’Américain, alors maillot jaune en sursis, offre son paletot à l’abbé Massie, le fondateur du sanctuaire national. “Notre curé était juché sur une estrade en bois en train de bénir le peloton avec son goupillon juste avant le départ, et LeMond est descendu de vélo pour lui offrir son maillot, raconte Claude Nadeau. Sous la pression du public, il a dû l’enfiler sur sa soutane noire.” LeMond remportera cette édition pour huit secondes, les plus religieux ou superstiti­eux

André Darrigade, ancien sprinteur

auront vite fait de faire le raccourci avec l’offrande à Notre-Dame “Ne cherchez pas un maillot de Fignon dans la chapelle, il n’y en a pas. Quand l’abbé Massie lui a écrit après le Tour, il a refusé. Il a tellement été vexé que ce soit LeMond qui donne son maillot avant lui, qu’il n’a jamais voulu déposer le sien.” Le très cartésien Fignon a tout de même envoyé une photo, qui trône encore à côté de l’entrée de la chapelle. Villa gallo-romaine dans l’Antiquité, puis prieuré templier au XIIe siècle et lieu de passage des pèlerins vers Saint-Jacques-deComposte­lle, la chapelle de Géou, de son vrai nom, fut longtemps laissée à l’abandon, quand en 1958, Joseph Massie, le curé de La Bastide d’Armagnac, la redécouvre un peu par hasard. “Le père Massie est un enfant de la région, et grand passionné de vélo devant l’éternel, resitue Nadeau, qui l’a bien connu. C’est simple, ses parents lui ont offert un vélo à cinq ans, et jusqu’à sa mort, à 87 ans, il n’a pas arrêté de rouler. Il a été 18 fois à Saint-Jacquesde-Compostell­e, une douzaine de fois à Rome, quatre fois à Fatima… Et quand il avait un ou deux jours devant lui, il partait dans les Pyrénées pour monter des cols. Un vrai fou de vélo comme c’est pas permis.” Après une promenade en bicyclette sur les bords du lac de Côme en Italie, l’homme d’Église découvre une chapelle dédiée aux cyclistes italiens, un édifice construit en 1948 à l’occasion du Tour de Lombardie. “Il a mis ça dans un coin de sa tête, relate Nadeau. Quelques semaines plus tard, en plein coeur de l’été 1958, il donne une messe dans un village situé à une dizaine de kilomètres de La Bastide. Surpris par l’orage, il n’a pas pu se rendre jusque-là. Il avait entendu parler de cette ancienne chapelle, et tout le monde est venu se réfugier dans l’édifice, à l’abandon depuis des siècles. Il a dit sa messe ici, et pendant l’office, il a décidé de faire de ce lieu son NotreDame-des-Cyclistes, comme en Italie.” Joseph Massie évoque d’abord le sujet avec le maire du village, “les deux se connaissai­ent bien, car ils jouaient à la belote le lundi soir au café Tortoré”, précise le président d’associatio­n. Il contacte ensuite le préfet, monte même à Paris à vélo pour s’assurer du soutien de Jacques Goddet, le directeur du Tour de France, et termine sa tournée par l’évêque de Dax, qui lui explique que pour créer un sanctuaire national, il faut l’accord du Saint-Père. Qu’à cela ne tienne, notre curé pédale jusqu’au Vatican pour demander la bénédictio­n papale. “Il s’est mis en route dès le lendemain matin, 18 jours aller-retour! Il a été reçu par le pape Jean XXIII, qui a consacré la chapelle en Notre-Dame-des-Cyclistes. Vous pensez s’il était heureux. Il a repris son vélo, et il m’a dit qu’au retour, il ne sentait plus les pédales!” L’effet de l’eau bénite dans le bidon sans doute...

“En 1956, quand j’ai pris le maillot jaune, l’abbé Massie était venu me voir dans ma chambre. Je lui avais offert le gros bouquet de glaïeuls du vainqueur. Les gens ont commencé à se dire que j’étais pieux, comme les coureurs italiens de l’époque.”

Au rendez-vous des champions

En moins de dix mois, l’ancienne chapelle est restaurée, et Notre-Damedes-Cyclistes est inaugurée en grande pompe le 18 mai 1959, jour de la Pentecôte, avec tous les grands champions du moment. Parmi eux, André Darrigade, venu en voisin de Biarritz. “En 1956, quand j’ai pris le maillot jaune du Tour à Saint-Malo, l’abbé Massie était venu me voir dans ma chambre d’hôtel, rembobine l’ancien sprinteur aux 22 étapes remportées sur le Tour entre 1953 et 1964. Je lui avais offert le gros bouquet de glaïeuls du vainqueur. Les gens ont commencé à se dire que j’étais pieux, comme les coureurs italiens de l’époque. En 1958, pour mon mariage, je l’avais invité au café et, comme mon patron était très croyant, il lui a donné une grosse pièce pour restaurer la chapelle. En mai 1959, j’étais là pour l’inaugurati­on, et quand, quelques semaines plus tard, j’ai été champion du monde, il m’a paru naturel d’être le premier à lui remettre mon maillot ainsi que le maillot vert du Tour.” Claude Nadeau (17 ans à l’époque) était présent lors de l’inaugurati­on: “Les coureurs ont fait la fête une partie de la nuit ici, avec des lampions autour de la Vierge...” Une tradition qui se perpétue depuis, chaque année, lors du lundi de Pentecôte. Messe, randonnée cycliste qui se conclut par un grand gueuleton arrosé d’armagnac et de vin de pays. “Tous les ans, il y a des anciens champions, et ils annoncent la couleur. Ceux qui mènent le train, ce sont Anglade et Darrigade”, balance Nadeau. Et en effet, André Darrigade, 88 printemps, ne manque pas une édition, tout comme Henri Anglade, de cinq ans son cadet. On doit d’ailleurs à l’ancien double champion de France sur route (1959 et 1965) les vitraux de la chapelle, qu’il a réalisés et financés, et sur lesquels surgissent les silhouette­s de Coppi, Bartali, Anquetil et Poulidor. Les deux anciens champions devraient également être présents le 12 juillet, pour voir passer la jeune garde et partager, encore une fois, leurs souvenirs de vieux grognards. Claude Nadeau répondra présent bien sûr pour jouer les VRP pour sa chapelle. “Je n’ai jamais été fan de vélo, mais j’ai tellement bien connu l’abbé Massie que je lui devais bien ça! Il a baptisé ma femme, il nous a mariés, nous avons été voisins pendant des années, vu que j’habite à côté du presbytère… Alors quand son successeur, l’abbé Busquet, qui était enfant de choeur lors de

Claude Nadeau, président de l’associatio­n des amis de Notre-Dame

la fameuse messe sous l’orage, est venu me voir pour que je prenne sa suite à la présidence de l’associatio­n, j’ai accepté.” Un sacerdoce en quelque sorte, qu’il porte depuis 15 ans avec son équipe de bénévoles, tous retraités. Parmi eux, Giorgio Bonacci, administra­teur de l’associatio­n, qui prépare avec son président le passage du Tour de France. “Nous avons été contactés par la télévision néerlandai­se. Ils veulent faire une émission en direct dans la chapelle le soir de l’étape. Ils nous ont prévenus qu’ils venaient avec une trentaine de journalist­es et de technicien­s, ainsi que deux semi-remorques! Les habitués espèrent voir passer le Tour ici, mais ils vont avoir du mal à se garer.”

“Pour apaiser les choses, on a décidé d’enlever le maillot d’Armstrong… Si cela n’avait tenu qu’à moi, je n’y aurais pas touché. Et le curé de l’époque était d’accord, il m’avait dit que c’était un pécheur comme les autres, et nous ne sommes pas là pour juger…”

La disgrâce du maillot d’Armstrong

Pour ceux qui veulent venir découvrir les 800 maillots exposés dans la chapelle, il faudra peut-être venir un autre jour. Car la collection vaut tout de même le détour, notamment pour admirer les centaines de tenues déposées par des coureurs amateurs du monde entier. Celles des “supers-champions” sont placées dans l’entrée: les maillots de champion du monde de Darrigade, Brochard, Museeuw ou Boonen; les tuniques jaunes de Bobet, Merckx, Hinault, Indurain ou Evans; les maillots à pois de Virenque, Jalabert ou Sánchez. “Le dernier coureur à être venu déposer son maillot est Arnaud Démare, poursuit Claude Nadeau. Il a laissé un maillot de champion de France dédicacé. On l’a mis en hauteur, pour éviter les vols. Car j’ai dû contacter Jeannie Longo et Laurent Jalabert, parce que leurs maillots avaient été volés. Les deux nous ont gentiment renvoyé une tunique. Mais maintenant, on fait attention.” C’est le cas par exemple des trois maillots déposés par Luis Ocaña, ceux de champion d’Espagne, de vainqueur du Tour et de la Vuelta. L’Espagnol de Mont-de-Marsan avait une relation particuliè­re avec Notre-Dame… Quoi de plus normal pour un martyr du cyclisme. “Il s’est marié dans cette église en 1966, il a eu aussi sa messe d’obsèques en 1994 et sa veuve, Madame Josiane Ocaña, est venue faire baptiser son petit-fils l’année dernière dans ce baptistère, avec la famille au grand complet”, se souvient Claude Nadeau. Autre histoire, autre maillot, qui brille par son absence celui-là: la toison d’or de Lance Armstrong. “Ah, quelle histoire, ne m’en parlez pas”, souffle le président, encore tout ému de la décision qu’il a dû prendre en 2012 la mort dans l’âme, après que le nom du coureur texan a été radié du palmarès. “Un crève-coeur… Mais j’ai dû le décrocher, cela faisait trop d’histoires, entre les pour et les contre. Pour apaiser les choses, on a décidé de l’enlever, on le remettra peut-être plus tard. Si cela n’avait tenu qu’à moi, je n’y aurais pas touché. Et le curé de l’époque était d’accord, il m’avait dit que c’était un pécheur comme les autres, et nous ne sommes pas là pour juger…” L’affaire continue de passionner, puisque Claude Nadeau reçoit encore du courrier à propos de cette excommunic­ation symbolique. “J’ai encore reçu un mail il y a quelques semaines. La personne disait: ‘Vous avez enlevé le maillot d’Armstrong. Allez-vous enlever les autres? Va-t-il finalement en rester un?’” En attendant, le père Lestage compte bien confesser à Notre-Dame, le 12 juillet prochain, les cyclistes du monde entier. La statue de la Vierge, postée dans les jardins de la chapelle, tient d’ailleurs un globe terrestre dans ses mains. “Et ne faites pas comme Léon Zitrone, qui a confondu la terre avec un ballon de foot. Je ne vous raconte pas la réaction de l’abbé Massie, qui l’a engueulé vertement!” Au royaume de Dieu, il y a des choses avec lesquelles il ne vaut mieux pas plaisanter.

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À la recherche du maillot Le Carrefour de l’Arbre. d’Eddy Seigneur.
 ??  ?? “C’est quoi le code Wifi?”
“C’est quoi le code Wifi?”

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