Pedale!

“Je ne sais pas pourquoi, dès que j’ai un petit truc, on en parle direct”

Pour certains, il est un poissard abonné aux places d’honneur. Pour d’autres, une tête de mule au caractère ingérable. Nacer Bouhanni est surtout un des sprinteurs les plus talentueux de sa génération, et quelques semaines après une gamelle qui aurait pu

- PAR ALEXANDRE DOSKOV ET MARC HERVEZ, À VELAINE- EN- HAYE / PHOTOS: RÉMY ARTIGES POUR PÉDALE ! PANORAMIC ET ICONSPORT

Effondré sur le dos, les bras contre le corps, Nacer Bouhanni ne bouge plus. Aucune caméra n’a capté sa chute, mais elle a visiblemen­t été violente. Le sprinteur a les pieds au niveau du talus, le corps en travers de la route, et ses yeux clos indiquent qu’il est probableme­nt inconscien­t. Son cuissard a étonnammen­t résisté au choc, même si le logo Cofidis qui lui recouvre la cuisse est sali par une espèce de traînée noire. Son maillot vert de leader du classement par points semble lui aussi avoir tenu le coup, mais le sprinter n’en aura plus besoin une fois que l’ambulance l’aura embarqué vers l’hôpital. Sa gamelle monumental­e du 30 avril dernier, à 25 bornes de la ligne d’arrivée de la troisième et dernière étape du Tour de Yorkshire, a laissé des traces: commotions, trauma crânien, maux de tête, douleurs aux cervicales et perte de tonicité musculaire, due à ses dix jours d’hospitalis­ation. “Quand je suis sorti du lit, j’avais l’impression de devoir réapprendr­e à marcher, de redécouvri­r mes muscles. Donc on se demande si on va pouvoir revenir au niveau. Je veux reprendre la compétitio­n au plus vite et retrouver des sensations”, déclaraiti­l à quelques semaines du Dauphiné où il terminera troisième à Arlanc pour son sprint de retour. Avec appréhensi­on? “Je ne peux pas dire. Mais si on commence à se poser des questions, on n’y arrive plus. C’est un métier à risques, il faut en avoir conscience. Quand on va sur les routes faire quelques bornes pour l’entraîneme­nt, on se fait raser par des voitures à 50 centimètre­s. Mais il y a des choses plus graves.” Nacer Bouhanni n’aura de toute façon pas trop de mal à oublier son tête-à-tête avec l’asphalte anglais, puisqu’il n’en garde aucun souvenir. “Quelqu’un a traversé devant moi en pleine descente, il m’a balayé la roue avant, et je n’ai rien pu faire. Je me suis retrouvé inconscien­t par terre. Je ne sais même pas ce qu’il m’est arrivé, je répète ce qu’on m’a dit. J’ai juste vu les images de moi inconscien­t au sol.” Fin mai, installé dans la cuisine de sa maison en banlieue de Nancy, des stigmates de la chute encore sur les coudes, le coureur sait qu’il a évité le pire de peu. “C’est clairement la plus grosse chute de ma carrière. J’en ai pris pourtant... Je me suis cassé des dents, j’ai eu des points de suture à la bouche, au menton, j’ai eu des côtes cassées”, rembobine-t-il en passant en revue ses séjours aux urgences. Il y a eu

“Pourquoi il tombe? Je ne sais pas, il faut demander à l’étoile qui est au-dessus.” Geoffrey Soupe, son poisson-pilote

cette ligne droite à Chantonnay, en Vendée, théâtre de l’arrivée des championna­ts de France 2015. Ce jour-là, dans la chaleur étouffante de la fin du mois de juin, Nacer Bouhanni arrive au bout des 247 kilomètres avec un petit groupe d’une dizaine de coureurs. Théoriquem­ent, celui qui vient de signer chez Cofidis est intouchabl­e et ne devrait faire qu’une bouchée de ses compagnons de route au sprint, mais la poisse lui tombe dessus. Anthony Roux déboîte devant lui, Bouhanni termine au tapis, et l’anonyme Steven Tronet lève les bras deux cents mètres plus loin sur la ligne d’arrivée pour se parer du maillot bleu blanc rouge. Rageant. “À une seconde près, il lançait son sprint et c’était fini”, regrette encore Yvon Sanquer, manager général de l’équipe Cofidis. Dans la foulée, Bouhanni se présente au départ de la Grande Boucle à Utrecht, le 4 juillet 2015. Mais après une chute dans la deuxième étape, puis une autre trois jours plus tard, le Vosgien est bon pour l’abandon. Quoi d’autre? Paris-Nice 2013, où il est contraint de rendre son dossard dès la deuxième étape alors qu’il porte le maillot jaune sur les épaules. “L’année dernière aussi, Tour du Poitou-- Charentes, il était en train de gagner la deuxième étape pour sa reprise, et il y a deux coureurs dans sa roue qui lui fauchent la roue arrière et s’accrochent. Donc en réalité, les chutes où c’est lui qui se loupe, il n’y en a pas vraiment beaucoup. Il est amené à prendre des risques, il y a un manque de réussite parfois, mais il n’est pas maladroit, Nacer”, défend Yvon Sanquer. “Pourquoi il tombe? Je ne sais pas, il faut demander à l’étoile qui est au-dessus”, propose quant à lui son poisson-pilote Geoffrey Soupe. Son corps a beau avoir morflé, hors de question pour Nacer Bouhanni de lever le pied, d’aborder les courses différemme­nt ou de se métamorpho­ser en baroudeur, tel un Laurent Jalabert qui a dit stop aux arrivées massives après sa terrible chute d’Armentière­s sur le Tour 1994. “Je ne vais pas arrêter d’être sprinteur, parce que la plupart

de mes grosses chutes ne sont pas arrivées sur des sprints. Toujours pendant la course. J’ai peut-être chuté une fois au sprint depuis le début de ma carrière”, se dédouane-t-il. De toute manière, Nacer Bouhanni est formel: il ne chute pas plus qu’un autre. “C’est juste qu’on en parle plus, c’est surtout ça. Je ne sais pas pourquoi, dès que j’ai un petit truc, on en parle direct.”

Deux coqs dans le poulailler

Geoffrey Soupe, passé profession­nel avec Bouhanni chez FDJ en 2011 et qui l’a toujours suivi depuis, livre la même analyse: “Avec les médias, il y a toujours eu un petit plus avec Nacer. Les moindres petits trucs font toujours des grandes phrases. On ne peut pas l’expliquer, depuis la FDJ c’est comme ça.” Depuis le temps, Soupe est devenu un vieil habitué de la méthode Bouhanni et a appris à appréhende­r la bête. Quand ils avaient tous les deux vingt ans, pour leur première course profession­nelle, ils sont allés faire leurs classes ensemble à La Tropicale, au Gabon, où ils ont remporté une étape chacun. Ensuite, Soupe est rapidement devenu le poisson-pilote favori de Bouhanni pour l’emmener au sprint, rôle qu’il assure toujours aujourd’hui chez Cofidis. “Ça fait quand même sept ans que je le connais, on a partagé pas mal de choses, donc on se connaît relativeme­nt bien”, rappelle Soupe. Mais tous n’ont pas eu sa patience. Steve Chainel, ancien coéquipier recruté par Cofidis inclus dans le package FDJ Bouhanni-Soupe mais poussé vers la sortie pour manque de résultats, n’a “absolument rien à dire sur ce meclà”. Il y a deux ans, le sprinteur retraité Jimmy Casper, qui a lui aussi commencé sa carrière chez le géant national du jeu avant de passer chez l’organisme de crédit, lui reprochait son manque de conscience syndicale pour les petites mains, sans qui un sprinteur ne peut obtenir de résultats: “Il devrait respecter un peu plus ses coéquipier­s et leur faire gagner un peu d’argent, apprendre à partager. Sinon, son nouveau train ne durera pas longtemps.” Des attaques frontales que l’intéressé préfère balayer d’un revers de main: “Je suis coureur, pas manager, je n’ai pas à imposer quoi que ce soit dans mes négociatio­ns. Et Jimmy Casper, il a négocié pour qui, lui, dans sa carrière? Il faut lui retourner la question. Les donneurs de leçons, en général, c’est les pires.” Une passe d’armes qui illustre bien la fin en eau de boudin de la relation entre Nacer Bouhanni et l’équipe dirigée par le clan Madiot. Du côté du sponsor, on garde aussi un souvenir mitigé du passage du coureur, entre satisfacti­on sur le plan sportif et déception sur le plan humain. Recruté à 20 ans à peine, il a pour lui d’avoir rapidement prouvé. “Je me souviens d’un jeune déterminé, motivé, qui avait envie d’en découdre et de montrer qu’il était bon”, relate Marc Madiot. Mais si les premiers succès ne tardent pas – en 2012 Bouhanni devient à 21 ans le plus jeune champion de France depuis l’aprèsguerr­e –, les premières incompréhe­nsions pointent aussi le bout de leur nez. Alors qu’il se voyait étrenner son maillot tricolore sur le Tour de France de cette même année 2012, Marc Madiot refuse de l’emmener. “Il n’était pas encore prêt, c’est tout. Il faut du volume pour passer trois semaines de course.” En 2014, on lui fait sauter Milan-San Remo, la course de ses rêves. Pire, en plus du jeune Bouhanni, la FDJ compte aussi la carte Arnaud Démare, l’autre espoir français du sprint, avec qui il se tire la bourre depuis les catégories juniors et qui n’a qu’un an de moins que lui. Avec deux coqs dans le même poulailler, l’équation est compliquée à résoudre. L’état-major de la FDJ doit jongler entre les deux. Pas facile de gérer les ego, même si de l’avis même de Nacer, il n’y avait pas d’animosité entre les deux: “Chacun avait un groupe à son service et un caractère différent. Mais ça s’arrêtait là.” Madiot, lui, continue de défendre sa façon de faire. “La concurrenc­e a fait avancer les deux, ils gagnaient chacun une quinzaine de courses par an. Pour moi, c’était une relation qui tirait tout le monde vers le haut.” L’histoire se termine tout de même dans les éclats de vaisselle cassée. Comment pouvaitil en être autrement, quand on connaît les deux hommes? “Avec Madiot... On est tous les deux des caractérie­ls, c’est vrai”, admet Bouhanni. “Ça aurait pu mieux se passer... Mais on n’a jamais eu de grandes discussion­s ensemble. Finalement, on ne se connaît pas tant que ça.” La goutte d’eau qui scellera le divorce entre les deux hommes, c’est cette fameuse interview accordée à L’Équipe Magazine en septembre 2014. Quelques mois plus tôt, le natif d’Épinal a remporté trois étapes du Giro en ramenant le maillot rouge de meilleur sprinteur à la maison, mais il se lâche contre son équipe, et certaines phrases ne passent pas. Comme lorsqu’il compare les autres écuries à des bazookas, et la sienne à un petit pistolet. Le coureur prétend n’avoir fait qu’exprimer le fond de sa pensée. Mais Marc Madiot tranche: son sprinteur, qui a déjà négocié son transfert chez Cofidis, ne sera plus aligné de la saison. “Je savais qu’il avait

“Il a baigné dans le cyclisme. Dès les benjamins, il répétait que son objectif, c’était de devenir pro. À 11-12 ans, il s’imposait déjà un régime alimentair­e de champion. À cet âge, personne ne fait ça.” Philippe Jeanmichel, président de l’UC Contrexévi­lle-Mirecourt

une relation froide avec Madiot... Mais c’est pas simple d’avoir plusieurs leaders, reconnaît Yvon Sanquer. C’est un gagneur, il fait des sacrifices, il est exigeant avec lui et avec les autres. Mais ce n’est pas un communiqua­nt, Nacer. Il dit les choses comme il les ressent, sans se soucier de leur impact. Il faut qu’il apprenne à prendre du recul avec la déception. À froid, il a une bonne analyse, mais à chaud, il peut s’énerver.” Habituelle­ment, ce genre de trait de caractère est associé aux sprinteurs. Il s’est emporté? C’est normal, c’est un sprinteur, il est sous le coup de la décharge d’adrénaline de la fin de course. Il est un peu arrogant? Ben oui, c’est un sprinteur, ils sont tous comme ça, comme Cipollini, comme Cavendish. “À partir du moment où on est très fort, on a un caractère. On ne peut pas travailler pour un leader et s’attendre à ce que tout soit tout rose. Il y a forcément des remises en question, ça fait partie intégrante du rôle. Il faut savoir l’accepter et aller de l’avant, plutôt que de se dire ‘fait chier, c’est un con’”, estime Geoffrey Soupe, qui préfère retenir le côté perfection­niste de son leader: “Son image est un peu tronquée. Comme tous les pudiques, il arbore une certaine façade qui peut être prise pour de l’arrogance.” Et avec Bouhanni, l’indulgence laissée aux autres sprinteurs n’est pas de mise. Et encore moins depuis qu’il est arrivé chez Cofidis et qu’il a le plus gros salaire du cyclisme français. D’ailleurs, sur Google, la première recherche associée à son nom est “salaire”. Et il suffit d’une altercatio­n dans un hôtel ou d’une embrouille floue dans une bijouterie de Nancy pour que l’étiquette de “bad boy” lui soit collée dans le dos, ou que certains commentair­es en fassent le “Karim Benzema du peloton”. “Oui, j’ai déjà reçu des messages comme ça, confirme Bouhanni d’un ton laconique. Je suis passé à un stade où je ne regarde plus tout ça. Avant, je regardais ce que disaient les journaux sur moi et même les commentair­es. Maintenant, tout le monde utilise internet, Twitter, Facebook, Instagram... La critique est facile derrière un écran.” Mais même s’il évolue dans le monde du cyclisme, un milieu blanc et attaché à ses traditions, Bouhanni refuse de se réfugier dans les habits du discriminé. “Je ne veux pas croire à du racisme. Dans ma tête, je ne me dis pas ça, en tout cas. Je ne suis pas quelqu’un qui cherche à se faire passer pour une victime, ou à ce qu’on me plaigne, qu’on se dise ‘le pauvre!’ Je n’ai pas du tout cette philosophi­e.” Pur Vosgien né à Épinal comme son père et s’exprimant avec un accent typique de la région, Bouhanni est un casanier. À l’origine, la famille vient de Constantin­e en Algérie. Et depuis? Rien. Ni lui ni son père n’ont jamais mis les pieds là-bas. Et c’est dans sa région natale que le petit Nacer a usé ses premiers pédaliers.

Uppercuts et budgets serrés

Chez Bouhanni, cette volonté féroce d’atteindre ses objectifs ne date pas d’hier. C’est même une affaire de famille. Poussé par son père Karim, lui aussi mordu de vélo et habitué des courses en amateur, il monte sur selle à six ans. Dès ses premiers coups de pédales à l’UC Contrexévi­lle-Mirecourt, le petit Nacer ambitionne de faire carrière grâce à ses cuisses. “Il a baigné dans le cyclisme. Dès les benjamins, il répétait que son objectif, c’était de devenir pro, se remémore Philippe Jeanmichel, le président du club. Ça ne l’empêchait pas de rester humble. Par exemple, il était au-dessus du lot, mais il évitait sur les courses en circuit de prendre un tour aux derniers. Il refusait de les doubler par respect. Mais à 1112 ans, il s’imposait déjà un régime alimentair­e de champion. Il évitait le gras. À cet âge, personne ne fait ça.” Et pourtant, au moment d’évoquer des idoles de jeunesse, aucun nom ne sort. Hormis un, mais qui n’a pas grand-chose à voir avec le peloton: “Mike Tyson. Je me levais la nuit pour voir ses combats. En revanche, regarder le final d’une course, ça ne m’est jamais arrivé. Je ne suis jamais allé sur le Tour en tant que spectateur.” Il faut dire que chez les Bouhanni, on préfère casser la tirelire familiale pour accompagne­r le rejeton sur les courses du quart nord-est de la France que de prendre trois jours sans solde pour aller parquer sa caravane et planter le parasol sur les pentes du Galibier en juillet. Pour Karim Bouhanni, qui bosse encore aujourd’hui sur les chantiers comme couvreur, il y a peut-être la carrière du fiston au bout, celle que lui n’a pas pu tenter d’emprunter faute de moyens. Alors il se saigne pour la bonne cause. “Le cyclisme, c’est un sport assez onéreux, reconnaît le sprinter de Cofidis aujourd’hui. C’est aussi beaucoup de sacrifices pour les parents, notamment les week-ends en famille. Il faut faire une trotte pour aller sur une course, c’est pas le club où vous êtes licencié qui va vous y emmener. Je me suis déjà vu à l’âge de 14 ans faire 500 kilomètres avec mon père pour une compétitio­n un samedi. Puis on ne sait pas comment ça va se passer, on peut chuter, casser le matériel... Donc si on n’a pas les parents qui suivent, ce n’est pas possible de percer.” Une fois la quinzaine dépassée, le cuissard de l’UC Contrexévi­lle s’avère rapidement trop étroit pour ses cuisses. En 2006, Nacer Bouhanni s’engage avec le Sprinter Club Sarreguemi­nes, moins proche du foyer familial, mais qui présente l’avantage d’avoir “un budget vingt fois supérieur à notre club de Contrexévi­lle, note Philippe Jeanmichel. Quand on est ambitieux, il faut avoir les moyens de payer le matériel. Nous ne pouvions pas suivre.” En Moselle, il se frotte au gratin local, poursuit sa progressio­n et touche à la piste pour parfaire sa vélocité, “avec un certain talent, selon Thierry Christ, trésorier du club. Il est devenu sprinter sur le tard. À l’époque, il passait partout.” En plus de lui fournir un vélo pour les chronos et les tours de vélodrome, ce dernier doit aussi composer avec le tempéramen­t du père. Le sésame vers le monde pro est à ce prix. “Il s’occupait de son suivi. Je devais composer avec des budgets serrés, mais il négociait tout. Il ne lésinait pas sur les moyens: boissons énergisant­es, produits de récupérati­on, soins, denrées alimentair­es. Il fallait que l’on participe aussi à ses dépenses. On voit qu’il y avait chez lui la volonté de tout mettre en oeuvre pour que Nacer ait un avenir dans le cyclisme. Il a réussi, sans le griller. Et pourtant, je revois un entraîneur AG2R qui avait un oeil sur lui me dire qu’il était sceptique.” En parallèle, il rentre à la gendarmeri­e à l’âge de 18 ans, au groupement de Chanterein­e, à Épinal. Une bonne planque. “Pendant deux ans, j’étais détaché en tant que sportif de haut niveau, avec un programme aménagé, détaille-t-il. Je suis devenu gendarme pour ça: si j’avais fait un

“Il devrait respecter un peu plus ses coéquipier­s et leur faire gagner un peu d’argent, apprendre à partager.” Jimmy Casper

“Comme dans le cyclisme, j’aime la souffrance physique, le dépassemen­t de soi, l’aspect mental de la boxe. Sur un vélo, on est seul. Et sur un ring, pareil.”

autre métier, par exemple dans le bâtiment, je n’aurais pas pu continuer dans le cyclisme. J’étais tranquille. J’étais en uniforme, mais pas sur le terrain. J’étais au secrétaria­t. Je travaillai­s le matin et l’après-midi, j’allais m’entraîner. C’était aussi une voie de sécurité au cas où je n’aurais pas percé dans le vélo.” La poussée d’hormones qui accompagne habituelle­ment la puberté ne lui a pas fait changer de cap. “Je n’ai pas eu une adolescenc­e comme beaucoup de jeunes, confesse le sprinteur. Les sorties, les boîtes de nuit, tout ça, je n’ai pas trop connu, je me suis beaucoup consacré au cyclisme. Ça demande beaucoup de sacrifices. Même aujourd’hui. Mis à part aller boire un verre, aller au restaurant ou au cinéma avec des amis… Ça se résume à ça.” Bouhanni n’est pas homme à enchaîner les excentrici­tés. Chez lui, en plus d’une armée de sirops – son pêché mignon –, une Play Station à laquelle il touche peu, une table de billard, et un garage bien fourni dans lequel s’entassent deux voitures dont une Maserati Granturism­o MC Stradalen, une de ses seules folies. Le reste de son temps libre est réservé à son deuxième amour, celui du ring. Là encore, c’est son père, contraint de troquer le cyclisme contre la boxe anglaise après avoir cassé sa monture sans avoir les fonds pour la remplacer, qui lui transmet la fibre. Plus qu’un hobby, le noble art devient une passion. À tel point qu’aujourd’hui encore, le sprinter enfile les gants dès qu’il le peut. Parfois, c’est son pote Sofiane Takoucht, ancien champion d’Europe des poids plumes, qui vient mettre quelques uppercuts chez Bouhanni. On se souvient aussi, du temps où il courait pour la FDJ, de son “fais gaffe, je fais de la boxe” balancé à la face du vieux briscard italien Alessandro Petacchi qui lui avait assené un coup de poing dans le dos pour lui reprocher son placement. “Comme dans le cyclisme, j’aime la souffrance physique, le dépassemen­t de soi, l’aspect mental de la boxe. Sur un vélo, on est seul. Et quand on est sur un ring, c’est un peu pareil. Si on a fait les choses comme il fallait et qu’on s’est bien entraîné, ça va marcher. Sinon, on paye l’addition assez rapidement!” Là où l’ensemble du peloton aime partir en vacances à Curaçao, Nacer Bouhanni, lui, préfère passer la trêve hivernale les gants à la main. “J’ai du matériel pour boxer à la maison. Et chaque hiver, je fais des stages avec des pros à Charlevill­e-Mézières pour me maintenir en forme.” Un cauchemar pour ses entraîneur­s paranos à l’idée de le voir se blesser bêtement? Pas vraiment. Une nouvelle fois, Bouhanni préfère minimiser en expliquant que le risque est partout: “Mes entraîneur­s le savent, mais ils ne me l’interdisen­t pas. Sinon, on ne fait plus rien... Ceux qui font du ski aussi peuvent se faire mal, quand on voit ce qui est arrivé à Schumacher, tous les sports sont dangereux.” En ce moment, Nacer Bouhanni attend son prochain joujou, la piscine qu’il fait construire dans le jardin de sa villa en banlieue aisée de Nancy, où il compte le footballeu­r Benoît Pedretti comme voisin, et qui devrait être prête pour juillet. Mais il préférerai­t en profiter plutôt à partir d’août. “En juillet, j’espère quand même être sur le Tour”, dit-il en passant la main sur sa nuque meurtrie. Quand on est cycliste et boxeur, on sait doublement se relever.

Nacer Bouhanni •

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Virage à la corde.
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