QUESTION D’ACTU
“Nous nous dirigeons vers une montée du chômage forte et durable” par Yannick l’Horty, professeur d’économie à l’université Gustave Eiffel et chercheur au CNRS
À son plus bas niveau depuis 2008, le taux de chômage s’établissait début mars à 8,1 %, pour 2,4 millions de personnes en recherche d’emploi. Cette embellie perdurera-t-elle ? Face au coronavirus et à ses effets dévastateurs sur notre économie, rien n’est moins sûr. L’analyse de Yannick L’Horty, professeur d’économie à l’université Gustave Eiffel, et chercheur au CNRS. Comment analysez-vous la baisse du chômage en 2019 ?
Il y a eu une vraie amélioration du marché du travail : on note un retournement de tendance, partout en France, depuis 2016 pour les indicateurs du chômage, au sens du BIT comme de Pôle emploi. Le mouvement est général. Mais il faut aussi reconnaître que l’ampleur de l’amélioration du taux de chômage en 2019 est surprenante. Comment l'expliquer ? Il s’agit peut-être des conséquences des aides publiques données aux entreprises ; en particulier la bascule du CICE en exonération générale de cotisations sociales, qui a amélioré la situation des entreprises, et la réforme du marché du travail dans le cadre de la loi El Khomri, qui a rendu le marché plus flexible. Il n’est pas possible d’évacuer l’idée qu’il ne s’agit pas que d’une histoire de conjoncture, et que des décisions politiques et économiques ont incité les entreprises à créer des postes. Depuis 2016, on note par ailleurs une amélioration de la croissance, mais des rythmes de croissance tendancielle qui restent très faibles, avec des gains de productivité restés aussi très faibles. Si pour un point de croissance, nous avons généré plus d’emplois qu’il y a 10 ou 15 ans, c’est donc parce que l’environnement de création d’emploi s’est modifié.
Comment voyez-vous la situation de l’emploi pour 2020 ?
Si vous m’aviez posé la question juste avant la crise du coronavirus, je vous aurais répondu que les effets de la bascule du CICE en exonération de cotisations auraient continué à se faire sentir, mais que la courbe aurait fini par ralentir. À partir de juillet, les inflexions de la croissance se seraient transmises à l’emploi, et nous aurions assisté à une nouvelle augmentation du chômage ; mais qu’auraient pu amortir des réformes et des aides fiscales. Mais l’épidémie de Covid-19 a tout changé. Ses effets seront massifs. Nous étions dans un contexte d’amélioration progressif des chiffres du chômage et du marché du travail, et la crise remet en question, de façon nette les tendances passées. Après l'arrêt de l’ensemble des procédures de recrutement et la mise entre parenthèses de l’activité dans une grande partie des secteurs pendant deux mois, le contexte actuel est éminemment récessif. Le PIB risque de baisser largement, entre – 2 et – 6 points en un an. Nous ne serons pas loin de la crise de 2008-2009, durant laquelle nous avions eu – 3 points de recul du PIB en France, et une perte de 500 000 emplois. Désormais, plutôt que des créations d’emploi moindres et une légère stagnation, nous pouvons donc nous attendre à une montée du chômage qui risque d’être à la fois forte et durable. L’incertitude entoure l’ampleur des mesures politiques qui seront mises en oeuvre pour tenter d’amortir les effets de cette récession, et leur adéquation aux besoins des entreprises. Pendant le confinement, le gouvernement a généralisé le chômage partiel et a mis en place de nombreuses aides pour la trésorerie des organisations, mais cela suffira-t-il à éviter des licenciements après la crise ? Rien n’est moins sûr. L’épidémie actuelle risque en outre de durer un certain temps. Nous faisons face à une crise massive qui devrait concerner toutes les catégories de demandeurs d’emploi, tous les secteurs d’activité et toutes les régions de France.
Et si l’épidémie de coronavirus était bientôt jugulée ?
Nous partions sur l’hypothèse que les entreprises n’auraient plus de difficultés à recruter, en raison des batteries de réformes passées. Mais globalement, avec le coronavirus, nous devrions assister à des destructions d’emplois, donc à une hausse du chômage ; à moins que cela ne soit jugulé et compensé par la généralisation du chômage partiel. Il y aura certainement un rebond de l'économie, mais l’année 2020 restera inéluctablement marquée par le premier semestre.