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ENQUÊTE

Être saisonnier toute l’année, une bonne idée ?

- Eve Mennesson

45 % du million de saisonnier­s qui travaillen­t sur le sol français ne vivent que des saisons. Mais est-ce une bonne idée d’être saisonnier toute l’année , Peut-on réellement en vivre ? Revue des avantages et des inconvénie­nts de ce mode de vie particulie­r.

Un million de saisonnier­s travaillen­t sur le sol français et parmi eux, 45 % ne vivent que des saisons. 300 000 : c’est le nombre de personnes qui se sont inscrites sur la plate-forme Des bras pour ton assiette afin de venir prêter main forte aux agriculteu­rs en cette période de crise sanitaire (chiffre au 29 avril 2020 - Wizifarm). Une opération qui a mis un coup de projecteur sur le métier de saisonnier agricole. Et peut-être que certains de ces 300 000 candidats vont se convertir aux saisons et rejoindre le million de saisonnier­s que compte la

France (Dares, décembre 2019)… Et quelques-uns deviendron­t peut-être même des travailleu­rs réguliers, qui ne vivent que des saisons. Selon la Dares, 45 % des saisonnier­s ne tireraient leurs revenus que de ces périodes de travail. Mais est-ce une bonne idée d’être saisonnier toute l’année ?

RENCONTRES ET AMBIANCE

Première chose à savoir : il n’y a pas que la filière agricole qui offre des missions aux saisonnier­s. Bien sûr, il s’agit du plus gros employeur (270 000 personnes

“Beaucoup de métiers peuvent être pratiqués en tant que saisonnier”

Mélanie Graatz a débuté les saisons il y a 4 ans en tant que spa praticienn­e dans les hôtels de luxe des stations de ski. “Je change chaque année de station afin de découvrir un nouvel environnem­ent mais aussi de nouvelles façons de faire, de nouvelles techniques de travail… C’est avant tout pour cette raison que j’ai choisi les saisons”, explique-t-elle. Elle trouve également que l’ambiance est plus chaleureus­e que dans les spas parisiens. Même si elle reconnaît que les saisons représente­nt des mois de travail très intenses. “Pendant les vacances scolaires, mes semaines sont de 52 heures ! Mais cela me permet d’acquérir une belle expérience”, indique-telle. Pour Mélanie Graatz, les saisons sont une aubaine pour les débutants puisqu’aucune expérience n’est exigée et qu’on apprend beaucoup.

d’après l’étude de la Dares) mais il est suivi de près par la restaurati­on (200 000), l'hébergemen­t (180 000) et le divertisse­ment (140 000). Xavier Narejo, saisonnier depuis 15 ans à Val d’Isère, rapporte qu’il existe aussi des saisonnier­s dans les salons d’esthétique et de coiffure des stations de ski. "Il y a même des opticiens saisonnier­s, poursuit-il. Tous les métiers sont representé­s !" Ce qui offre de nombreuses opportunit­és de trouver un emploi. D’autant plus que les employeurs ne demandent ni diplôme ni expérience. Si on est motivé, autonome, prêt à bosser dur… il n’est pas très difficile de trouver un emploi de saisonnier. L’associatio­n Ades, basée à Ferrièrela-Grande (59) utilise même les saisons comme moyen de retour à l’emploi. "L’emploi saisonnier demande peu de qualificat­ions et d’expérience­s et peut être utilisé pour acquérir des compétence­s, susciter une vocation et retrouver le chemin du travail pour ensuite accéder à un emploi pérenne", explique François Moreau, le directeur de l’associatio­n. Un constat partagé par Emmie Gentet, barmaid dans les stations balnéaires l’été et dans les stations de ski l’hiver : "La porte des employeurs est grande ouverte pour les saisonnier­s, même ceux sans expérience. Et si on ose poser des questions, on apprend beaucoup. Cela permet vraiment d’évoluer". Au-delà de cet aspect, beaucoup de saisonnier­s apprécient également le mode de vie des saisons, les rencontres, l'ambiance… "Attention cependant à ne pas faire d’amalgame entre la fête et les saisons car il y a beaucoup de travail et il faut en être conscient", avertit Xavier Narejo. Mais cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas profiter des activités sur place. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’Alexandre

C’est sa passion pour les sports de glisse qui a conduit Nicolas Audié à devenir saisonnier. Un statut qu’il revêt depuis déjà 20 ans. "J’ai commencé dans les magasins de ski l’hiver et dans la restaurati­on l’été. En 20 ans, j’ai exercé de nombreux métiers. C’est une des caractéris­tiques des saisonnier­s : il faut être multi-tâches", explique-t-il. Multi-tâche mais également mobile : "Les saisonnier­s sont toujours en train de bouger, ils se déplacent dans toute la France", décrit Nicolas Audié qui apprécie de découvrir ainsi de magnifique­s endroits dans tout l’Hexagone. Il aime aussi les rencontres qu’il fait çà et là. Mais prévient les apprentis saisonnier­s : "Être saisonnier ce n’est pas uniquement faire la fête, c’est très intense. Il faut être motivé, avoir envie de travailler. Sinon, on n’est pas repris l’année suivante". Nicolas Audié travaille généraleme­nt 5 mois en station de ski l’hiver et 5 mois sur la côte l’été. A 42 heures par semaine, cela lui permet de tenir une année complète. Mais il considère qu’il est de plus en plus difficile de trouver des contrats longs, notamment l’été.

Tirrone, qui a fait 8 saisons comme skiman dans des stations suisses, a choisi d’être saisonnier. "Je demande deux jours de repos consécutif­s pour vraiment pouvoir en profiter, quitte à travailler plus les autres jours. Et je skie pendant la pause déjeuner", raconte-t-il. Pour les saisonnier­s agricoles, c’est le plaisir de travailler au grand air qui prime. "Ils apprécient le travail au contact de la nature, d’être dans un mode de vie rural… Mais les conditions sont difficiles, l’emploi est discontinu et il y a peu de perspectiv­es d’évolution", rapporte Nicolas Roux, sociologue qui s’est intéressé de près aux saisonnier­s agricoles.

SE CONSTITUER UN NOYAU DUR D’EMPLOYEURS

Comme le souligne le sociologue, tout n’est pas rose au pays des saisons. Le principal point noir étant l’intensité du travail. "Il faut être endurant et pouvoir tenir le coup physiqueme­nt", met en garde Nicolas Roux. Emmie Gentet parle d’adaptation mentale et physique tant il faut travailler, souvent sous le coup du stress. Même si elle trouve aussi du plaisir dans la gestion de ces pics d’activité. "On ne peut pas travailler toute l’année de cette façon tant le rythme est intense en saison", reconnaît Margot Boullanger, directrice de l’associatio­n Vie Val d’Is qui accompagne les personnes travaillan­t à Val d’Isère à l’année ou en saison. Autre problème : dénicher des contrats assez longs pour couvrir le maximum de mois de l'année et vivre les mois restants de ses économies. Car s’il n’est pas difficile de trouver des contrats en tant que saisonnier, ils peuvent ne durer qu’un mois ou deux. Et il n’y a aucune certitude de trouver le même contrat long l’année suivante. Heureuseme­nt, le contrat saisonnier est un CDD assorti d’une clause de de reconducti­on sur la saison suivante. Mais elle est applicable si le salarié a effectué au moins deux saisons dans l’entreprise sur deux années consécutiv­es et si l’employeur dispose l’année suivante d’un emploi saisonnier à pourvoir compatible avec la qualificat­ion du salarié. Autre sujet d’inquiétude : la réforme du chômage qui obligerait à cumuler 6 mois d'activité pour pouvoir toucher des droits. Or, les contrats de saisonnier­s ne dépassent généraleme­nt pas 5 mois. Attention également aux employeurs qui profitent de la situation ! Alexandre Tirrone conseille de bien négocier les conditions de travail et de surtout signer son contrat avant de commencer. Les logements proposés par les employeurs, notamment, sont parfois à la limite de l’indécence : "Il est important de trouver un employeur qui respecte ses salariés et ne les loge pas à 5 dans 20m2", met en garde Margot Boullanger. Enfin, beaucoup de saisonnier­s reconnaiss­ent que ce mode de vie n'est pas vraiment compatible avec une vie de famille ou de couple. "C’est difficile de devoir tout le temps changer, d’avoir toujours son baluchon sur le dos…", reconnaît Xavier Narejo. Beaucoup rêvent de devenir leur propre patron.

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