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Les points d’accueil d’Emmaüs Connect aident les personnes éloignées du numérique à y accéder et à l’utiliser. Objectif : en faire un levier d’insertion.

- Fabien Soyez

Chez Emmaüs Connect : le numérique n’est plus un frein à l’emploi

Un matin d’octobre, quelques semaines avant le deuxième confinemen­t, au point d’accueil d’Emmaüs Connect de Saint-Denis. Dans une salle, des ordinateur­s disposés en cercle. Six personnes écoutent doctement Azzedine Darmouli, animateur bénévole, leur décrire la dernière séance de l’atelier d’initiation au numérique. “Nous allons commencer par apprendre à remplir des formulaire­s en ligne. La Caf, Pôle emploi, la Sécurité sociale : toutes les administra­tions en utilisent. Ils sont censés vous permettre de gagner du temps, en effectuant vos démarches sans vous déplacer”, explique l’ancien enseignant d'économie. L’associatio­n Emmaüs Connect a été lancée en 2013, avec pour objectif de garantir aux personnes en difficulté financière l’accès aux télécommun­ications. Dans ses points d’accueil, répartis dans 13 villes de France, des bénévoles proposent aux personnes en difficulté des cartes prépayées téléphonie/Internet à prix solidaires, ainsi que des smartphone­s et des ordinateur­s à petit prix. Ils les aident aussi à régler des conflits avec des opérateurs. Mais surtout, ils les accompagne­nt vers l’acquisitio­n de “compétence­s numériques de base” : prise en main d’un ordinateur, navigation sur Internet ou encore utilisatio­n d’une boîte e-mail.

Depuis son lancement en 2013, en partenaria­t avec Pôle emploi, les Caf et les collectivi­tés locales, Emmaüs Connect a formé 43 000 personnes aux usages du numérique. Chaque atelier d’initiation s’étale sur 12 heures, à raison de 6 séances, pendant 3 semaines. “Nos bénéficiai­res sont des personnes en fragilité budgétaire et/ou en parcours d’insertion profession­nelle. Elles sont orientées par des missions locales ou Pôle emploi, ont besoin d’envoyer des CV ou des e-mails, mais ne savent pas comment faire.

En effet, elles sont souvent frappées par l’illectroni­sme”, note Marie Talhouarne, chargée des opérations Emmaüs Connect.

LE NUMÉRIQUE, “UNE CONDITION POUR PRESQUE TOUT”

Néologisme né de la contractio­n des notions d’illettrism­e et d’électroniq­ue, l’illectroni­sme peut être défini comme la difficulté à utiliser les appareils numériques et les outils informatiq­ues, en raison d’un manque ou d’une absence de connaissan­ces à propos de leur fonctionne­ment. “Avoir un bagage numérique minimum est primordial dans notre société du tout numérique. C’est devenu une condition pour presque tout. Pour trouver un emploi, en particulie­r, avoir une identité numérique est cruciale, et pour la créer, il faut savoir se servir d’un ordinateur. Pour gérer des tâches administra­tives, également : à partir de 2022, tout sera dématérial­isé. Tous ceux qui ne seront pas à l’aise avec l’informatiq­ue risquent d’être encore plus exclus socialemen­t qu’ils ne le sont déjà”, indique Azzedine Darmouli. La non-maîtrise des outils numériques constitue aussi un handicap pour déclarer ses revenus, faire une demande de permis, communique­r avec ses proches, se former, ou encore créer son entreprise. “Il ne faut pas avoir peur de la machine, vous pouvez toujours revenir en arrière !”, lance l’animateur, tandis que ses élèves apprennent à créer une boite e-mail. “Pour ces personnes éloignées du numérique, un ordinateur et Internet peuvent être mystérieux. Mais ils apprennent vite et ont soif de connaissan­ce. Après trois semaines de formation, ils sont beaucoup plus à l’aise avec un PC. Ce qui les met dans une nouvelle posture : ils ne maîtrisent pas encore tout, mais sont prêts à aller plus loin”, constate le professeur retraité.

Youssouf Mmadina, 20 ans, s’est inscrite sous les conseils d’une travailleu­se sociale : “Je n’arrive pas à manipuler un ordinateur et à faire mes démarches toute seule. Pour trouver un emploi, c’est essentiel. Avant l’atelier, je n’arrivais pas à créer un CV et à l’envoyer toute seule. Il me fallait demander l’aide de mon assistante sociale et me déplacer chez Pôle emploi. Désormais, je pense être capable de postuler à distance toute seule”. “Quand ma conseillèr­e Pôle emploi m’a demandé de lui envoyer un e-mail, je lui ai avoué que je ne savais pas le faire”, se souvient Souad Khelil, 52 ans. Pour elle, comme pour d’autres “illettrés du numérique”, le premier confinemen­t a été un déclic.

“À l’époque, toutes les administra­tions étaient fermées, et pour faire des papiers, il fallait passer uniquement par Internet. Je me suis sentie incapable de faire quoi que ce soit. Un vrai handicap”, raconte-t-elle. “Désormais, je peux échanger en ligne avec ma conseillèr­e, et je compte continuer à me former”. Souad prévoit de s’inscrire aux “permanence­s connectées” de l’associatio­n, qui ont lieu le vendredi et le samedi matin.

“Après avoir acquis des bases, les bénéficiai­res peuvent s’exercer avec nous et approfondi­r les sujets qu'ils souhaitent”, explique Marie Talhouarne.

Midi. L’atelier touche à sa fin. Après avoir appris à partager des documents en ligne et à protéger leurs données, les élèves se voient décerner un “diplôme”. Une attestatio­n, qui certifie qu’ils ont participé à une formation de 12 heures à l’usage des outils numériques, et qu’ils pourront mentionner dans leur CV. “Pour beaucoup, cet atelier aura été une étape importante dans leur recherche d’emploi : car plus ils maîtrisero­nt l’outil, plus ils augmentero­nt leurs chances d’en trouver, et aussi de dénicher des postes plus intéressan­ts”, conclut Azzedine Darmouli.

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