SANS BERGERIE
L'ÉLEVEUR ET LE CHEF
À quoi Warren Bryant (ci-dessous, à gauche) reconnaît-il ses agneaux les plus chanceux ? Ils terminent dans la cuisine de Rex Morgan. Le chef du Boulcott, à Wellington, est « Ambassadeur de l'agneau et du boeuf de Nouvelle-Zélande ». Dans un éclat de rire à la Henri Salvador, il joue les modestes : « Ambassadeur, moi ? » Ne vous fiez pas à cette fausse humilité et, si vous en avez l'occasion, foncez : cet homme cuisine l'agneau comme personne. Si l'élevage bovin se porte bien en Nouvelle-Zélande, celui des moutons, lui, est en chute libre. Certes, on estime encore leur nombre à 27 millions (soit cinq fois plus que d'habitants), mais ils étaient le double il y a une vingtaine d'années. Moins rentable que la volaille ou les vaches, il est aussi peu à peu éliminé des plaines par l'extension des villes. Repoussé vers la moyenne montagne, où le travail est plus dur, il n'intéresse plus que les puristes qui savent que leurs bêtes leur seront payées un bon prix, grâce à une qualité irréprochable. Warren Bryant est de ceux-là. Sixième génération d'une famille d'éleveurs arrivée d'Angleterre en 1859, il est à la tête d'un cheptel de 2300 brebis, toutes élevées en plein air et uniquement nourries à l'herbe. Et pour cause : « Il n'y a pas de bergerie dans ce pays ! explique-t-il. Pas non plus d'insémination, d'antibiotique ou de clonage. Tout se fait naturellement. Si une bête est malade, les distances sont trop grandes pour aller la repérer, la récupérer et la soigner. Alors elle meurt ou elle guérit. C'est aussi simple que ça. » Les agneaux de Warren ont une forte probabilité d'être mangés en France: il vend ses meilleures bêtes à Taylor Preston, le principal exportateur d'ovins vers notre pays. Soit 5 000 tonnes d'agneaux, sur les 20 à 30 000 tonnes que nous importons chaque année (toutes provenances confondues). Après transformation, les pièces de viande sont conditionnées sous atmosphère modifiée et prennent la mer pendant 28 jours pour aboutir en Bretagne, dans l'entreprise NZ Direct qui les distribue sur tout le territoire. Dans l'assiette? Une viande saine, goûteuse et bon marché, qui rend fous de rage les éleveurs français soumis à des taxes que ne connaissent pas leurs concurrents du bout du monde.