Regal

THIERRY MARX NE JETTE RIEN

- PROPOS RECUEILLIS PAR EVE-MARIE ZIZZA-LALU

Près du tiers de la nourriture produite dans le monde est gaspillée chaque année, et le rythme s’accélère. Pourtant, il n’y a aucune fatalité. Les produits sont faits pour être mangés en entier. La preuve par Marx.

> Vous êtes un adepte du « rien ne se perd, tout se transforme ». Expliquez-nous… Dans l’histoire de la cuisine, les déchets n’existent pas. Archestrat­e, Carême, Gouffé, Escoffier… parmi tous ces cuisiniers qui ont marqué leur temps, aucun n’utilise le mot « déchets ». Ils parlent éventuelle­ment d’« issues : les peaux, les épluchures, les os et les arêtes sont réservés à d’autres usages. Les laitances de poisson, à l’époque de Jules Gouffé, sont appelées « simples de la mer ». Même les viscères de poisson sont cuisinés. C’est également le cas au Japon, pays qui est champion de la valorisati­on du produit. La société de consommati­on a créé le déchet !

> Vous avez inventé un nouveau terme pour remplacer le mot déchets… La nature ne produit pas de « déchets » au sens négatif où on l’entend… La consommati­on nous a consumé les neurones au point qu’il nous paraît normal de jeter ! Pour changer notre regard sur les choses, nous avons donc inventé la notion de « co-produit ». Qu’y a-t-il dans l’épluchure d’une carotte ? De la cellulose, des saveurs, des arômes premiers. En faisant cuire ces épluchures, j’obtiens un bouillon extrêmemen­t intéressan­t. L’idée est de mieux comprendre, et donc de mieux exploiter la richesse de chaque produit pour l’assimiler le plus complèteme­nt possible.

> Au lieu d’ajouter des ingrédient­s extérieurs, il s’agit de mieux utiliser chaque produit ? Oui. Par exemple, je peux faire une tarte aux pommes sans ajouter de sucre saccharose. Si j’utilise les épluchures de pommes pour en faire un sirop, je récupère la pectine et le sucre naturel du fruit. On passe de 70 à 95 % de produit exploité. L’écorce de l’orange contient des huiles essentiell­es, de la pectine, du sucre... il est donc tout à fait possible de réaliser une confiture sans aucun sucre ajouté. L’épluchure de pomme de terre aussi est délicieuse, elle corse le goût d’une purée…

> C’est difficile à concilier avec le poids de l’agroalimen­taire dans notre alimentati­on aujourd’hui… Ce sont les consommate­urs et les journalist­es qui font le succès de l’agroalimen­taire ! On a l’agroalimen­taire qu’on mérite. Lisez les étiquettes. L’agroalimen­taire, c’est de la non-cuisine. Vous faites confiance à des financiers pour vous nourrir sous couvert de dépenser moins d’argent… Cet argent soi-disant économisé, vous le dépenserez pour vous soigner ensuite ! En même temps, ces gens-là sont au bout de leur système. Ils ont du mal à sourcer un produit et de plus en plus de mal à convaincre leurs clients. Chaque nouvelle tendance donne lieu à la création de nouvelles lignes de produits : vegan, sans gluten… avec les mêmes défauts que les précédente­s. Ils sont bourrés d’intrants, d’additifs, d’ajouts inutiles. Vous êtes vegan, intolérant au gluten ? Faites la cuisine !

« C’EST LA SOCIÉTÉ DE CONSOMMATI­ON QUI A CRÉÉ LE DÉCHET ! »

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