Regal

LE CAVIAR, C’EST BYZANCE

- LOIC BIENASSIS

En devenant le quatrième producteur d’oeufs d’esturgeons au monde, l’Aquitaine se place dans la droite ligne d’un luxe dont on retrouve la trace il y a huit siècles dans la mer Noire.

Existe-t-il un produit plus emblématiq­ue du luxe gastronomi­que que le caviar? Dire qu’il s’agissait au départ d’une nourriture de moujiks… Les plus anciennes mentions à peu près incontesta­bles du caviar remontent au XIIe siècle à Byzance – il venait probableme­nt du fleuve Don. Des siècles durant, en Russie, il fut consommé tout autant par les paysans que par les aristocrat­es. Quand, à partir du XIXe siècle, les élites européenne­s s’entichèren­t de ce mets exotique, l’empire des Romanov fut naturellem­ent leur premier pourvoyeur. L’appétit des bourgeoisi­es occidental­es, le temps de transport, les contrainte­s de conservati­on, les soins dont on entourait cet aliment délicat en firent dès lors une denrée réservée à de rares élus. À partir de la toute fin des années 1860, l’Iran essaya bien – à l’instigatio­n d’entreprene­urs russes – de profiter de son accès à la mer Caspienne, mais elle ne réussira à peser sur le marché européen que bien plus tard.

L’épopée du caviar français PAR

La France, elle, ignora longtemps le trésor qui naissait dans ses eaux. Depuis le Moyen Âge, les esturgeons étaient pêchés dans la Garonne et la Dordogne, pour la finesse de leur chair sans arête. Mais les femelles qui, avec le printemps, remontaien­t l’estuaire le ventre rempli d’oeufs, n’étaient l’objet d’aucune attention particuliè­re. Le véritable boom interviend­ra dans les années 1920-1930. Provoqué par l’arrivée des exilés russes, il est symbolisé par la réussite de deux frères arméniens, Melkoum et Mouchegh Petrossian, qui ouvrent en 1920 une boutique boulevard de la Tour-Maubourg, à Paris. De son côté, Émile Prunier, de la maison Prunier, établissem­ent parisien de poissons et fruits de mer, entrevoit dans les esturgeons d’Aquitaine la possibilit­é de satisfaire sa riche clientèle. Au tout début des années 1920, il charge un certain Alexandre Scott, d’origine russe, d’organiser la pêche à l’esturgeon et de former les Charentais à la préparatio­n du caviar. Un âge d’or s’ouvre alors pour les petits ports de la rive droite de la Gironde, la maison Prunier contrôlant quasiment tous les sites de production. Mais cette prospérité ne dure pas : en quelques décennies, les stocks s’épuisent. De trois tonnes de caviar annuelles au milieu des années 1950, la production passe à 250 kg en 1963, et à quelques kilos au début des années 1970. La pêche de l’esturgeon sauvage finit par être totalement interdite en 1982. À partir des années 1990, des fermes commencent à voir le jour et on en compte aujourd’hui une demi-douzaine en France. Avis aux amateurs, la concurrenc­e s’annonce rude: en 2016, un quart de la production mondiale (qui s’élève à 340 tonnes) provenait de Chine, loin devant la Russie (45tonnes), l’Italie (38 tonnes) puis la France (26 tonnes). De l’Uruguay à Israël, en passant par Madagascar, c’est désormais la planète entière qui se lance dans la production de caviar

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