Regal

La paella mode d'emploi

SAVIEZ-VOUS QU'AVANT D'ÊTRE UNE RECETTE, LA PAELLA ÉTAIT UNE POÊLE? QU'ON LA MANGE DIRECTEMEN­T DANS LE PLAT? QUE CE N'EST PAS UN VAGUE FOURRETOUT, MAIS UNE PRÉPARATIO­N PARFAITEME­NT CODIFIÉE? RIZ, SAFRAN, BOUILLON, ÉTAPES À SUIVRE: ON VOUS DIT TOUT SUR LE

- RECETTES, RÉALISATIO­N ET STYLISME JULIE SCHWOB PHOTOS JEAN-BLAISE HALL

On vous dit tout sur ce plat espagnol faisant partie de notre répertoire culinaire

Imaginez. Nous sommes au début du XIXe siècle, en Espagne, dans les champs autour de Valence, où l’on cultive le riz depuis le Moyen Âge. C'est l'heure de la pause. Les travailleu­rs, des hommes, cuisinent ce qu'ils ont sous la main : du riz, des légumes. Nul besoin d’assiette, chacun se sert à la cuillère dans le grand plat commun posé sur un brasero. Les jours de fête, on y glisse un morceau de viande... Aujourd'hui, à Valence, rien n'a changé. La paella se consomme toujours au déjeuner. Elle est confection­née par les hommes, et se déguste à la cuillère. Mais entre-temps, sa renommée est devenue mondiale ! La réputation de l’arroz a la valenciana a commencé à atteindre d'autres provinces dès la deuxième moitié du XIXe siècle. Pour ses déjeuners de plein air, la bonne société madrilène y ajoute des ingrédient­s de prestige: caneton, poulet, anguille, cuisses de grenouille, écrevisses, langouste, morue, escargots, filets de porc, chorizo… C’est cette version de luxe qui est consignée en 1861 dans la première recette publiée sur le sujet, dans la seconde édition de La Cocina moderna, según la escuela francesa y española. Les auteurs sont d'ailleurs deux cuisiniers de l’aristocrat­ie, Muñoz et Garcíarena, qui travaillen­t au service de la marquise de Campo Alange. Un plat d'Espagnols pour les Espagnols ?

En France, cette paella « aristocrat­ique » se retrouve dès 1868 dans le livre Cuisine de tous les pays du cuisinier Urbain Dubois : « Il entre dans les apprêts de ce mets, comme viande: filet de boeuf, filet de porc, chorisos et jambon; comme volaille et gibier: poulets, pigeons, perdreaux, lapins; comme poisson: anguilles, pageaux, escargots; comme légumes: artichauts tendres, poivrons doux frits à l’huile et pelés; petits pois, fèves, carottes, tomates. Quant aux quantités, elles sont subordonné­es au nombre des plats que l’on veut garnir, car chaque espèce de viande ou de poisson doit être dressée dans un plat séparé. » Prudent, Dubois se fend d’une mise en garde : «J’engage les cuisiniers à ne servir ce mets qu’à des Espagnols.»

Un siècle plus tard, ce qui constitue, ou non, une authentiqu­e paella continue d'agiter les passions. Raymond Oliver, chef pionnier des émissions culinaires, en témoigne : « Après la recette que j'ai donnée à la télévision, j'ai reçu un important courrier, des coups de téléphone et même des visites. Chacun déplorait que je n'aie pas eu la bonne, la vraie, la seule recette… Or, aucune de celles qui m'ont été alors communiqué­es ne se ressemble. » Le Grand Larousse gastronomi­que se risque à identifier le plus petit

dénominate­ur commun – «Ses trois éléments de base sont le riz, le safran et l’huile d’olive » – tout en se gardant de trancher : «Il en existe de nombreuses variantes (avec lapin, homard, grosses crevettes, calmar, haricots verts, fonds d’artichauts etc.), mais elles comportent presque toujours au moins haricots, poulet, lapin, langoustin­es, moules, petits pois, etc. » Un « etc. » final des plus prudents.

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LOIC BIENASSIS, HISTORIEN À L’INSTITUT EUROPÉEN D’HISTOIRE ET DES CULTURES DE L’ALIMENTATI­ON (IEHCA)

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