NEW YORK CROQUE LA POMME
TEXTE ET PHOTOS JEAN-PAUL FRÉTILLET
Les hot-dogs, les food trucks et les donuts font toujours recette. Mais des fermes squattent les toits, les marchés sont bio et les visites guidées gastronomiques se multiplient. Quand New York la joue foodista, elle fait les choses comme d'habitude : à fond.
Des laitues gorgées de chlorophylle dont on devine la feuille croquante, des fleurs d’oignons sur le point d’exploser en graines, un parterre de choux kale comme une vue aérienne de Central Park, des lupins épanouis qui ploient sous le vent tiède de l’Atlantique… et les gratte-ciel de Manhattan qui découpent l’horizon et magnétisent le regard. « C’est vrai qu’au début, on ne regarde que ça », sourit Devon. Pulvérisateur sur le dos et bob indigo enfoncé sur la tête, il asperge ses tomates d’une décoction bio. Semblable à une fusée prête à décoller, la citerne d’eau est le point culminant de la Brooklyn Grange : 6 000 mètres carrés perchés sur le toit d’un ancien chantier de navires de guerre. La friche industrielle a connu une reconversion éclectique. Au sommet de onze étages, la ferme de Brooklyn la plus étendue de New York voisine avec des start-up en tout genre et la nouvelle industrie du show business. Dans les
Studios Steiner, on a tourné les acrobaties de Spiderman et, dans l’un des entrepôts transformé en salle de spectacle, Hillary Clinton perdit quelques plumes, en 2016, lors d'un débat avec Bernie Sanders. Il y a aussi la plus ancienne distillerie de whisky de New York, fondée seulement en 2010, la première depuis la fin de la Prohibition.
UTOPISTES, MAIS PAS RÊVEURS
À l’étage, au-dessous du champ de légumes, une lumière douce baigne le loft de travail, la cuisine ouverte et une grande table en bois pour les repas. Un open space de rêve, mais sans air climatisé, écologie oblige. Les courants d’air organisés tempèrent la suffocante chaleur estivale. « Nous voulions devenir fermiers, mais sans quitter New York où nous sommes nés et que nous aimons par-dessus tout », raconte Anastasia Cole Plakias, fondatrice de la Brooklyn Grange avec Ben Flanner et Gwen Schantz. Les trois amis étaient aussi proches de la terre et des légumes qu’un fermier de l’Iowa des arcanes de Wall Street. La première était diplômée de littérature moderne, le deuxième travaillait dans la finance et le troisième dans l’humanitaire. « J’avais quand même une expérience dans la restauration et chez un vigneron », pondère Anastasia. «Nous ne sommes pas des rêveurs. Dès le départ, notre objectif était de créer un modèle viable et reproductible ailleurs. C’était un projet d’entreprise avec un retour financier, mais pas seulement. Si ça avait été notre unique but, nous aurions investi dans les technologies, pas dans le food business. » Chaque année, une vingtaine de tonnes de légumes sont récoltées. Ils sont vendus à la ferme, sur les marchés, dans les épiceries ou à des restaurants. Ces quantités sont encore négligeables dans une ville de huit millions
Sur le toit de la Brooklyn Farm, les lupins les plus chanceux du monde ont une vue imprenable sur la skyline de Manhattan.