Regal

CAMILLE OGER

PROPOS RECUEILLIS PAR

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Régal : Comment a commencé votre rencontre avec la fermentati­on ? Loïc Villemin : En famille ! Chez nous, c'était avant tout la choucroute : mes grands-parents avaient un jardin et des choux, il fallait les conserver. On faisait aussi des navets salés, des cornichons. On avait cet esprit d'autosuffis­ance, c'était économique : mon grand-père était mineur, ma grand-mère était femme au foyer, ils avaient 5 enfants, donc c'était une façon de s'en sortir économique­ment parlant.

R : Lors de votre formation en cuisine, qu'avez-vous vu de la fermentati­on ? L. V. C'était la grande période de la cuisine moléculair­e, et la fermentati­on ne faisait pas du tout partie des tendances. Le déclic m'est venu quand j'ai ouvert mon restaurant, en cherchant mon style, mon point de vue. J'ai juste eu à remonter le temps, à me rappeler ce que j'avais pu déguster dans mon enfance, ce qui avait fait ma culture gastronomi­que. À Faulquemon­t, en Moselle, Loïc Villemin a été sacré plus jeune chef étoilé de France en 2012. Sa démarche locavore et sa passion pour la fermentati­on sont le socle de sa cuisine, vive et sensible.

R : Quel est l'intérêt de la fermentati­on dans votre cuisine ? L. V. C'est d'abord son impact positif sur la santé. Il faut renforcer nos défenses immunitair­es, et au lieu de tout désinfecte­r, il faut entretenir et faire grandir notre microbiote. C'est aussi un formidable exhausteur de goût : je pense au jus de pomme fermenté que nous utilisons pour faire des sorbets. Grâce à la fermentati­on, il a un arôme de pomme explosif, nettement relevé. Les fermentati­ons peuvent avoir des usages très variés en cuisine : le jus d'un légume fermenté peut servir de jus de cuisson, de bouillon, de base pour des sauces… Je me sers toujours des légumes fermentés en accompagne­ment du légume de saison. Avec du jus d'asperges fermentées par exemple, je fais un beurre blanc qui servira d'accompagne­ment aux asperges fraîches, et avec les asperges fermentées elles-mêmes, je prépare une petite purée ou une brunoise, ou une gelée acidulée qui va apporter du peps à l'assiette… C'est une vraie mise en valeur.

R : Vous qui expériment­ez beaucoup, à votre avis, peut-on tout faire fermenter ? L. V. Non. La fermentati­on de légumes est assez facile et peut se faire à températur­e ambiante sans risque si l'on respecte les règles d'hygiène de base. Quand on s'attaque aux protéines comme la viande et le poisson, il faut utiliser plus de sel et contrôler au maximum chaque élément et chaque milieu de fermentati­on. Mais quand on veut faire fermenter des coquillage­s, comme des huîtres, il faudrait un microscope pour être sûr de ce que l'on fait. Dès que la fermentati­on n'est plus maîtrisée, elle peut devenir dangereuse.

R : Quelles sont vos fermentati­ons les plus folles ? L. V. Les garums, les hydromels… Nous avons appris à les maîtriser. L'hydromel de topinambou­r par exemple, qui contient beaucoup de miel, est beaucoup moins sucré qu'on ne l'imaginait a priori ; avec la fermentati­on, le miel perd son pouvoir sucrant mais garde son côté floral. Le goût du légume s'exprime en douceur et l'acidité qui se développe est très intéressan­te. On peut le boire tel quel ou s'en servir pour la cuisson des légumes ; en réduisant il va légèrement les glacer tout en gardant cette belle acidité. Nous nous en sommes servis pour laquer des brioches. La fermentati­on ouvre de nouvelles possibilit­és en cuisine.

R : Quels conseils donneriez-vous à un débutant inquiet ? L. V. L'histoire millénaire et universell­e de la fermentati­on parle pour elle-même. C'est une technique qui a sauvé beaucoup de monde car elle a permis de conserver des produits à une époque où il n'y avait pas de frigo… C'est déjà très rassurant. Ensuite, avant de vous lancer, concentrez-vous sur tous les éléments du processus pour n'oublier aucun ingrédient ni aucune étape. Enfin, quand vous serez lancés, vous saurez très vite, en ouvrant le bocal, si une fermentati­on a marché ou pas : l'aspect de la préparatio­n et son odeur sont explicites. Faites confiance à vos sens.

Formé dans les plus grands restaurant­s étoilés, dont la maison Loiseau, Loïc Villemin ouvre, en 2010, son restaurant Toya, à Faulquemon­t, en Moselle. Il en fait une table écolo et locavore où la fermentati­on joue un rôle clé.

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