Ma Dalton (Highway)
« SI VOUS AIMEZ LA SPLENDEUR DE LA NATURE ET QUE SA PRÉSENCE VOUS PROCURE UNE RÉELLE ÉMOTION,
je vous conseille de faire le voyage à tout prix, car vous ne serez pas déçu. Mais si vous avez le sentiment que vous êtes trop sophistiqué pour cette vie plus rude, alors ne le tentez pas. Mais que Dieu ait pitié de vous, car vous allez rater quelque chose qui mérite d’être vécu… » Après dix jours de périple depuis Anchorage jusque l’arctique cité dortoir de Deadhorse, le long de la Dalton Highway, puis dans les artères plus repliées de l’Alasaka – Alaska Highway, Richardson Highway – il n’est aucun des trois passagers de notre RV Camper pour renier un seul de ces mots écrits en 1919 par l’explorateur historien C.K. Snow. La traversée de ce territoire devenu État, par les axes qui ont témoigné de ses mutations, de ses permanences et de sa nature encore sauvage, est une déambulation dans la nef cathédrale de Dame Nature, quand elle croise le transept de l’histoire humaine, de sa logistique improbable et de sa vulnérabilité dans le théâtre des grands espaces.
MUDDY ROAD, GRAVEL ROAD
L’histoire de la plus mythique route de l’Alaska démarre en 1968, lorsqu’un immense gisement de pétrole est décelé à Prudhoe Bay, au nord du territoire. Le brut doit être acheminé, à 1’300 kilomètres au sud, par un gigantesque oléoduc. L’Alaska Route 11, baptisée Dalton Highway en hommage à l’ingénieur des routes James W. Dalton, est construite en 1974. Longue de 666 kilomètres, chiffre diabolique s’il en est, ses tronçons alternés de bitume, de terre et de gravier relient Livengood, au nord de Fairbanks, à Deadhorse, une trentaine de kilomètres au sud de Prudhoe Bay. Suivant à bonne distance l’oléoduc, elle achemine, dans des conditions extrêmes et un cadre cinégénique, tout ce que requiert la logistique d’extraction, de stockage, d’entretien et de transport, ainsi que la main d’oeuvre et son approvisionnement.Tout cela sur des véhicules tirant des remorques ou des engins parfois trois fois plus gros qu’eux, et dévalant les pentes abruptes avec l’aplomb d’un bombardier en piqué. Cette route peu fréquentée n’a pas volé ses qualificatifs de muddy road ou gravel road. Par temps sec, la poussière s’agrippe à la carrosserie, aux essieux, aux parechocs. Par temps pluvieux, la boue colle aux pneus, maquille les véhicules d’un épais fond de teint et rend la route glissante. Les portions de bitume sont irrégulièrement trouées de nids de poule. Les camions roulant à vive allure ne les évitent qu’au dernier moment, pour ne pas perdre de précieuses secondes sur l’horaire.
La traversée de ce territoire devenu État, par les axes qui ont témoigné de ses mutations et de sa nature encore sauvage, est
une déambulation dans la nef cathédrale de Dame Nature.
La Dalton Highway est une des routes les plus isolées et dangereuses du continent. Elle exige donc une certain degré de préparation. Un camper 4x4 pour nous véhiculer et nous héberger, deux roues de secours, un téléphone satellitaire, les placards de la caravane remplis de provisions, une trousse de secours aussi grande qu’un sac de sport, du répulsif antimoustique et la probabilité aussi effrayante qu’enivrante de croiser un ours callée dans un coin de l’esprit : le voyage peut commencer.
NOUVELLE FRONTIÈRE
Pour rejoindre Livengood, nous quittons Anchorage en direction de Fairbanks, suivant la George Parks Highway. Nous traversons une toundra ceinturée de montagnes et tapissée d’un vert profond, d’où émergent des pins émaciés. Elle alterne avec des portions forestières et de petites agglomérations centrées autour d’un relais routier, une école ou une station service.