Roaditude

Révélation casse-croûte

- Interview Photograph­ies Laurent Pittet Nicolas Paquet Nyon, Suisse Québec, Canada

Nicolas Paquet est un « cinéaste rural », comme il aime à se définir.

Dans Esprit de cantine, sorti en 2018, il poursuit son exploratio­n-révélation en s’intéressan­t aux « casse-croûtes », ces échoppes que l’on rencontre au bord de la route au Québec, indigentes en apparence, mais dont on découvre qu’elles sont de magnifique­s lieux de vie, comptant énormément dans l’existence des gens,

qu’ils soient locaux ou voyageurs. Rencontre.

Roaditude – Nicolas Paquet, quel cinéaste êtes-vous ? Pouvez-vous vous présenter pour nos lecteurs ?

Documentar­iste depuis maintenant 15 ans, j’aime bien le terme « cinéaste rural ».Tous les films que j’ai produits ou réalisés dévoilent certaines réalités de la vie sur des territoire­s où les animaux, d’élevage ou sauvages, sont plus nombreux que les êtres humains. Que ce soit le récit de la destructio­n d’un quartier complet par une compagnie minière en plein coeur d’une petite ville de Nord ( La règle d’or ), ou encore la douce et menacée relation du Peuple Déné avec son territoire ( Ceux comme la terre ), les documentai­res que je réalise sont ancrés dans un espace précis, souvent petit, comme c’est le cas avec les casse-croûtes dans Esprit de cantine.

Esprit de cantine, votre documentai­re, sort ce printemps sur les écrans. Il s’intéresse à ces « casse-croûtes » que l’on voit encore aujourd’hui quand on prend la route au Québec… Quelle a été l’inspiratio­n de votre film ?

Une rencontre d’abord, celle avec les casse-croûtes Poivre et Sel de Malartic, alors que nous tournions le film La règle d’or, en Abitibi. L’endroit m’a charmé, son ambiance touchante, ses habitués, sa propriétai­re. Il a été la proie des flammes quelque temps après.

Les cantines sont ancrées dans le paysage du Québec rural depuis plus de 50 ans. Elles expriment une part de notre identité, et sont la source d’un rituel saisonnier comme nous n’en avons plus beaucoup. L’été, des milliers de québécois font un arrêt tant attendu à « leur » casse-croute lorsqu’ils prennent la route vers le chalet, le camp de chasse ou tout simplement la route des vacances. Pour les ruraux, les passages sont plus fréquents, voire quotidiens. Les casse-croûtes ponctuent le chemin et sont pour le voyageur autant de havres de découverte d’une réalité rurale peu médiatisée. Pour les « locaux », elles sont un lieu de rencontres, où l’on prend des nouvelles, mais aussi la réconforta­nte frite ou la traditionn­elle poutine.

Enfin, à l’ère des grandes chaînes de restaurati­on rapide qui s’incrustent partout, ces petits commerces indépendan­ts sont de véritables lieux de résistance. Quand on entre dans une cantine, on est presque certain de croiser la propriétai­re, et de pouvoir lui piquer une jasette en attendant sa commande. Il y a là une conviviali­té qui se fait rare à notre époque.

Les cantines sont ancrées dans le paysage du Québec rural depuis plus de 50 ans. Elles expriment une part de notre identité, et sont la source

d’un rituel saisonnier comme nous n’en avons plus beaucoup.

À propos de ces cantines, vous parlez de « lieux cinématogr­aphiques »… Pouvez-vous nous expliquer cela ?

Chaque cantine revêt sa personnali­té. Certaines sont ostentatoi­res par leur couleur et leur décoration, d’autre pêchent par la simplicité de leur charpente. À l’intérieur, autant des éléments simples comme la manière d’afficher les prix que le va-et-vient derrière le comptoir créent une richesse visuelle très appréciée quand on construit un film. Je cherchais entre autres une cantine avec un long comptoir qui offre une perspectiv­e pour capter les échanges entre les clients et les employés.

Les casse-croûtes portent souvent les marques de leur histoire ; rouille, rallonges raboutées, enseigne mise-à-jour à gros coups de pinceaux, etc. Scruter leur surface, c’est comme plonger dans le passé, revoir la trace du temps. On imagine comment elles ont traversé la société québécoise de génération en génération.

Dans les cantines, au Québec, le plat roi, c’est la « poutine ». Pouvez-vous décrire cette spécialité gastronomi­que pour nos lecteurs, qui ne connaissen­t pas tous les réjouissan­ces de la Belle Province ?

C’est plutôt simple, et compliqué à la fois quand on y a pas goûté: frites maisons faites de vraies pommes de terre, fromage en grains et sauce brune. Toutes les variantes sont possibles, mais la classique ne compte que trois ingrédient­s. Quant à savoir où l’on trouve les meilleures poutines, les avis sont partagés. C’est un plat qui calme l’appétit, à midi comme à trois heures du matin quand les gens sortent de soirées bien arrosées.

Le Québec a un long historique de résistance identitair­e et, à vous suivre, le casse-croûte y participe, a fortiori à notre époque qui voit défiler les grandes franchises commercial­es. Cette dimension identitair­e est-elle le principal message de votre film ?

Le film présente le portrait de femmes fortes qui tiennent debout des commerces uniques, commerces qui jouent un rôle social évident, même si ce n’est pas ce que l’on voit d’abord quand on les fréquente. En cela, elles sont à mes yeux des résistante­s. Elles osent offrir une forme de simplicité qui plaît aux habitués, et surtout un espace de vie où le client est plus que quelqu’un avec une carte de crédit. Je pense que nous pouvons nous reconnaîtr­e dans cette authentici­té. Bien qu’elles ne soient pas figées dans le temps, qu’elles évoluent avec les habitudes de leurs clients, les cantines demeurent un contre-discours à la pensée économique du développem­ent et de la rentabilit­é à tout prix.

Un coup de coeur à partager avec nous ? Y a-t-il une de ces échoppes qui vous a particuliè­rement touché, et qui vaut le détour?

C’est bien difficile d’en choisir une seule. Le meilleur conseil, c’est de garder l’oeil ouvert sur la route.Vous risquez de découvrir une petite perle là où vous ne vous y attendiez pas. Il ne faut pas hésiter à quitter les circuits touristiqu­es. Dans les terres à quelques kilomètres du fleuve, dans le Bas-SaintLaure­nt, notamment autour de Rivière-duLoup, j’ai filmé trois casse-croûtes formidable­s. Une des propriétai­res, à la cantine Chez Dino, m’a expliqué que « quand on est malheureux, si l’on mange une poutine, le malheur s’en va ». Ça c’est être convaincu des vertus des cantines !

Les casse-croûtes portent souvent les marques de leur histoire ; rouille, rallonges raboutées, enseigne mise-à-jour à gros coups de pinceaux, etc. Scruter leur surface, c’est comme plonger

dans le passé, revoir la trace du temps.

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La bande annonce d’Esprit de cantine est visible sur Vimeo. https://vimeo.com/240429551

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