LITTLE BARRIE
Habitué des tournées aux conditions rudes, le trio britannique n’a néanmoins rien perdu de son élégance. Barrie Cadogan, son démiurge à six-cordes, raconte.
L’interview est terminée, le dictaphone éteint, lorsque Barrie Cadogan écarte à notre demande les pans de son blouson en cuir. “Sur mon T-shirt ? C’est Fred Sonic Smith. Mon héros.” Dans le patio de l’hôtel parisien, à deux pas de la place SaintGeorges, le leader de Little Barrie embraie sur les mérites respectifs de Smith et de son acolyte Wayne Kramer au sein de MC5 et relate, émoustillé, le concert qu’il partagea avec les survivants du groupe, voici quelques années. Cadogan possède une foi intacte dans les vertus de la guitare — pas n’importe laquelle : celle des gangs de Detroit, des Stone Roses ou de Chuck Berry. Voilà quinze ans qu’il entretient la flamme, dans une époque qui n’a rien de clémente pour un pur et honnête power trio de rock’n’roll.
Riff précieux
En cette après-midi de la fin mai, Barrie Cadogan rentre d’une tournée de la côte Est des Etats-Unis, où Little Barrie commence à prendre pied. Sa terre de prédilection s’appelle le Japon, que le trio visite quasiment chaque année depuis 2004. “Je n’aurais jamais imaginé une chose pareille. Je n’étais jamais sorti d’Angleterre avant de tourner avec le groupe”, savoure-t-il avec la modestie propre à certains rockers britanniques. A ses débuts, Little Barrie pouvait être appréhendé comme une excroissance rock du revival soul alors en plein essor, des guitares en lieu et place des cuivres. “Entre les Meters et Chuck Berry, c’était l’idée”, pose-t-il. Les débuts (“We Are Little Barrie”, 2005) sont prometteurs et Cadogan ne tarde pas à se tailler une petite réputation. Edwyn Collins le désigne meilleur guitariste anglais de sa génération et ses aînés, plutôt illustres, font appel à ses services, tels Morrissey, Primal Scream, Paul Weller ou Spiritualized. Le deuxième album (“Stand Your Ground”, 2006) intègre des éléments rockabilly, le troisième (“King Of The Waves”, 2010) une influence surf-rock. “Shadow”, aujourd’hui, est l’oeuvre la plus consistante du trio, qui arpente d’autres terres, plus sombres, psychédéliques et garage. “J’étais intéressé depuis un moment par l’idée de créer une bande originale de film et j’avais des scènes en tête au moment de composer ces différentes atmosphères. J’étais inspiré par des groupes comme Can, 13th Floor Elevators. Et j’ai changé ma façon de jouer...” Toiles de guitare sans fioritures et sens du riff précieux. Celui de “Fuzzbomb”, par exemple, saute au visage tel un crotale tapi dans la nuit. “Un ami m’a fabriqué une pédale qui combine fuzz et wah-wah pour l’occasion. Je voulais mélanger un beat hip-hop avec un son de guitare agressif à la Ron Asheton. Plus grand monde n’utilise de wah-wah de nos jours, mais j’avais aussi ‘Fools Gold’ des Stone Roses dans un coin de la tête.” Comme tout bon guitar hero, Barrie n’est pas un chanteur né : “J’aime chanter, sans vraiment aimer ma voix. J’aimerais chanter comme Marvin Gaye ou Howlin’ Wolf mais ça me semble improbable. J’ai commencé parce que je ne trouvais pas de chanteur et je ne voulais pas rester bloqué...” Et que pense donc notre homme de la phrase prononcée en début d’année par Jonny Greenwood, selon laquelle les groupes de rock actuels utiliseraient l’instrument — à savoir la guitare — de leurs grands-parents ? “Il n’a pas tort en un sens. J’ai été inspiré par Chuck Berry trente ans après qu’il en a inspiré d’autres. Mais pour moi, à l’époque, c’était nouveau. Et c’est ce que j’aime faire. La musique représentait énormément pour les générations précédentes, c’était la forme la plus populaire d’art. C’est peut-être moins le cas aujourd’hui.”
Diversité nécessaire
Ces dernières années, Little Barrie a décroché quelques premières parties prestigieuses — The Stone Roses, Charles Bradley, The Jon Spencer Blues Explosion... Cadogan pige aussi régulièrement pour Primal Scream et prête sa six-cordes à droite et à gauche, comme, cette année, pour des concerts, au mythique chanteur japonais de Can, Damo Suzuki. Le bassiste Lewis Wharton est également illustrateur freelance, tandis que le batteur Virgil Howe fait des séances et officie comme DJ. Une diversité nécessaire, explique Cadogan. “Je ne pourrais pas m’en sortir uniquement avec Little Barrie. A moins d’avoir beaucoup de succès, les musiciens à Londres ont souvent deux, voire trois boulots. C’est encore plus dur pour les jeunes groupes : il y a vingt ans, les musiciens pouvaient se contenter d’avoir un boulot à mi-temps à côté, maintenant c’est à plein temps. Les loyers ont explosé. On jouera encore à la retraite, aucun doute là-dessus. On devrait être pas mauvais à ce moment-là...”