Rock & Folk

WHITE LUNG

Ce mois-ci, l’insurrecti­on et l’énergie grondent dans la lointaine Vancouver, chez ce quartette recommanda­ble et féminin à 66,6 %.

- THOMAS E. FLORIN

“J’ai l’impression que la musique n’est plus que composée d’une géante classe moyenne, avec des groupes qui ont bonne presse mais qui ne feront jamais d’argent. Ce ne sont plus les quinze minutes de gloire, mais la gloire devant 15 personnes.” Mish Way et son groupe, White Lung, nous parlent pour leur troisième album, “Deep Fantasy”, qui rue dans les brancards. Reste à savoir s’il y est alité autre chose des cadavres.

Sale ado

Nous sommes entrés dans l’air du moyennisme. Bien. Et face à autant de petitesses, un pan de cette société, dans un sursaut de survie, se radicalise. Ainsi, le punk hardcore de la facture du groupe en présence n’est plus cantonné aux fanzines et aux squats. Dans ce contexte, qu’est-ce que White Lung ? Un espoir ? A la vue de sa nomination pour la catégorie Artiste punk hardcore de l’année 2011 aux Canadian Music Week Indie Award, l’on parle même d’un espoir officiel. Il n’existe que peu de solutions pour un groupe de ce type : inspirer la terreur ou être ennuyeux à mourir. Seule une authentiqu­e agression pleine d’imbécillit­é peut rendre cette musique digne d’intérêt. Devant répondre à la même loi, ce que le groupe plaide ne se découvre qu’une fois sur scène. Sous les lumières, qu’observe-t-on ? Une batteuse légèrement taiseuse qui se rapproche en plusieurs points du personnage Daria ; un guitariste, unique garçon de la formation, plus timide que ces dames, lançant des lignes mélancoliq­ues empreintes d’un gothisme sans maquillage ; puis une leadeuse, élève de Courtney Love, structurée intellectu­ellement aux Gender Studies — comme ses diplômes en attestent — partageant le devant de la scène avec une bassiste réellement sauvage. Vu du fond de la salle et à force d’y penser, ne sommes-nous pas devant une catégorie de misfits, comme nous l’a raconté quotidienn­ement le continent américain ? De l’esthétique aux discours, on ne peut s’empêcher de penser à ce qui s’est façonné durant des décennies dans les université­s anglo-saxonnes, ce bizarre mélange de fascinatio­n pour la marge et cette manière de la normaliser à grands coups de théories. Mish Way, d’ailleurs, le concède à sa manière : “Jeune, je faisais du patinage artistique, un sport où il faut être sérieux. En même temps, je voulais être une sale ado qui prenait de la drogue, s’amusait. Comme je n’allais jamais être championne olympique, j’ai fait mon choix.” Quel est ce monde où l’on peut choisir de revêtir la peau d’une “sale ado” ? Un monde où tout n’est plus que panoplie. Où, comme l’a théorisé Jean Mustang, il y aura des costumes de rebel rockers comme nous en avons aujourd’hui de cow-boy. D’ailleurs, cela existe déjà et c’est disponible dans les rues commerçant­es de nos villes de provinces.

Ironie résignée

En interview, Mish Way s’accroche aux anecdotes. C’est ainsi : elle écrit, ce qui, dans la tradition des auteurs américains, fait que la petite histoire prime. Ses chansons sont des réactions à ses anecdotes qu’elle compile, observe et déniche. Le processus musical, lui, doit beaucoup à Anne-Marie Vassiliou, leur batteuse. Quand on joue comme cela, dans le style de batterie typique d’un punk ayant engendré le hardcore, difficile d’en sortir une autre musique. Kenneth William, le guitariste, greffe à cette base la touche White Lung. Se disant influencé par Johnny Marr, il lui emprunte ce mélange de technique qui, accéléré et joué à plein volume, fait dans l’inédit. Voici pour la formule d’un groupe ayant grandi à Vancouver. De leur ville, ils déplorent le sort qu’elle ne fait que partager avec ses consoeurs occidental­es : les traces du passé sont effacées au bénéfice d’édifice de verre et de béton. Certains irréductib­les résistent, déplacent inlassable­ment les lieux, les tenant légèrement secrets pour leur laisser une chance. Grâce à eux, Vancouver n’a pas encore subi le sort de New York : un Disneyland de forme vide, la ville du bonheur mondiale où tout est possible — donc rien — tant qu’on crache au bassinet. Discuter avec White Lung revient donc à faire face à son époque. Ce qui, sincèremen­t, n’est pas désagréabl­e. Cette jeunesse est vive d’esprit et tellement désabusée que son humour ne passe que dans l’ironie résignée. Pourtant, à regret, elle se montre avare en réflexion. Surtout, elle ne semble pas particuliè­rement en colère, fait incompréhe­nsible au regard de leur musique et de l’époque. “On ne trouve plus personne pour casser les fenêtres”, aurait dit un jour Bernanos. A croire que son appel reste, encore trop souvent, sans réponse.

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