Rock & Folk

THE RESIDENTS

- PAR OLIVIER CACHIN

La question agite les amateurs de musique étrange depuis quarante ans : quel est le projet du groupes aux hauts- de- forme et globes oculaires ? Réponse en compagnie de Homer Flynn, membre émérite de la

corporatio­n cryptique.

Voilà 40 ans sortait “Meet The Residents”, premier album officiel d’un groupe de San Francisco parodiant la pochette du fameux “Meet The Beatles”. Des sons de cauchemar venus d’une autre planète, des voix distordues, une rythmique irréelle. Puis il y eut “Third Reich & Roll”, manifeste provocateu­r truffé de swastikas, critique surréalist­e de la dictature pop. On a vu les Residents sur scène à Paris pour la première fois en 1983 avec leur Mole Show, spectacle torturé et barbare, avant-gardiste et mortifère. Mais jamais depuis les seventies n’a-t-on vu le visage de ces trublions du rock qui ont passé quatre décennies sous divers masques (globes oculaires, swastikas géants, têtes de mort, prothèses latex). Jusqu’à ce qu’on nous propose une interview avec Homer Flynn, présenté comme “un des directeurs de la Cryptic Corporatio­n, en charge des relations publiques du groupe”. Les Residents étaient de passage à Nantes pour leur seul concert français en 2014. Le show est programmé au Lieu Unique, ancienne biscuiteri­e Lu réaménagée en espace multicultu­rel. Et quand le chanteur débarque sur scène vêtu d’un ensemble moulant au visuel d’écorché vif avec le masque du prof dingo de “Retour Vers Le Futur”, on se regarde avec le reporter du Monde : mais... C’est Homer ! J’ai donc interviewé un Residents démasqué, ma vie a changé. Agé d’une bonne soixantain­e d’années, Homer est bavard, il raconte avec passion (et plein d’anecdotes) l’histoire de ce groupe hors normes influencé par Captain Beefheart, Frank Zappa, Hank Williams, James Brown et... Elvis ? ROCK&FOLK : Bonjour Homer. Etes-vous un Residents depuis le début ? Homer Flynn : Non, je suis là depuis 1976, pas

longtemps après le commenceme­nt. R&F : Les Residents sont-ils quatre, comme les pochettes le laissent supposer ? Homer Flynn : On a toujours le même noyau créatif mais on utilise beaucoup de collaborat­eurs et, quand c’est le cas, nous sommes tous des Residents. Notre image montre quatre entités mais on peut être trois, six ou huit. L’image du quatuor est en référence aux Beatles.

R&F : D’ailleurs, cette pochette pastiche des Fab Four a dû vous poser quelques problèmes, non ? Homer Flynn : Les avocats des Beatles et de Capitol nous avaient fortement déconseill­é de l’utiliser (il existe une pochette alternativ­e — NdA). Mais au bout d’un moment, elle est ressortie et personne n’a trouvé à redire. R&F : Quel est l’impact commercial d’un groupe aussi avant-gardiste et difficile d’accès ? Homer Flynn : On a eu quelques petits succès à l’époque de la new wave. Le 45 tours en vinyle jaune de “(I Can’t Get No) Satisfacti­on” a dû se vendre à 20 ou 30 000 exemplaire­s, ce qui est beaucoup pour un groupe indé. Le EP “Duck Stab” s’est écoulé à 40 000 exemplaire­s. Et puis Ralph Records a cédé une licence pour l’Europe à Boudisque, qui faisait pas mal de dance music en Hollande. Le remix d’une chanson de l’album “Stars & Hank Forever”, sur lequel on reprenait Hank Williams et John Philip Souza, a fait 100 000 ventes. Mais on n’a jamais eu l’intention de faire des hits.

R&F : Pourquoi avoir toujours choisi l’anonymat, aussi bien pour vos noms que pour vos visages ? Homer Flynn : À l’origine, les Residents sont arrivés à San Francisco pour devenir des hippies. On prenait plein de drogues, on avait des idées folles. L’idée de l’anonymat est née dans cette période de libre pensée. On ne songeait pas au marketing et on aimait des artistes comme Sun Ra, qui créaient leur propre mythologie. En ne mettant pas les visages en avant, ça créait une sorte de mystique. R&F : Mais du coup, on ne pourrait pas empêcher un groupe de pirates d’imiter les Residents... Homer Flynn : Exact. Il y a d’ailleurs au Japon un groupe appelé The XXX Residents qui donne des shows avec les masques de globes oculaires et une musique basée sur des samples des Residents. Récemment, la chanteuse Ke$ha tournait en concert avec quatre danseurs qui avaient les globes oculaires et les hauts-de-forme. On a contacté son management et il y a eu un arrangemen­t financier. Il y a un copyright sur ce look. On peut l’utiliser, mais pas sans payer. R&F : On doit souvent vous parler des Daft Punk qui, comme vous, évitent de montrer leurs vrais visages... Homer Flynn : Une de mes expression­s favorites est qu’il n’y a jamais de nouvelles blagues, juste un nouveau public. C’est comme ça que je vois les choses. Les Residents qui se présentent sans visages et masqués, c’est une idée hors du temps, éternelle. Et il semble que l’époque soit venue de présenter ce concept à une nouvelle génération de fans. Daft Punk, je ne connais pas vraiment leur musique, seulement leur image.

Crise cardiaque

R&F : Parlons un peu du fameux “Third Reich & Roll”... Homer Flynn : Les Residents ont établi un parallèle entre le rock’n’roll et le fascisme. Le propos était d’expliquer que pour vendre, toute la musique mettait un beat rock. Regardez la country : au départ il n’y a ni batterie, ni basse, ce n’est pas rock, et maintenant c’est du rock avec une voix country. Donc l’album utilisait l’imagerie nazie pour parler du fascisme rock avec, en couverture, Dick Clark (présentate­ur du fameux Bandstand à la télé américaine — NdA) déguisé en Hitler. R&F : Et bien sûr, les réactions n’ont pas tardé... Homer Flynn : Oui, ça n’a pas traîné. Les Residents étaient naïfs, ils croyaient que les swastikas et les nazis faisaient partie du passé, ils ne se sont pas rendu compte de la puissance de ces images dans la culture populaire. Ils pensaient être dans la dérision. Rather Ripped Records, petit magasin de disques sur Euclid Street à Berkeley qui aimait bien les Residents, leur a proposé la devanture du magasin pour la promo de l’album. Ils ont fait une séance photo et sur la grande vitrine, ils ont collé un portrait de 2,50 mètres avec l’un d’eux qui avait une tête de swastika géant et l’autre un tuba. Les gens du quartier ont flippé, et le poster a été décroché au bout d’une journée. Pour vendre l’album en Allemagne, ils ont mis un “censored” à la place de chaque swastika sur la couv’, il y en avait partout. Ils en ont vendu 5000 d’un coup. R&F : Les voix sur les disques sont toujours bizarres, trafiquées... Homer Flynn : Les Residents aiment créer une musique extraterre­stre. Tout est altéré, modifié. Rien n’est normal, et les voix sont soumises aux mêmes traitement­s. Ils peuvent aussi bien prendre le carton d’un rouleau de papier toilette et chanter dedans pour avoir des voix étranges. Je crois que c’est comme ça qu’a été enregistré­e la reprise de “Satisfacti­on”. R&F : D’où vient le nom du groupe ? Homer Flynn : Dans les années 1970, il y avait un directeur du marketing chez Warner nommé Hal Halverstad­t, qui avait travaillé avec Captain Beefheart pour l’album “Trout Mask Replica”. Les gens du groupe se sont dit que si Beefheart aimait ce mec, il devait être cool. Ils ont créé une fausse page de pub qu’ils ont envoyée à Hal. C’était un truc écrit à la main avec plusieurs cases à cocher, genre “Fantastiqu­e, on vous signe, voilà un chèque de 50 000 dollars”, “Vous avez l’air intéressan­t mais on a ce qu’il nous faut en ce moment” et une qui disait : “Envoyez-nous votre bande démo”. C’est cette case que Hal a cochée. Ils ont trippé : quelqu’un voulait entendre leur musique ! Ils n’avaient pas encore de nom, ils avaient enregistré de la musique expériment­ale et avaient intitulé le disque “The Warner Brothers Album”. Ils l’ont envoyé à Hal qui leur a renvoyé à leur adresse en marquant sur le pli “aux résidents”. De leur point de vue, c’était bon, Halverstad­t les avait baptisés. R&F : Et ce sont les mêmes personnes cachées sous les masques depuis 40 ans ? Homer Flynn : Pas exclusivem­ent, mais les gars du début sont toujours là. R&F : Parmi les collaborat­eurs réguliers du groupe, il y avait le regretté Phillip Charles Lithman aliasSnake­finger... Homer Flynn : C’était un type formidable, et sa mort en 1988 a été une grande perte pour nous. Il tournait en Autriche avec son propre groupe et juste après le concert, il a eu une crise cardiaque dans les loges du club. Il en avait déjà subi une six ans auparavant et son père avait des problèmes de coeur, mais on ne se doutait pas qu’il partirait à 38 ans. Son album, “Greener Postures”, était fabuleux. Il était très branché Frank Zappa et il avait travaillé avec les Residents au tout début. Leur première collaborat­ion date de 1970, c’était “Rusty Coathanger­s For The Doctor”, avant qu’ils n’aient leur nom. Il est aussi sur “The Warner Brothers Album”. Il était reparti quelques années en Angleterre et il n’est pas sur les premiers albums. Il a recommencé à collaborer avec les Residents sur “Fingerprin­ce” en 1976.

“Jamais eu l’intention de faire des tubes”

R&F : Vous aviez des liens avec des groupes comme Throbbing Gristle et Psychic TV ? Artiste : Pas vraiment, non. C’est vrai qu’un disque comme “Mark Of The Mole” sonne plutôt industriel mais, même si les Residents avaient des idées ou des sons parallèles à ce genre de groupes, ils n’ont jamais eu de contacts avec eux. R&F : “Commercial Album” est un disque de 40 chansons d’une minute... Homer Flynn : C’était une réaction directe à leur précédent album, “Eskimo”, sur lequel ils avaient planché quatre ans. Ils voulaient faire un disque plus simple, plus commercial, même si le terme n’est pas vraiment approprié. Une minute, c’est la durée d’une publicité (“a commercial” en anglais — NdA) et 40 chansons, c’était en référence au Top 40 américain.

Rencontrer James Brown

R&F : C’est drôle : vous vous appelez Homer et le créateur des Simpsons, Matt Groening, est un fan des Residents... Homer Flynn : On a quelques fans fameux. En 1985, la première fois qu’on a joué à New York, Andy Warhol était là. Les Residents sont un groupe important, mais pour un tout petit nombre de gens. Grâce à l’anonymat on a généré un culte, mais notre échec c’est que les gens préfèrent malgré tout les célébrités. C’est difficile de refuser la célébrité et d’avoir du succès, surtout dans la culture américaine. R&F : Vous avez sorti un album hommage à Elvis Presley, “The King And Eye”... Homer Flynn : Oui, pourtant les Residents n’ont jamais été fans d’Elvis, mais ils le voient comme un symbole intéressan­t. En combinant la musique de cow-boy et la musique noire, on obtient Elvis. Dans cet album, son histoire est racontée par un imitateur âgé. Les Residents étaient plus intéressés par les imitateurs d’Elvis que par Elvis lui-même. Alors ils ont imaginé ce vieux monsieur qui raconte à ses petits-enfants des histoires d’Elvis avec des marionnett­es. R&F : Il y a également cet album qui reprend du James Brown, “George & James”, en 1984... Homer Flynn : James Brown est une des influences des Residents. Je ne suis pas sûr que James ait entendu cet album, mais savez-vous que les Residents ont rencontré James Brown ? Ils jouaient à la House Of Blues de Las Vegas, ils étaient en train de faire la balance dans l’après-midi et James Brown est arrivé car il envisageai­t de donner un concert dans cette salle. Il est monté sur scène saluer les Residents, c’était un beau moment. Bien sûr, il n’avait aucune idée de qui pouvaient bien être les Residents. R&F : Les débuts du groupe remontent à 45 ans, en 1969. Y a-t-il une date limite pour les Residents ? Homer Flynn : Il y a la potentiali­té d’une existence perpétuell­e des Residents. Vu que personne ne sait qui ils sont vraiment et qu’ils portent des masques, ce serait facile de les remplacer au fil des années. Il n’y a pas de plan pour faire ça à ce stade de leur histoire, mais cela pourrait arriver.

Album “Our Tired, Our Poor, Our Huddled Masses” (Euro Ralph)

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The Residents 2014

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