Scoumoune
Ne nous voilons pas la face, cher lecteur, au moment où tu liras ces lignes, tu seras ou à la plage ou en train de maudire les chanceux qui y sont. Autant te dire tout de suite que si tu comptes sur la lecture pour te remonter le moral ou te rafraîchir, ici tu vas être servi, le thème du mois te rappelant, ouais, ça rigole pas, que ta condition d’homme ou de musicien est mortelle et que la morgue ou l’oubli seront peut-être tes derniers compagnons. Outsiders GUY DAROL Castor Music
Aux franges de l’oubli justement, ces “Outsiders, 80 Francs-Tireurs Du Rock Et De Ses Environs” dont Guy Darol nous dresse les portraits sont tous, à leur façon, des excentriques disparus, disparus des médias et des palmarès de leur vivant, ou déjà six pieds sous terre, ou les deux. Le principe de cet inventaire étant donc que tous les nominés n’ont jamais atteint la gloire ou si temporairement que ça ne compte plus, la plupart des noms ne vous diront rien si ce n’est tout de même quelques Tim Buckley, Syd Barrett ou Captain Beefheart dont on pourrait pinailler le bien fondé de la présence dans cette bande de seconds couteaux quoique l’occasion soit toujours bonne de rappeler leur existence et leur talent. C’est donc une sacrée brochette d’obscurs, maîtres mineurs ou prolos du showbiz qui défilent dans ces pages avec autant d’histoires improbables ou folles que de styles musicaux, même si, bien sûr, l’auteur affiche ici aussi sa faiblesse connue pour Zappa et sa bande dont du coup, pas mal de membres périphériques figurent dans cette nomenclature musicalement tout à fait hétéroclite. Mauvaise fortune, drogue, alcool, folie douce, talents limités, pure scoumoune, illusions, les raisons ne manquent pas pour expliquer ces échecs mais ces humbles destins conjugués construisent tout de même, à eux seuls, vu de leurs secondaires perspectives, une autre histoire de la musique, très loin des grandes scènes et des classements de meilleures ventes mais finalement emporté par la fougue, Guy Darol, dans un style quasiment précieux, omet parfois quelques détails ou raccourcit assez aléatoirement certaines biographies mais il réussit toutefois haut la main son pari un peu dingue d’écrire plus de 400 pages sur ces “hérosdela malchanceoudumalentendu”, petit peuple oublié de la musique à qui, seul, il rend ainsi un chouette hommage.
Le Saut De L’Ange EMMANUEL ABELA ET BRUNO CHIBANE Mediapop
La mort ne sépare pas vraiment un artiste de ceux qui l’aiment et “Le Saut De L’Ange”, ouvrage collectif consacré à Daniel Darc, en est la nouvelle preuve. Rêvé et conçu par deux vrais fans, les éditeurs strasbourgeois Emmanuel Abela et Bruno Chibane, ce joli volume construit page après page un portrait chinois de l’artiste en ange ténébreux peut-être mais jamais déchu. Interviews du chanteur, témoignages de collaborateurs, récits de frères d’armes, souvenirs de fans touchés par sa grâce déploient élégamment un puzzle juste et touchant de l’homme et du musicien. Junkie, poète, oublié, mythique, croyant, tendre, punk, survivant, disparu, les adjectifs ne manquent pas, tous aussi contradictoires que l’artiste le fut tout au long de sa carrière mouvementée, mais s’accordent ici à lui dresser enfin l’élégiaque buttrue tombeau que son talent mérite.
Stoner Road JULIEN HEYLBROECK ActuSF
Il fallait bien que ça arrive, que la fusion nucléaire rock/ fiction soit tentée et c’est le petit alien, français en plus, “Stoner Road” de Julien Heylbroeck qui s’y colle. Malin et jeux de rôliste averti, l’auteur a choisi de camper son intrigue d’aventures initiatico-fantasy dans le désert, le desertrock étant, inutile de vous le rappeler, l’autre nom du stonerrock, le stoner rock étant lui, faut suivre, le fil rouge de cette machinerie, on est bien au coeur d’un dispositif construit autour du rock et en l’occurrence, rythmé par des chapitres aux titres empruntés au stoner rock et sonorisé par une BO détaillée. Orphée moderne et défoncé, le héros y cherche bien sûr son Eurydice, son Ofelia et court pour la retrouver dans les “generatorsparties”, ces fêtes ante-Coachella dans le désert californien où jouaient à l’oeil dans les années 90 des groupes indie locaux comme Kyuss grâce à des générateurs, des bières et pas mal de drogues. Mêlant allégrement références mythologiques et péripéties gore, la culture stoner rock et la culture stoned tout court, saupoudré donc d’une bonne dose d’hallucinogènes, de champignons, d’ecstasy, le tout dans un décor cent pour cent américain parfaitement planté quoique peuplé de monstres dionysiaques, “Stoner Road” est le livre rock le plus dépaysant et original de la saison.
Bijou JEAN-FRANÇOIS JACQ L’Ecarlate
Longtemps longtemps après que les fans des Stones affrontaient ceux des Beatles, la France fut aussi déchirée par de véritables batailles rangées au sein même du monde alors étroit du rock français, celui des fans de Téléphone contre les bons, ceux de Bijou. Bijou, le plus grand groupe français pour beaucoup, Bijou au rock efficace et bien de chez nous, Bijou musicalement impeccable et pas accessoirement du tout, groupe de Vincent Palmer, notre typonazi préféré, celui qui veille ici au respect des vraies règles, notre bien aimé secrétaire de rédaction qui en fut le très brillant et célébré guitariste. Autant vous dire que tout ça nous touche tous de trop près pour prétendre à l’objectivité journalistique et que nous nous contenterons de dire que ce livre retrace à la perfection l’itinéraire trop court de cette légende française, que les nombreux protagonistes éclairent ce récit sobre et efficace qui ne donne qu’une envie, celle de réécouter Bijou et puis qu’un livre qui commence par une préface de Laurent Chalumeau et se termine sur une apparition de notre rédac chef Phil “newlywed” Man est bel et bien le fidèle reflet de cette belle époque envolée qu’il prétend décrire, je le sais, j’y étais.