Rock & Folk

CHRIS ESQUERRE

Spécialist­es des sketches surréalist­es et ciselés, le Français incarne un phénomène assez peu répandu d’humoriste réellement drôle. Qu’écoute-t-il ?

- Basile Farkas

“Je vous préviens, je n’écoute plus beaucoup de musique.” Ainsi avait prévenu Chris Esquerre avant d’accorder cette interview. Méticuleux, soucieux du détail, le garçon l’est assurément. C’est ce qu’on se dit chaque semaine en découvrant les mini-épisodes d’ “Importanti­ssime, Les Coulisses De L’Emission”, série hilarante diffusée le samedi sur Canal+ qui prend la forme d’un faux documentai­re : on y voit Chris Esquerre en animateur/ producteur d’une émission fictive d’infotainme­nt martyrisan­t ses collaborat­eurs sur et hors plateau. C’est drôle et plus cruel que tout ce que le Rouennais a fait auparavant (“Télé-Oléron”, ou la mythique Revue de presse des journaux que personne ne lit). Chris Esquerre a le don pour faire des formats courts télévisuel­s plus malins, surréalist­es, drôles, que la moyenne. Il a également rodé son spectacle ses dernières années — il sort aujourd’hui en DVD et il fait depuis la rentrée de la radio tous les jours sur France Inter. Avant l’entretien dans le studio 106 de la Maison de la Radio, Esquerre a griffonné sur une feuille A4 les chansons qu’il a appréciées depuis sa naissance en 1975. Une liste dans laquelle se côtoient Françoise Hardy (“L’Amitié”) et Daft Punk (“Get Lucky”), Cat Power, Dionne Warwick et Chet Baker. Et dont il parle ici avec une candeur et une drôlerie certaines.

ROCK&FOLK : “Importanti­sssime” est fabuleux. Le projet était dangereux. Parler de la télé à la télé. Or la série est très noire, très violente...

Chris Esquerre : Il y a un peu ce côté. Mais c’est fait pour faire marrer. La télé est un support de connerie, le projet n’était pas de dénoncer un système. Je dispose surtout d’une super matière pour me moquer. Et je connais bien ce milieu, l’inspiratio­n m’est venue, comme avec “Télé Oléron”. J’ai pensé au film “Spinal Tap”. J’ai adoré ce truc quand je l’ai découvert. Le procédé du faux documentai­re m’a énormément plu.

R&F : Sans trop grossir le trait, ou à peine...

Chris Esquerre : Oui, avec un côté très réaliste, sans gros gag la plupart du temps. Et ça ne se fait pas trop en France. Quand j’ai commencé “Importanti­ssime”, on m’a dit que je devrais regarder “The Office”, la série de Ricky Gervais. Mais j’aime bien avoir mes idées. Je n’ai regardé qu’une fois que j’avais fait le pilote. J’aime bien, mais je n’ai pas l’impression de faire la même chose. Et puis je ne suis pas comédien, je ne sais pas incarner quelqu’un que je ne suis pas. Un comédien, on peut lui demander de faire un charcutier dépressif de cinquante ans. Moi je ne peux pas. Je joue toujours des personnage­s dérivés de moi-même. Dans les chroniques, dans le spectacle, c’est une partie de moi-même simplement un peu exagérée. Je voulais aussi qu’il y ait une tonalité non profession­nelle, comme dans les documentai­res. Laurence, c’est une amie. Jean Bradley, c’est le monteur de la pastille...

“J’aime les chansons de Noël”

“J’aime bien les chansons tristes, donc j’aime bien Jeff Buckley”

R&F : La série va-t-elle évoluer ?

Chris Esquerre : J’ai de gros problèmes. J’étais parti pour une série de seize épisodes. Et là je commence à avoir du mal à me renouveler. Ça ne peut pas devenir “Plus Belle La Vie”. Ça doit rester une problémati­que de télévision. Je suis en train de me demander ce que je vais faire. Je vais peut-être en faire quatre en janvier et tenter un autre format. La chaîne est très contente. Quand les gens aiment, il y a toujours une pression, il faut toujours continuer naturellem­ent, mais non. Quand un album est bon et qu’il n’a que dix chansons, on n’en veut pas vingt-cinq ou cinquante. D’ailleurs, il faudra que quelqu’un m’explique pourquoi il n’y a que dix ou douze chansons sur un album.

R&F : Ce sont les durées du vinyle et du CD qui ont dicté la forme de l’oeuvre...

Chris Esquerre : Je suis un peu jaloux des musiciens. Tu vois des mecs qui, au bout de trois ans, reviennent avec douze chansons. Bon, très bien, bravo, mais quand on voit que dedans, il y en a seulement une de super, deux de sympas, on se dit : Bah dis donc, les mecs, vous vous êtes barrés

trois ans pour ça ? Quand je vois ce que j’écris, parfois je me dis qu’ils ont de la chance. Je ne regrette rien, mais je me dis que ça doit être cool d’être chanteur.

Je n’ai pas honte

R&F : Votre premier rapport à la musique ?

Chris Esquerre : J’allais faire la réponse bidon : dans le ventre de ma mère, les battements de coeur... Le premier grand vinyle que j’ai eu, un maxi 45, ou un 33 tours, je ne sais même plus, c’était Sade, “Smooth Operator”. J’avais la chanson du film “ET” aussi, chantée par un gosse de douze ans. Et puis la musique qu’on écoutait chez moi. Je ne sais pas si j’aurais aimé Véronique Sanson si mes parents ne l’avaient pas jouée. Je l’ai entendue malgré moi. Et on s’habitue aux choses. Idem pour Ferré ou Brel. Bon, mon père écoutait Cabrel, mais là je n’ai pas pu. Ça n’a pas pris. Mes parents avaient divorcé et mon père écoutait des musiques tristes. Chez ma mère, c’était autre chose. Ils se sont séparés quand j’étais en CM2. Avec ma mère on écoutait Alan Parsons Project, “Let’s Talk About Me”. C’est connu ? Ils sont morts ? Beaucoup Souchon aussi.

R&F : Vous grandissez dans les eighties. Pas de Jackson ? Pas de Prince ?

Chris Esquerre : Non pas tellement. En revanche j’aimais bien le truc de l’autre Jackson, Jermaine, avec Pia Zadora. Ah et Lionel Richie, “Say You Say Me”, c’était lui ? Tout à l’heure dans l’émission, ils ont passé Deee Lite, j’adorais ce truc.

R&F : Quel est le basculemen­t ? Quand avez-vous décidé d’écrire et d’être comédien ? Vous travaillie­z dans l’économie...

Chris Esquerre : Je m’ennuyais sévère dans mon travail. J’avais fait le tour de mon boulot. Je me disais, il me reste quarante ans à cotiser, je n’allais pas passer l’essentiel de mon temps à faire des trucs qui ne m’intéressai­ent plus. Je risquais de re-souffrir au travail, ce n’était pas tenable sauf à faire une grosse dépression sous cachetons. Je voulais un métier qui soit agréable à faire. C’était en 2002, je n’étais pas si vieux que ça. J’ai voulu faire de la radio, j’ai commencé en faisant des petits reportages humoristiq­ues. J’ai acheté un ordinateur, un micro, et j’ai fait des faux reportages. J’ai en quelque sorte baissé les bras. C’est le contraire d’être courageux. J’ai démissionn­é en bonne intelligen­ce, mon patron a été très compréhens­if. J’avais le chômage, ça m’a financé ma transition. J’ai fait des maquettes que j’ai envoyées à toutes les radios. France Bleue m’a rappelé, puis ensuite Radio Nova. Jean-François Bizot m’a appelé aussi. J’ai commencé comme ça, avec une chronique par semaine. Tout en conduisant des camionnett­es pour gagner ma vie. On croit toujours que le piston est la seule voie, mais les gens écoutent ce qu’on leur envoie.

R&F : Que trouve-t-on sur cette feuille ?

Chris Esquerre : Il faut savoir que je n’écoute plus de musique aujourd’hui. J’en écoutais beaucoup avant, maintenant je préfère le silence. J’adore, en revanche, en écouter en voiture. J’adore quand, idéalement, sur une nationale où il y a des peupliers, le passage des arbres correspond au rythme de la musique.

R&F : Comme la country music, sur les pylônes des routes américaine­s...

Chris Esquerre : Ah, alors oui, ça j’aime beaucoup. J’aime beaucoup Neil Young, la chanson “Heart Of Gold”. Mais par exemple le reste, je n’aime pas. J’ai écouté d’autres chansons que je n’aime pas. Simon And Garfunkel, j’aime tout. J’aime aussi beaucoup un disque de Luciano Pavarotti, “Les Airs Du Grand Echiquier”. Parce que ce n’est pas rebutant. A quelqu’un qui n’aime pas ce genre de musique, je lui conseille ce disque. Ce sont de très belles

mélodies que tout le monde peut aimer. Mais j’aime également Cerrone, “Supernatur­e”. Je ne sais même pas quel genre c’est. Quand j’étais à Nova, j’écoutais ce qu’ils passaient : Yubaba Smith And Fortune. Colette Magny, parce que ça passait chez mes parents. J’aime beaucoup les musiques de films, Hans Zimmer, George Delerue, Philip Glass. J’aime bien les jingles et les génériques d’habillage, je n’en ai pas honte. A une époque, j’écoutais aussi beaucoup les trucs d’ambiance : Craig Armstrong, Nitin Sawhney, un Indien. J’aime des vieux trucs, The La’s, mais une seule chanson, “There She Goes”. Je serais incapable de dire ce qu’ils ont fait d’autre. J’aime beaucoup l’album “Kékéland” de Brigitte Fontaine. Je l’ai beaucoup écouté, mais pas tellement les autres.

Avec les peupliers

R&F : Humour et musique peuvent-ils aller ensemble ?

Chris Esquerre : A part “Je Bois” de Boris Vian, ça ne me paraît pas possible. La musique drôle ne m’intéresse pas, j’attends des émotions. Boris Vian, c’est un sketch parlé, quasiment. Mais il y a des chansons drôles de lui qui ne m’intéressen­t pas. Si, j’aime bien Boby Lapointe. Mais parce que c’est quasiment de la poésie. Autrement ce sont souvent des choses tristes que j’écoute. J’aime bien Johnny Hallyday, j’ai mis la chanson “Ne Reviens Pas”. J’apprécie les trucs tristes. Dans la musique, il y a souvent des attitudes. J’ai des potes qui me disent : “La chanson française ne peut pas être bien, c’est forcément ringard à cause de la langue.” J’aurais adoré faire des tests. Prendre des chansons françaises et les faire chanter par un autre mec, mettons McCartney et les faire écouter à un récalcitra­nt. Il trouverait ça génial. Je suis sûr que plein de gens tomberaien­t dans le panneau. Ça changerait leur jugement. Les Sex Pistols, j’adore une seule chanson, c’est “My Way” repris par Sid Vicious. J’ai mis aussi les trucs dont je sais que ce n’est pas bien. Pendant un temps j’écoutais ce truc polonais dans ma voiture, “Dragostea Din Tei”.

R&F : O-Zone, de la dance roumaine...

Chris Esquerre : Voilà, j’ai mis aussi Jeanette, “Porque Te Vas”, j’adore. J’aime bien les chansons tristes, donc j’aime bien “Hallelujah” par Jeff Buckley. Paul McCartney, j’aime bien les chansons qu’il faisait il ya à peu près dix ans. “From A Lover To A Friend”. J’aime bien Dean Martin qui chante “Marshmallo­w World”, j’aime les chansons de Noël. Les Stone Roses, “I Wanna Be Adored”.

R&F : Etes-vous allé à des concerts ?

Chris Esquerre : Très peu. Je m’y suis retrouvé par hasard. De moi-même je crois que je n’ai jamais acheté un billet de ma vie. Si, pour Pavarotti, c’était pour ma grand-mère. Parce que je préfère toujours les versions studio, sans exception. Ceux qui aiment bien les concerts, ils aiment surtout le chanteur. Objectivem­ent en concert la qualité sonore est inférieure. Ou peut-être qu’ils ne peuvent pas mettre le son assez fort chez eux. Ou ils veulent voir la personne en vrai, ce qui équivaut à l’aduler. L’autre jour, on a reçu Patrick Poivre d’Arvor à la radio, ça m’a fait bizarre de le voir en vrai, mais rien de plus.

R&F : Vous êtes rouennais, les groupes locaux ? Les Dogs ?

Chris Esquerre : Ah oui, c’est vrai. Je connaissai­s le nom par mon demi-frère, ils passaient sur RVS, mais je ne savais pas ce qu’ils faisaient.

R&F : Il y a aussi Tahiti 80...

Chris Esquerre : Oui je me souviens du nom mais je serais incapable de dire ce qu’ils faisaient. Il y avait des autocollan­ts, je me souviens.

R&F : Qu’écoutez-vous en arrivant à Paris ?

Chris Esquerre : J’arrive en 1998. J’écoutais Moby, parce que je suis très influençab­le. Je ne pourrais plus écouter aujourd’hui, ça me ferait chier.

R&F : Les Stones ou les Beatles ?

Chris Esquerre : Les Stones, c’est deux trois chansons, mais je ne peux pas dire que j’aime les Stones. Je n’ai jamais dit non plus que j’aimais les Beatles. J’ai mis la chanson de Mick Jagger et Dave Stewart. Qui chantent “Old Habits Die Hard”. PJ Harvey, j’aime bien “On Battleship Hill” mais ce n’est pas représenta­tif de ce qu’elle fait. Je ne saurais même pas dire les noms des styles. J’aime en parler. Et en écouter, quand j’ai un bon système son. Dans ma voiture, avec les peupliers, ou sur l’autoroute en léger excès de vitesse. Je peux écouter Mika, “Relax”, j’avoue.

Je m’abstiens de chanter

R&F : Faire des sketches sur la musique vous intéresser­ait ?

Chris Esquerre : Je ne l’ai jamais fait, à part quelques parodies de Nouvelle Star. Oui, les conversati­ons à n’en plus finir sur des détails de musique me dépassent complèteme­nt. Je trouve que les gens s’envoient à la gueule énormément de références. Pour moi ce n’est pas parler de musique que de se balancer des noms de groupes. Je n’ai pas entendu de gens bien parler de musique. C’est compliqué, je pense. On joue à qui a la plus grosse dans sa connaissan­ce de la musique. Le but est de citer des trucs que l’autre ne connaît pas. Ce que je vois aussi des musiciens, depuis que j’en reçois à la radio, c’est qu’il y a un malentendu géant entre les interprète­s qui chantent avec leur belle voix des choses qu’ils n’ont pas composées. Or le public se projette, les gens vont dire : “Oh Julien

Clerc, il dit des choses si belles sur les femmes” — désolé de le citer — mais non, c’était un mec derrière lui qui écrivait ! Et les interprète­s souffrent de ça. C’est pour ça qu’ils parlent de plus en plus entre les chansons, font des petits sketches, pour se faire aimer pour eux-mêmes. Et les humoristes font le contraire, ils chantent de plus en plus. Ils profitent du fait qu’ils ont une salle pour chanter, et pas des chansons humoristiq­ues. Souvent en fin de spectacle, ils chantent une chanson un peu merdique. Et en fin de spectacle, les gens se disent : “Oh il a une belle voix !” Elie Seimoun, Palmade, Arthur, Gad Elmaleh... Les acteurs aussi ont cette envie. C’est rarement intéressan­t. Tout le monde a envie de chanter, c’est agréable pour 100 % des gens d’émettre des sons par la bouche. Moi, je n’ai pas de timbre intéressan­t, donc je m’abstiens de chanter et il faut me tirer une balle dans le dos si un jour je me mets à chanter. C’est comme les gens qui écrivent, il y a beaucoup de gens qui disent :“Ah bah

attends, je vais faire ma bio c’est intéressan­t”, mais non en fait. R&F : Un disque à emporter sur l’île déserte ? Chris Esquerre : Sans hésiter un disque de nettoyage, pour la platine.

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France