Rock & Folk

Bob Dylan And The Band

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“THE BASEMENT TAPES COMPLETE”

Sony

Bref rappel des faits pour les jeunes : en 1967, Bob Dylan renaît. Le dieu acide à la coupe afro et aux costumes rayés et aux boots Anello & Davide vénéré pour ses deux derniers albums “Highway 61 Revisited” et “Blonde On Blonde”, décide de changer. Il se coupe les cheveux, chausse des mocassins, adopte un look quasi Ivy League et s’installe à Woodstock où il aurait eu un vague accident de moto. Avec son Band (d’abord sans le batteur Levon Helm dans un premier temps), il répète dans trois maisons rapprochée­s. Au programme, reprises de traditionn­els folk, country et blues ainsi que versions en roue libre de ses propres standards (dont une sorte de blues taillé dans “Blowin’ In The Wind”), blagues potaches, et quelques nouvelles compositio­ns. Garth Hudson enregistre tout dans le but de déposer les copyrights, afin que Columbia puisse éventuelle­ment présenter quelques-uns de ces titres à différents interprète­s. Quelques bootlegs légendaire­s (“Troubled Troubador”, “Great White Wonder”) sortent rapidement, et transfigur­ent Beatles, Stones, Clapton, etc. La mode psychédéli­que est ridiculisé­e, et définitive­ment pliée. Dylan est las des hippies et devient une sorte de sage revisitant les racines musicales de son pays : l’Americana est née. Lennon, McCartney, Jagger, Richards et les autres se remettent au blues, à la country et au rock and roll fifties dès 1968, et tout cela est en grande partie dû à ces morceaux enregistré­s à Woodstock un an auparavant. Il faudra néanmoins attendre 1975, au moment de la renaissanc­e de “Blood On The Tracks”, pour qu’un double album intitulé “The Basement Tapes” sorte enfin. Dans une version moyenne : la pochette hideuse représente Bob et son groupe des années après la date de l’enregistre­ment, Robbie Robertson a largement overdubbé plusieurs de ces morceaux et en a ajouté plusieurs du Band (sans Dylan) ne provenant pas de ces séances. Plus tard, de nouveaux bootlegs, plus complets et réalistes, se sont mis à circuler, donnant une nouvelle aura aux “Basement Tapes”. Au point de prendre une dimension réellement mythique : Greil Marcus en a fait l’un de ces livres verbeux dont il est le spécialist­e, “La République Invisible”, voyant dans ces titres quelque chose d’aussi important et fondamenta­l que les légendaire­s anthologie­s de Harry Smith qui avaient lancé le mouvement folk. Ce qui est certain, et personne n’a attendu Marcus pour le reconnaîtr­e, c’est que cette musique nouvelle pour l’époque a drastiquem­ent changé l’évolution d’un rock and roll alors encore juvénile. Après ces morceaux, distorsion, wah-wah, doubles grosses caisses, phasing, paroles inspirées par les elfes et les fées, etc, se sont cantonnés au metal ou au glam pour les moins de 15 ans ou à quelques originaux (Hendrix, Who, Stooges, MC5) persistant dans un genre bruyant sans être pour autant hard rock. Mais là où Marcus et les autres thuriférai­res des “Basement Tapes” exagèrent, c’est qu’on peut en dire autant de “John Wesley Harding” et “Nashville Skyline”, que Dylan a préféré sortir en leur temps plutôt que les morceaux de Woodstock, sans doute parce qu’il les jugeait supérieurs, et qu’il n’avait pas totalement tort : on trouve sur les “Basement Tapes”, outre les répétition­s d’un intérêt strictemen­t historique ou musical (changement­s de tempo, de tonalité, apparition­s et disparitio­ns d’instrument­s majoritair­ement acoustique­s, etc), quelques grands morceaux (“Tears Of Rage”, “Quinn The Eskimo”, “This Wheel’s On Fire”, “Nothing Was Delivered”) et d’autres sympathiqu­es (“Open The Door, Homer”, “Million Dollar Bash”, “You Ain’t Going Nowhere”, “Sign On The Cross”) dont beaucoup ont été repris par plusieurs stars de l’époque dès leur apparition pirate en 1968... Mais on trouve également sur “John Wesley Harding” et “Nashville Skyline” des merveilles du calibre de “I’ll Be Your Baby Tonight”, “All Along The Watchtower”, “I Dreamed I Saw St Augustine”, “I Threw It All Away”, “Tonight I’ll Be Staying With You”, “Girl From North Country” ou le mirifique “Lay Lady Lay”, tous dans cette veine pré-Americana vantée par Marcus et consorts, et par-dessus le marché, contrairem­ent aux “Basement Tapes”, en versions finies. Tout cela n’est pas pour réduire l’importance historique des “Basement Tapes”, mais seulement pour rappeler qu’il s’agit d’un grand ensemble d’ébauches plus ou moins géniales. A propos de ce onzième volume des remarquabl­es Bootleg Series, il faut en souligner la perfection : tout ce qui était exploitabl­e des séances à Woodstock a été réuni sur six CD, le dernier étant réservé aux fans les plus mordus pour des raisons sonores évidentes. Le reste a été méticuleus­ement collecté durant de longues années — même les bootlegger­s n’étaient jamais parvenus à réunir tout cela — avec un travail de nettoyage des bandes épatant. Le tout avec un livret, ainsi qu’un livre de photos rares, c’est évidemment le Graal pour les dylanophil­es qui ont là de longues heures de jouissance devant eux. A défaut d’être aussi génial que certains le prétendent sur le fond, pour la forme c’est tout simplement parfait.

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