The Velvet Underground
“THE VELVET UNDERGROUND – 45TH ANNIVERSARY”
Polydor
La campagne de rééditions luxueuses des albums du VU se poursuit, et c’est cette fois-ci l’avant-dernière avec un traitement délirant réservé au mythique et étrange troisième album. A peu près au même moment que Dylan, Lou Reed effectue sa première mue, et sort en 1969 un disque n’ayant à peu près rien à voir avec tout ce que son groupe a sorti auparavant, à telle enseigne que les mots Velvet et Underground auraient bien pu être remplacés par n’importe quoi d’autre. John Cale a été viré. L’échec du deuxième album, l’extrémiste “White Light/ White Heat” interdit de toute manière, même si le coeur lui en dit, de s’obstiner dans la même direction. Alors Lou Reed retourne à ses premières amours, le doo-wop, qu’il administre ici au ralenti. Peu doué pour les suites d’accords complexes, l’atrabilaire tourne autour de compositions dont la simplicité même garantit leur beauté. Dès le premier morceau, le ton est donné et le changement déclaré : c’est Doug Yule, remplaçant de Cale, qui chante sur “Candy Says”, ballade virginale s’achevant sur des “doo, doo doo, woo” aussi célestes que réactionnaires et rétrogrades. Une ambiance qui s’installe sur d’autres morceaux phares du disque dont “I’m Set Free” et son solo hallucinant de régression ante psychédélique, “Pale Blue Eyes”, “After Hours”, “That’s The Story Of My Life” et “Jesus”. Ici et là, le fan retrouve quelques-uns des traits qu’il avait adorés sur les deux premiers albums (“What Goes On”, “The Murder Mystery”,
plus chiant encore que “European Song” et “Lady Godiva’s Operation”), en particulier sur les morceaux rejetés de l’album officiel et sortis dans les années 80 sur la compilation d’inédits “VU” : sur ce coffret splendide, on trouvera de nouveaux mix stupéfiants de “Foggy Notion” et “I Can’t Stand It”, suivis des désormais classiques “Lisa Says”, “Ocean”, “One Of These Days”, “We’re Gonna Have A Real Good Time Together”, “Andy’s Chest” (la version de “Transformer” est nettement supérieure), “Coney Island Steeplechase”, “Rock & Roll” et “She’s My Best Friend” ainsi que notre favorite, la superbe version instrumentale du délicieusement fifties “Ride Into The Sun”. Soit des chansons qui sont, autant le souligner, largement aussi bonnes que celles réunies sur l’album aucanapé. La version anniversaire propose donc trois mix différents de l’album sur autant de CD : le mix originel, celui de Lou Reed, surnommé le “Closet Mix” (voix en avant et instruments en arrière), ainsi que le mix mono, pas désagréable. Le quatrième CD est consacré aux séances compilées sur “VU”, le cinquième et le sixième réunissant des live (son nickel) de 1969 au Matrix (précédemment sorti en 1974 sous intitulé “1969 : The Velvet Underground Live With Lou Reed”), montrant un Velvet Underground passablement assagi mais très intéressant dans sa ferveur quasi religieuse (version de “I’m Set Free” à pleurer). Que reste-t-il, dans le fond, de ce troisième album ? C’est l’abandon du pop-art quasi psychédélique et l’invention de la ligne claire, celle qui allait inspirer d’abominables groupes pour étudiants comme les Feelies ou les Wedding Present, mais aussi d’autres passionnants comme les Jesus & Mary Chain, qui effectueront le même virage avec leur deuxième album ou plus tard, via “Stoned & Dethroned”, ou Mazzy Star, qui semble s’être créé après avoir forniqué dans les rêvasseries cotonneuses de “Jesus”, “Candy Says”, “Pale Blue Eyes” et “I’m Set Free”. Un renouvellement aussi important dans la musique underground, et tout aussi à rebours, que l’ont été les “Basement Tapes” dans un genre plus mainstream. L’aventure se poursuivra plus ou moins dans le même esprit avec “Loaded”, qui devrait subir le même traitement dans un an ou deux...