Rock & Folk

PEARL JAM

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Le 11 février 1992, Pearl Jam donnait son premier concert français à la Locomotive. Dans une salle bondée, pleine à ras bord d’un public venu découvrir l’une des sept merveilles du grunge. Tout à fait incroyable­ment, personne ne fut déçu. A la différence des clips édulcorés de MTV, le concert de Pearl Jam fut une sorte de cérémonie secrète vaudoue démente. Eddie Vedder perdait tout contrôle et lançait des hurlements animaux, dangereuse­ment suspendu à la sono, fouettant ses deux guitariste­s qui produisaie­nt de grands malstroms de son tournoyant et ricochant. Un disque avait justifié le déplacemen­t, l’album “Ten” sorti six mois plus tôt. Vous vous souvenez de 1991 ? Franchemen­t, ça commençait à sentir le roussi. Avec de moins en moins de rock, les débuts de groupes électroniq­ues intéressan­ts (Massive Attack, KLF), un hip hop en pleine puissance, les rockers semblent voir leur influence s’amenuiser. A la radio, les Black Crowes défendent le fort, en solitaires. Tout espoir n’est pas perdu. Seattle résiste. Là, autour de la compagnie Sub Pop une résistance s’organise avec Soundgarde­n et Mudhoney, bientôt Nirvana. Les futurs Pearl Jam sont dans cette mouvance. Au commenceme­nt était un groupe maudit, drogué et malade : Mother Love Bone, mené par le charismati­que chanteur Andrew Wood. Mais tout de suite Wood décède d’overdose (l’héroïne sera la malédictio­n du mouvement). Deux de ses disciples, Jeff Ament et Stone Gossard rejoignent le guitariste Mike McCready et commencent à composer dans le grenier de la maison des parents une série de chansons inspirées par la mort de Wood. Empruntant le batteur de Soundgarde­n, Matt Cameron, le trio enregistre une douzaine de chansons instrument­ales, parmi lesquelles “Alive”. Nous sommes en août 1990. Dans l’année qui vient, les Pearl Jam doivent dénicher un batteur et un chanteur. Discutant avec Jack Irons (batteur qui vient de quitter les Red Hot Chili Peppers), Stone Gossard apprend l’existence d’un possible chanteur. Un surfer nommé Eddie Vedder, 25 ans qui cherche un nouveau groupe après une expérience avec les Bad Radio. Vedder reçoit la cassette des démos en septembre. Pompiste de nuit dans une station Chevron, il a tout le temps d’écouter les instrument­aux et de cogiter des textes sombres. Frappé par l’espace et le lyrisme des titres, il réussit à recopier des voix sur une vieille cassette du chanteur country Merle Haggard. C’est le ton sombre et morose et oui, grave et morrisonie­n qui séduit les Pearl Jam. Eddie a conçu une série de textes qui se répondent, tel un mini-opéra autour de trois titres : “Alive”, “Once” et “Footsteps”. Convoqué, Eddie Vedder arrive à Seattle en octobre 1990. Fin avril, l’album “Ten” enregistré au studio local London Bridge est en boîte. Le producteur local Rick Parashar s’est chargé du boulot. Clairement, il a une vision de Pearl Jam qui dépasse le rock guérilla de Tad ou Nirvana. On vise plutôt la majesté des hymnes de stade, un son entre les Who et Led Zeppelin dans leur majesté 1975. Peut-être parce que Pearl Jam a voulu trop bien faire, donc surjoué et sur répété des titres qui sont devenus trop rigides. Certaines chansons ont nécessité trente prises, jamais une bonne nouvelle pour la fraîcheur de la musique. Mais voilà, en dépit de tout, quelque chose ici fonctionne. Quelque chose de nouveau, notamment dans ce fameux “Alive” qui deviendra l’hymne de l’alternate tuning et, sur disque ou sur scène, est le signal d’un échange de vue fondamenta­l entre Mike McReady et Stone Gossard. En 1993, nous écrivions : Gossard et McReady inventent ici... l’outro ! Un genre de sortie sauvage qui, au bout de trois minutes quarante, une fois la chanson terminée, le chanteur dégonflé, la batterie dérangée autorise nos deux guitariste­s à déployer leurs ailes. Ce que ces deux jeunes gens nous fignolent ici est un résumé succinct des siècles passés : Jimi Hendrix, Keith Richards, Jimmy Page, tout ce beau monde défile comme à la parade, gorgé d’électricit­é, saturé de feedback. Le disque sort et il ne se passe rien. Zéro action. Mais Pearl Jam part vaillammen­t en tournée, rejoint Smashing Pumkins et ouvre pour les Red Hot. L’album de Nirvana, “Nevermind” sort en septembre 1991. C’est une bombe, un disque puissant, racé qui décolle tout de suite. Le rock est de retour. Interrogé sur MTV, Kurt Cobain va faire un cadeau empoisonné à ses collègues, décrétant : “Pearl Jam... J’ai toujours détesté ce groupe.” L’histoire s’enclenche immédiatem­ent. La presse rock surjoue ce nouveau combat Beatles/ Stones devenu Pearl Jam/ Nirvana. La vieille guerre des groupes fonctionne à plein, générant des milliers de pages sur un sujet fondamenta­l pour la fameuse Génération X. MTV met en rotation lourde trois clips de “Ten” qui bagarrent face à ceux de Nirvana. Les groupes sont mal à l’aise mais l’Amérique radio est conquise. Pearl Jam décroche des diffusions radio sur tout le territoire. “Ten” restera classé deux ans dans les meilleures ventes US et sera confirmé à 13 millions d’exemplaire­s vendus, record absolu pour un premier effort. Mais à l’époque, cette haine de Cobain pèse lourd sur les Pearl Jam qui seront régulièrem­ent crucifiés par un public influençab­le. Mais leur réponse sera de solidifier leur son, trouver une énergie renouvelab­le et donner des concerts d’anthologie. Clairement, Neil Young, parrain absolu de la scène grunge, devait faire appel à Pearl Jam et personne d’autre pour enregistre­r son disque de rumination post-suicide de Kurt Cobain. Le disque “Mirror Ball” (1995) aurait pu figurer dans cette rubrique, bien sûr. Lors d’un récent concert de Courtney Love à Paris, au Bataclan, 25 août 2010, la diva grunge vengeait les pauvres Pearl Jam de leurs misères passées en décrétant :

“J’écoutais cette chanson en cachette de mon mari”, avant de se lancer dans une relecture folk de “Jeremy”, troublante histoire d’étudiant suicidaire. Certains plats se dégustent froid.

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