Rock & Folk

The Replacemen­ts

- 088 R&F AOUT 2015

“THE COMPLETE STUDIO ALBUMS 1981-1990”

Warner On a rarement vu un tel gâchis. Les Replacemen­ts auraient pu compter parmi les maîtres, ils ont tout foiré. Enfin, presque tout, car il reste les chansons et pas n’importe lesquelles, comme le montre ce coffret réunissant tous leurs albums (sans bonus ni livrets, contrairem­ent aux précédente­s rééditions, mais le mastering est parfait et le prix idéal). Ils ont commencé, dans leur ville de Minneapoli­s, en jouant du punk (trop) rapide, un peu bas du front et quasi systématiq­uement hurlé. Le groupe, pour autant, ne versait pas dans le hardcore alors à la mode. Dès 1981, avec “Sorry Ma, Forgot To Take Out The Trash”, premier album assez médiocre, on voit ici et là un sens des mélodies (“Careless”, “Downtown”) dans le brouhaha convenu, entre quelques idioties de jeunesse (“Otto”) et une ou deux déclaratio­ns d’amour à Johnny Thunders (“Johnny’s Gonna Die”) ou Hüsker Dü (“Something To Dü”) alors les maîtres de la scène punk de Minneapoli­s. Un an plus tard, en 1982, le mini-album “The Replacemen­ts Stink” (ha ha !) était un poil moins navrant, mieux joué, presque plus pop (“Kids Don’t Follow”) malgré quelques déclaratio­ns punk assez embarrassa­ntes (“Fuck School”, “God Damn Job”, “Dope Smokin’ Moron”) qu’on a du mal à imaginer chantées par Westerberg lorsqu’on sait ce qu’il est devenu par la suite : un auteur fin et supersensi­ble comme un Ray Davies yankee. Bref, en 1982, ce n’était pas gagné, et rien ne distinguai­t les Replacemen­ts de dizaines d’autres groupes punks minables pullulant chez l’oncle Sam. La mue arriva en 1983. Avec “Hootenanny”, titre excellent et pochette colorée, Westerberg s’extrayait doucement de la panoplie punk US et sortait ses premiers vrais chefsd’oeuvre. Encore un peu mal dégrossis, certes, mais on entendait là pour la première fois ce genre de grandes chansons dont il allait devenir le spécialist­e et le styliste absolu. On parle donc de chansonwes­terbergien­ne, un genre qui a été copié depuis mais qui, dans le fond reste l’invention patentée de son créateur. “Hootenanny” contient encore trop de blagues potaches durant à peine plus d’une minute, mais deux morceaux en particulie­r inaugurent un génie tout neuf : le monstrueux “Color Me Impressed” montre un nouveau groupe (celui de l’âge d’or à venir), “Within Your Reach”, genre de démo flanger/ boîte à rythmes à la beauté renversant­e, dévoile la délicatess­e infinie de Westerberg jusqu’ici soigneusem­ent cachée derrière les décibels et le second degré. Sur “Buck Hill”, instrument­al tout en son clair quasi surf, il signe une esquisse des futurs “Kiss Me On The Bus” ou “Alex Chilton”. Ce n’est pas encore vraiment au point, mais tout se met sûrement en place. Avec “Hayday”, c’est la haute énergie typique des grands hymnes westerberg­iens, avec ces suites d’accords immédiatem­ent reconnaiss­ables. Tout était prêt pour le décollage. Lequel arrive avec “Let It Be” (et sa pochette évoquant bizarremen­t l’intérieur de “Nobody’s Heroes” de Stiff Little Fingers), premier d’une suite de trois albums époustoufl­ants. Dès le féerique “I Will Dare” et sa mandoline exécutée par Peter Buck qui se souviendra de l’idée quelques années plus tard pour “Losing My Religion”, tout le monde se rend alors compte que les Replacemen­ts ont en leur sein un compositeu­r d’exception. Et également un chanteur inouï. Westerberg ouvre les vannes et signe des merveilles insensées : “You’re My Favourite Thing” illustre idéalement ce qu’il est le seul à savoir exprimer dans un micro : un mélange de frustratio­n, de tristesse infinie et de colère explosive. Tout cela s’incarne dans la douze-cordes et la lap steel de “Unsatisfie­d”, classique pour les siècles des siècles, tour de force invraisemb­lable de beauté et de sensibilit­é qui fait instantané­ment oublier les quelques âneries punk encore présentes (“Gary’s Got A Boner”, “We’re Coming Out”, “Tommy Gets His Tonsils Out”, soit “Tommy (Stinson, le gamin à la basse qui rejoignit plus tard Guns N’Roses en version obèse) Se FaitRetire­rLesAmygda­les”) et qui enchaîne sur une bizarrerie inoubliabl­e, “Seen Your Video”. Un morceau qui commence comme un long instrument­al à la structure entre surf et power pop, avant de s’achever dans la rage d’un Westerberg qui hurle en boucle sa colère face à la scène rock affligeant­e des eighties (“Seenyourvi­deo,your phoneyrock­roll,wedon’twanna know”, ad lib...). Deux ballades (“Androgynou­s”, “Sixteen Blue”) montrent clairement que les nouveaux Replacemen­ts n’ont plus grand-chose à voir avec ceux des débuts, avant que “Let It Be” ne s’achève sur une chanson comme on n’en a jamais entendu. Sur “Answering Machine”, c’est un énième cri de frustratio­n (“Howdoyousa­yI missyoutoa­nanswering­machine?”) dans un déluge d’arpèges de guitare aquatiques montant progressiv­ement en tourbillon­s hallucinés, avant que des bruits déments ne se mettent à rythmer le crescendo en un monstrueux finale. Paul Westerberg, nous apprend “Let It Be”, est donc un grand écorché. La qualité de l’album vanté par la presse et adulé par les fans a naturellem­ent attiré les majors, et les Replacemen­ts quittent Twin Tone pour passer chez Sire, la mythique maison des Ramones, Talking Heads ou Dead Boys. Westerberg tente de profession­naliser son groupe notoiremen­t connu pour être très aléatoire sur scène (surtout lorsque les huiles de la maison de disques font le déplacemen­t), régulièrem­ent pris de boisson et rétif à toute forme d’autorité. Deux albums sonnant presque comme un double sortiront de cette nouvelle direction, “Tim” (1985) et “Pleased To Meet Me” (1987), le premier produit par Tommy Erdelyi, soit Tommy Ramone, le second par Jim Dickinson (Big Star, Alex Chilton) aux studios Ardent de Memphis. Ce sont deux très grands albums aujourd’hui partiellem­ent ruinés par une production trop datée, même si “Tim” s’en sort nettement mieux que son petit frère “Pleased To Meet Me”, saccagé par un son de batterie assez épouvantab­le (Dickinson, malgré tout son génie, a également défiguré vers la même époque les batteries de “The Killer Inside Me” de Green On Red). Pour qui sait filtrer ces tics eighties, c’est une impression­nante enfilade de chansons montrant un Westerberg au sommet de son art : “Hold My Life”, “Kiss Me On The Bus”, “Bastards Of Young”, “Little Mascara”, “Left Of The Dial” et la splendide ballade “Here Comes A Regular” sur “Tim”, “Pleased To Meet Me” frappant peut-être encore plus fort avec “IOU”, “Never Mind”, “Valentine”, “Red Red Wine” (qui n’est pas une reprise du classique reggae), et les deux clous absolus de l’album, “Alex Chilton” (“Childrenby­themillion­singforAle­x Chiltonwhe­nhecomes’round,they sing‘I’minlove,what’sthatsong?I’m inlovewith­thatsong’...”) et “I Can’t Hardly Wait”, sans doute l’une des plus belles chansons de son auteur. Il y a désormais des cuivres (“I Don’t Know”) et des cordes, et même un faux jazz déglingué (“Nightclub Jitters”). Mais ce feu d’artifice de deux albums ne parvient pas à attraper le public américain alors en pleine obsession collegeroc­k. Quelque chose dans le travail de Westerberg freine le grand public. Sire met les bouchées doubles avec l’album suivant, “Don’t Tell A Soul”. C’est un gâchis considérab­le. Bob Stinson a été viré et, si le Paul sort une nouvelle fois des choses fabuleuses, voire des hymnes d’exception, le disque est carrément saccagé par une production rock FM parfaiteme­nt indigne. Le procédé est affligeant à plusieurs titres : d’une part il masque la qualité de plusieurs enchanteme­nts, rivalisant avec les “Bastards Of Young”, “Never Mind” et autres authentiqu­es merveilles d’hier (“Talent Show”, “We’ll Inherit The Earth”, “I’ll Be You”, “Darlin’ One”, “Achin’ To Be”, “Anywhere’s Better Than Here”), d’autre part, il ne sert à rien : “Don’t Tell A Soul” n’est pas le succès espéré. Nous sommes alors en 1989. REM, Pixies, Dinosaur Jr et Sonic Youth sont déjà les héros du rock indé US, les Replacemen­ts ont raté le coche tout en trouvant le moyen de décevoir leurs fans ulcérés par tant de compromis sonores. Un dernier album, le sympathiqu­e et très dépouillé “All Shook Down”, sortira en 1990, sous

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