The Replacements
“THE COMPLETE STUDIO ALBUMS 1981-1990”
Warner On a rarement vu un tel gâchis. Les Replacements auraient pu compter parmi les maîtres, ils ont tout foiré. Enfin, presque tout, car il reste les chansons et pas n’importe lesquelles, comme le montre ce coffret réunissant tous leurs albums (sans bonus ni livrets, contrairement aux précédentes rééditions, mais le mastering est parfait et le prix idéal). Ils ont commencé, dans leur ville de Minneapolis, en jouant du punk (trop) rapide, un peu bas du front et quasi systématiquement hurlé. Le groupe, pour autant, ne versait pas dans le hardcore alors à la mode. Dès 1981, avec “Sorry Ma, Forgot To Take Out The Trash”, premier album assez médiocre, on voit ici et là un sens des mélodies (“Careless”, “Downtown”) dans le brouhaha convenu, entre quelques idioties de jeunesse (“Otto”) et une ou deux déclarations d’amour à Johnny Thunders (“Johnny’s Gonna Die”) ou Hüsker Dü (“Something To Dü”) alors les maîtres de la scène punk de Minneapolis. Un an plus tard, en 1982, le mini-album “The Replacements Stink” (ha ha !) était un poil moins navrant, mieux joué, presque plus pop (“Kids Don’t Follow”) malgré quelques déclarations punk assez embarrassantes (“Fuck School”, “God Damn Job”, “Dope Smokin’ Moron”) qu’on a du mal à imaginer chantées par Westerberg lorsqu’on sait ce qu’il est devenu par la suite : un auteur fin et supersensible comme un Ray Davies yankee. Bref, en 1982, ce n’était pas gagné, et rien ne distinguait les Replacements de dizaines d’autres groupes punks minables pullulant chez l’oncle Sam. La mue arriva en 1983. Avec “Hootenanny”, titre excellent et pochette colorée, Westerberg s’extrayait doucement de la panoplie punk US et sortait ses premiers vrais chefsd’oeuvre. Encore un peu mal dégrossis, certes, mais on entendait là pour la première fois ce genre de grandes chansons dont il allait devenir le spécialiste et le styliste absolu. On parle donc de chansonwesterbergienne, un genre qui a été copié depuis mais qui, dans le fond reste l’invention patentée de son créateur. “Hootenanny” contient encore trop de blagues potaches durant à peine plus d’une minute, mais deux morceaux en particulier inaugurent un génie tout neuf : le monstrueux “Color Me Impressed” montre un nouveau groupe (celui de l’âge d’or à venir), “Within Your Reach”, genre de démo flanger/ boîte à rythmes à la beauté renversante, dévoile la délicatesse infinie de Westerberg jusqu’ici soigneusement cachée derrière les décibels et le second degré. Sur “Buck Hill”, instrumental tout en son clair quasi surf, il signe une esquisse des futurs “Kiss Me On The Bus” ou “Alex Chilton”. Ce n’est pas encore vraiment au point, mais tout se met sûrement en place. Avec “Hayday”, c’est la haute énergie typique des grands hymnes westerbergiens, avec ces suites d’accords immédiatement reconnaissables. Tout était prêt pour le décollage. Lequel arrive avec “Let It Be” (et sa pochette évoquant bizarrement l’intérieur de “Nobody’s Heroes” de Stiff Little Fingers), premier d’une suite de trois albums époustouflants. Dès le féerique “I Will Dare” et sa mandoline exécutée par Peter Buck qui se souviendra de l’idée quelques années plus tard pour “Losing My Religion”, tout le monde se rend alors compte que les Replacements ont en leur sein un compositeur d’exception. Et également un chanteur inouï. Westerberg ouvre les vannes et signe des merveilles insensées : “You’re My Favourite Thing” illustre idéalement ce qu’il est le seul à savoir exprimer dans un micro : un mélange de frustration, de tristesse infinie et de colère explosive. Tout cela s’incarne dans la douze-cordes et la lap steel de “Unsatisfied”, classique pour les siècles des siècles, tour de force invraisemblable de beauté et de sensibilité qui fait instantanément oublier les quelques âneries punk encore présentes (“Gary’s Got A Boner”, “We’re Coming Out”, “Tommy Gets His Tonsils Out”, soit “Tommy (Stinson, le gamin à la basse qui rejoignit plus tard Guns N’Roses en version obèse) Se FaitRetirerLesAmygdales”) et qui enchaîne sur une bizarrerie inoubliable, “Seen Your Video”. Un morceau qui commence comme un long instrumental à la structure entre surf et power pop, avant de s’achever dans la rage d’un Westerberg qui hurle en boucle sa colère face à la scène rock affligeante des eighties (“Seenyourvideo,your phoneyrockroll,wedon’twanna know”, ad lib...). Deux ballades (“Androgynous”, “Sixteen Blue”) montrent clairement que les nouveaux Replacements n’ont plus grand-chose à voir avec ceux des débuts, avant que “Let It Be” ne s’achève sur une chanson comme on n’en a jamais entendu. Sur “Answering Machine”, c’est un énième cri de frustration (“HowdoyousayI missyoutoanansweringmachine?”) dans un déluge d’arpèges de guitare aquatiques montant progressivement en tourbillons hallucinés, avant que des bruits déments ne se mettent à rythmer le crescendo en un monstrueux finale. Paul Westerberg, nous apprend “Let It Be”, est donc un grand écorché. La qualité de l’album vanté par la presse et adulé par les fans a naturellement attiré les majors, et les Replacements quittent Twin Tone pour passer chez Sire, la mythique maison des Ramones, Talking Heads ou Dead Boys. Westerberg tente de professionnaliser son groupe notoirement connu pour être très aléatoire sur scène (surtout lorsque les huiles de la maison de disques font le déplacement), régulièrement pris de boisson et rétif à toute forme d’autorité. Deux albums sonnant presque comme un double sortiront de cette nouvelle direction, “Tim” (1985) et “Pleased To Meet Me” (1987), le premier produit par Tommy Erdelyi, soit Tommy Ramone, le second par Jim Dickinson (Big Star, Alex Chilton) aux studios Ardent de Memphis. Ce sont deux très grands albums aujourd’hui partiellement ruinés par une production trop datée, même si “Tim” s’en sort nettement mieux que son petit frère “Pleased To Meet Me”, saccagé par un son de batterie assez épouvantable (Dickinson, malgré tout son génie, a également défiguré vers la même époque les batteries de “The Killer Inside Me” de Green On Red). Pour qui sait filtrer ces tics eighties, c’est une impressionnante enfilade de chansons montrant un Westerberg au sommet de son art : “Hold My Life”, “Kiss Me On The Bus”, “Bastards Of Young”, “Little Mascara”, “Left Of The Dial” et la splendide ballade “Here Comes A Regular” sur “Tim”, “Pleased To Meet Me” frappant peut-être encore plus fort avec “IOU”, “Never Mind”, “Valentine”, “Red Red Wine” (qui n’est pas une reprise du classique reggae), et les deux clous absolus de l’album, “Alex Chilton” (“ChildrenbythemillionsingforAlex Chiltonwhenhecomes’round,they sing‘I’minlove,what’sthatsong?I’m inlovewiththatsong’...”) et “I Can’t Hardly Wait”, sans doute l’une des plus belles chansons de son auteur. Il y a désormais des cuivres (“I Don’t Know”) et des cordes, et même un faux jazz déglingué (“Nightclub Jitters”). Mais ce feu d’artifice de deux albums ne parvient pas à attraper le public américain alors en pleine obsession collegerock. Quelque chose dans le travail de Westerberg freine le grand public. Sire met les bouchées doubles avec l’album suivant, “Don’t Tell A Soul”. C’est un gâchis considérable. Bob Stinson a été viré et, si le Paul sort une nouvelle fois des choses fabuleuses, voire des hymnes d’exception, le disque est carrément saccagé par une production rock FM parfaitement indigne. Le procédé est affligeant à plusieurs titres : d’une part il masque la qualité de plusieurs enchantements, rivalisant avec les “Bastards Of Young”, “Never Mind” et autres authentiques merveilles d’hier (“Talent Show”, “We’ll Inherit The Earth”, “I’ll Be You”, “Darlin’ One”, “Achin’ To Be”, “Anywhere’s Better Than Here”), d’autre part, il ne sert à rien : “Don’t Tell A Soul” n’est pas le succès espéré. Nous sommes alors en 1989. REM, Pixies, Dinosaur Jr et Sonic Youth sont déjà les héros du rock indé US, les Replacements ont raté le coche tout en trouvant le moyen de décevoir leurs fans ulcérés par tant de compromis sonores. Un dernier album, le sympathique et très dépouillé “All Shook Down”, sortira en 1990, sous