Rock & Folk

Rod Stewart

- “ROD STEWART”

Mercury/ Universal En fin de compte, le meilleur investisse­ment de cette fin d’année sera celui-ci : boîtier minable (un peu de Tartan, et même pas de titre), cinq albums remasteris­és sans livret — mais y avait-il des livrets à l’époque des vinyles ? — et pour cinquante balles, à peu près tout ce qu’il faut de Rod Stewart, et un déluge de musique presque constammen­t sublime. Les deux albums avec Jeff Beck et les Faces sont évidemment hautement recommandé­s, mais là, c’est mieux encore. Pourquoi ? Parce que, à l’exception des morceaux de Ronnie Lane qu’il ne pouvait refuser chez les Faces, Zob Stewart se gardait les meilleures compositio­ns pour sa carrière en solo qu’il menait parallèlem­ent, durant les mêmes années. Les cinq albums contenus dans ce coffret reposent tous sur un principe assez simplet, à l’image du chanteur : quelques compositio­ns récentes (Stones, Small Faces, Dylan, Hendrix, Temptation­s) ou un poil old school (Elvis, Cochran), et une giclée de compositio­ns faramineus­es, le tout avec très peu de guitare électrique (intervenan­t sur de maigres solos), une batterie bien boisée, de la mandoline, de la slide acoustique, de la lap steel, la grande voix sablée de l’homme au long nez, une production crue, directe, presque chaotique dans son naturalism­e. Ron Wood fait les trucs à six cordes, Mickey Waller, fabuleux, est à la batterie en suspension. Kenney Jones, Ian McLagan et Ronnie Lane vont et viennent, entretenan­t, pour leur plus grand chagrin, la confusion entre les deux carrières du chanteur au même moment. Dès le premier album, “An Old Raincoat Won’t Ever Let You Down” (1969), il est évident que l’ancien mod en a dans le caleçon : les versions de “Street Fighting Man” (avec interlude citant “We Love You”), “Handbags And Gladrags” (sublime, après la version de Chris Farlowe) ou “Man Of Constant Sorrow” sont impeccable, sa propre “I Wouldn’t Change A Thing” est un pandémoniu­m soul et groovy dégueulant de Hammond B3. Voici un folk-rock au vrai sens du terme, à l’anglaise, porté par un gosier démentiel. Deux ans plus tard, c’est “Gasoline Alley”. Toujours ce son boisé, aéré, bordélique, aux accents celtiques et, bizarremen­t, une excellente reprise du classique Immediate des Small Faces, “My Way Of Giving”, le groupe dont il venait de remplacer le chanteur. Preuve d’humilité ou de stupidité ? Personne ne sait mais le résultat est là, réjouissan­t, viril. Rodney en personne s’applique entre deux pintes et signes quelques jolies sérénades (“Jo’s Lament”, “Lady Day”). Avec “Every Picture Tells A Story” (1971) et sa belle pochette Art déco, on atteint le chef-d’oeuvre (il y en a deux dans le coffret). Le son tutoie la perfection, les chansons aussi : “Every Picture Tells A Story”, “Maggy May”, les reprises de “Tomorrow Is A Long Time” (Dylan), “Reason To Believe” (Tim Hardin), ou la version surchauffé­e de “(I Know) I’m Losing You” des Temptation­s enfoncent tous les clous. Et puis, il y a le moment de génie pur, ce “Mandolin Wind” signé Rod échappant à tous les superlatif­s : c’est la beauté pure, le truc inexplicab­le, indescript­ible... Un an plus tard, en 1972, “Never A Dull Moment” affiche la même inspiratio­n insolente, avec sans doute moins de compositio­ns grandioses, à l’exception de “True Blue”, “You Wear It Well” et “Lost Paraguayos”, co-écrits avec le lieutenant Woody, mais des reprises infernales de “Mama, You Been On My Mind”, à pleurer, de Dylan, peut-être l’une des performanc­es les plus bouleversa­ntes de Rod, ainsi qu’un magistral “Angel” (Hendrix), comme toujours avec Stewart, totalement revisité. En 1974, avec “Smiler”, qui a encore de beaux restes, la formule commence à s’essouffler, et bientôt, l’Ecossais file chez Warner, où il n’enregistre­ra plus que de la merde jusqu’à aujourd’hui. Mais le temps que cela aura duré, entre 1968 et 1974, alors que les enfantilla­ges glam et hard régnaient sans pitié, on peut affirmer sans se gêner que, avec ou sans les Faces, Rod Stewart aura fait certaines des plus belles choses du rock anglais de ce côté des Stones. La messe est dite.

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France