Débrouille La Chambre Interdite
Voilà comment anoblir au mieux le travail de ce cinéaste canadien (totalement) atypique qui, depuis la fin des années 80, renoue sans cesse avec l’essence du cinéma le plus pur. Noir et blanc abîmé mixé à des couleurs monochromes, envolées poétiques sans fin, maquettes à l’ancienne, décors artificiels quasi expressionnistes, intertitres à foison... Tout pour récréer un univers hors du temps et de l’espace digne d’un songe surréaliste d’André Breton. Du cinéma de la débrouille en perpétuelle réinvention. Un pêcheur esseulé atteint de la variole (“Tales From The Gimli Hospital”), la Première Guerre mondiale revisitée sur fond de parodie de propagande et de cannibalisme débonnaire (“Archangel”), des habitants d’une ville de haute montagne qui se taisent par peur de provoquer une avalanche (“Careful”), une baronne cul-de-jatte organisant un concours de la musique la plus triste du monde (“The Saddest Music In The World”), un célèbre mythe vampirique dansé par un Royal Ballet canadien (“Dracula, Pages Tirées D’Une Demi-Vierge”), un faux documentaire enamouré sur sa propre ville de naissance (“Winnipeg Mon Amour”)... Les histoires qu’invente (voire improvise) Guy Maddin, volontairement gratuites dans leur illogisme engagé, arrivent toujours au second plan. La forme prenant toujours le pas sur le fond. Dans le portrait que lui a récemment consacré Yves Montmayeur (“The 1000 Eyes Of Dr Maddin”, prix du Meilleur documentaire au dernier festival de Venise), le Canadien zinzin est le premier à reconnaître que son cinéma est avant tout sensitif. Qu’il veut s’approcher d’au plus près des sensations de rêves, quitte à larguer le spectateur en cours de route en enchaînant les rebondissements insensés. Et prend au passage quelques exemples de cinéastes frappadingues qui ont mis leur savoir-faire au service de l’exagération et de la provocation esthétique pour emballer des films qui ne ressemblent à rien d’autre qu’à eux. Comme John Waters dont Guy Maddin est resté fan le jour où il découvrit Divine en train de déglutir une vraie crotte de chien en live au détour de la séquence la plus célèbre de “Pink Flamingos”. Comme les frères Quay, champions de films d’animation à base de poupées mortuaires. Ou comme (surtout) Kenneth Anger (particulièrement “Inauguration Of The The Pleasure Dome”) dont Maddin reconnaît avoir emprunté ses images syncopées aux couleurs saturées et ses ambiances ésotériques proches de sabbats tribaux. “La Chambre Interdite” aurait pu donc être rêvé par Anger il y a cinquante ans... Mais de quoi parle cette “Chambre Interdite” au juste ? Comme d’habitude : de tout, mais dans la folie la plus totale ! Un bûcheron apeuré débarque au beau milieu d’un sous-marin nazi flottant sous les eaux et confie à l’équipage (flashback) que sa dulcinée a été capturée par des hommes des cavernes ! Le reste est un maelström de séquences dingos qui s’imbriquent les unes dans les autres à la façon d’un kaléidoscope visuel très concentré. Comme si on faisait face aux ultimes images de grands films de Murnau ou de Fritz Lang période muet ou à des ersatz de peur (façon “Nosferatu”), d’humour bordélique (façon Max Brothers) ou d’un vieux sérial obscur dont quelques séquences auraient oublié d’être tournées. Ce trop plein d’images (qui — soyons honnêtes — peut parfois lasser ou agacer) est, paradoxalement, bénéfique pour les sens. Comme si “La Chambre Interdite” nous lavait d’un cinéma désespérément mainstream calibré pour des masses guidées robotiquement par leurs cartes UGC. En vrai redneck de la pellicule (qu’il utilise encore, malgré le tout-numérique), Guy Maddin embarque avec lui de plus en plus d’acteurs renommés venus de tous les continents et prêts à toutes les expériences. Ici l’Anglaise Charlotte Rampling, le frenchie Mathieu Amalric, la Portugaise Maria de Medeiros, la Britanniquo-Américaine Géraldine Chaplin et l’indispensable Allemand zazou Udo Kier, son acteur fétiche devenu culte pour avoir joué un Dracula décadent et un Frankenstein obsédé sexuel dans des films d’horreur ironiques estampillés Andy Warhol. Une partie d’entre eux ayant même participé avant le tournage — et avec Guy Maddin derrière la caméra — à des expériences de spiritisme en public pour invoquer les esprits de grands films inachevés et disparus signés Alfred Hitchcock, Fritz Lang ou Jean Vigo. Une autre façon d’avoir l’esprit rock (ensallesle16novembre).