Daredevil
Ces quatre prochaines années, ce ne sont pas moins d’une vingtaine de films Marvel qui vont monopoliser les écrans du monde entier, bousculant au passage toute autre production qui aurait l’outrecuidance d’aller s’insérer dans les salles. Et ce, même si un début de lassitude se fait sentir envers les films de super héros. Voir le tout frais “Batman v Superman” (qui n’est pas une production Marvel) dont les critiques calamiteuses n’ont pourtant pas empêché le film de battre des records au box-office. Agressivement marketé, noyé dans des effets numériques de plus en plus lavasses et des montages outrageusement syncopés, sacrifiant ses personnages au profit de séquences d’action réellement abrutissantes — aux dernières nouvelles, “Avengers 2” (le pire de tous) ne serait plus projeté qu’aux prisonniers du camp de Guantanamo en guise de torture ultime — les marvelleries assèchent les vrais cinéphiles tout en réjouissant encore (mais pour combien de temps ?) une certaine génération post-“Star Wars”. Bref, la Marvel commence à gaver son monde ! Le salut ne viendrait-il pas alors des séries ou — comme chacun sait — ambiguïté et noirceur sont désormais de mise. Comme dans “Daredevil” ! Avocat le jour, justicier la nuit, ce personnage Marvel créé par Stan Lee en 1964 a eu droit à sa première (et mauvaise) adaptation ciné en 2003. En cause : la personnalité fade de Ben Affleck, incapable de faire transparaître un minimum de charisme à cet avatar rougeâtre de Batman. Comme il fallait lui redonner un petit coup d’âme, Daderevil revient donc en vraie forme dans une bonne série initiée par Netflix. Avec trois personnages principaux : l’avocat Matt Murdock, son associé Foggy Nelson et leur secrétaire sexy Karen Page. Suite à un accident survenu lors de ses neuf ans, Murdock s’est retrouvé avec des capacités physiques extraordinaires qu’il use de nuit sous le pseudonyme Daredevil, histoire de nettoyer les rues de Hell’s Kitchen (quartier le plus mal famé de Manhattan) de la racaille. Bien qu’aveugle, il possède des sens lui permettant de mieux voir que Mister Magoo et de se battre plus acrobatiquement que le meilleur des guerriers de la Dynastie Tang. Dans la première saison, Murdock/ Daredevil est en butte à un méga bad-guy, un certain Wilson Fisk (joué par le génial et brandoesque Vincent D’Onofrio), qui veut étendre son pouvoir du mal par le biais d’un urbanisme agressif. Dans la deuxième saison, il fait face au mythique Punisher, autre justicier Marvel, qui gère ses accès de vengeance avec du noir à l’âme et du sang sur les mains. Comme une version négative de Daredevil qui, lui, se fait un point d’honneur à ne pas occire les salauds. “Daredevil” joue habilement sur les aléas douteux de l’auto–justice et du règlement de compte : comment gérer la violence en restant dans le bien ? Comment garder son âme sans basculer dans le mal ? Bad-guys comme justiciers, tous tentent de cerner les frontières de leurs morales ambiguës. Et ce au milieu de bastons teigneuses dont une dans la saison 1 (Daredevil contre plusieurs hommes de main), magnifiquement chorégraphiée, renvoie aux deux “The Raid” de Gareth Edwards. “Daredevil” fonctionne aussi formidablement sur son esthétisme urbain, quasi apocalyptique, avec ses images sombres et bleutées qui se réfèrent aux cases des comics originaux comme aux pérégrinations flingueuses de Charles Bronson dans les “Justicier Dans la Ville”. Sachant que Netflix compte décliner l’univers Marvel dans d’autres séries existantes ou à venir (“Jessica Jones”, “Luke Cage” et “Iron Fist”), on a toutes les bonnes raisons de rester chez soi pour se marvelliser les sens plutôt que d’aller se fourvoyer dans les versions ciné amidonnées et déshumanisées de ces justiciers urbains.