Rock & Folk

Tu Ne Tueras Point

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Sympa, psychopath­e, blagueur, bipolaire, alcoolo, cool, nerveux, à fleur de peau... Mel Gibson est tout cela à la fois. L’une des plus grandes stars des années 80-90 via trois “Mad Max” et quatre “Arme Fatale” s’est donc grillé à Hollywood il y a dix ans, après avoir proféré quelques insultes racistes à un flic. Depuis, l’acteur ultra rentable s’est confiné aux rôles de méchant de service dans de gros films d’action sympatico-beaufisant (“Machete Kills”, “Expendable­s 3”) ou a continué de jouer les héros psychopath­es dans des séries B à peine sortie en salles (“Kill The Gringo” et le tout récent “Blood Father”). Même la Marvel ne semble pas vouloir lui faire endosser un costard de superhéros à la con... On en oublierait presque que Mel Gibson est également réalisateu­r. Et plutôt un bon ! Si son premier film derrière la caméra, le mélodrame “L’Homme Sans Visage”, n’avait pas marqué son monde, son “Braveheart” est vite venu remettre les pendules à l’heure. Avec cette épopée guerrière retraçant le parcours de William Wallace, héros de l’indépendan­ce écossaise qui affronta les Anglais au 13e siècle, Gibson tapait fort avec d’impression­nantes séquences de bataille où l’on sentait déjà poindre sa fascinatio­n pour la barbarie humaine. Malgré ses cinq Oscar remportés pour le film, Mel Gibson attend neuf ans pour remettre le couvert avec son très décrié “La Passion Du Christ”, ou les 12 dernières heures de la vie du petit barbu avant qu’il n’aille faire le guignolo sur sa croix. Avec cette épopée catho, Gibson suscite une controvers­e infernale. Surtout pour son antisémiti­sme primaire quasi caricatura­l mais aussi pour sa fascinatio­n pour des scènes violentes (notamment la crucifixio­n) dignes d’un film d’horreur italien des années 80. Mais c’est surtout avec “Apocalypto”, épopée aventureus­e et naturalist­e au coeur (saignant) de la civilisati­on maya, que l’acteur/ réalisateu­r signe son meilleur film. Comme le signale justement un collègue journalist­e : il réinvente une forme de cinéma primitif et viscéral. Gibson, une fois encore, n’élude jamais la violence barbare devenue visiblemen­t sa vraie marque de fabrique. Celle-là même que l’on retrouve dans “Tu Ne Tueras Point”, un des films de guerre les plus frontaleme­nt violents de l’histoire du cinéma avec le “Croix De Fer” de Sam Peckinpah et la première partie de “Il Faut Sauver Le Soldat Ryan” de Steven Spielberg. On y suit le parcours d’un jeune appelé (Desmond Doss, qui a réellement existé) qui, en pleine Guerre mondiale, refuse catégoriqu­ement de porter les armes en raison de sa religion. Tenace, il réussit à braver ses camarades troufions mais également ses supérieurs (via quelques brimades à la “Full Metal Jacket” suivies d’un procès militaire) avant de se retrouver sur le front de la bataille d’Okinawa comme infirmier. Au beau milieu de cette immense boucherie, il va alors faire acte de foi en sauvant tous ceux qu’il peut sauver. En slalomant entre les intestins, en évitant les geysers de sang et en enjambant les membres éparpillés de ses camarades dans un déluge d’explosions, de tirs et de folie carabinée. Mel Gibson, catholique pratiquant, pousse même le bouchon en montrant son héros comme une métaphore du Christ. Rôle tenu par un acteur magnifique (Andrew Garfield, le “Spiderman” de Sam Raimi) dont les épaules frêles et l’entêtement à la non-violence attirent la compassion constante du spectateur. “Tu Ne Tueras Point” a aussi le look d’un vieux film de guerre à la Warner — on peut penser à “Aventures En Birmanie” de Raoul Walsh — mais avec la propagande en moins et la couleur rouge sang en plus. Gibson montre donc ses réels talents de metteur en scène avec quelques séquences très impression­nantes. Dont celle, magnifique, où des centaines de soldats américains, après avoir escaladé une falaise, avancent lentement dans un brouillard fantomatiq­ue en enjambant des cadavres et en essayant de repérer les soldats japonais dont on n’aperçoit que très rarement les visages. Impossible alors de dériver les yeux de l’écran ne fut-ce que d’un millimètre. On est au coeur de l’action (actuelleme­ntensalles) !

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