Lift To Experience
“THE TEXAS-JERUSALEM CROSSROADS”
Mute (import Gibert Joseph) Le dernier grand chef-d’oeuvre du rock — chef-d’oeuvre, au sens de “Beggars Banquet”, “Fun House” ou “Psychocandy” — date donc de 2001 mais aurait été mis en boîte deux ans auparavant. A l’époque, sur scène ou sur disque (“audisque”, disent les critiques de musique classique), ce fut une gifle monumentale et parfaitement inattendue. Trois Texans au look de dégénérés échappés de “Délivrance” ou de “Southern Comfort”, sortaient un double album (si long que par rapport aux doubles albums historiques parus en vinyle, il ressemblait plus à un triple) d’une beauté, d’une invention et d’une constance à pleurer. D’abord, Josh T Pearson (micro, Jazzmaster, pédales variées, mais pas comme au Dépôt), Josh TheBear Browning (basse) et Andy TheBoy Young (batterie) proposaient la révision et la réinvention de l’un des genres les plus abscons du rock : le shoegazing. Lequel était porté par une bande de Britanniques n’ayant rien compris aux groupes dont ils tentaient vainement de s’inspirer, les Jesus & Mary Chain, leurs enfants My Bloody Valentine et les grands précurseurs, les Cocteau Twins. Des minables comme Ride, Slowdive, Lush, on en passe et des meilleurs, s’obstinaient à salir un héritage pourtant considérable. Ce sont donc des Américains qui ont rappelé aux Anglais leurs racines, tout comme les Stones et les Yardbirds avaient en leur temps ravivé les leurs dans la mémoire des Yankees. Logiquement, c’est sur le label Bella Union, tenu par un ancien Cocteau Twins (Robin Guthrie, fameux inventeur des guitares shoegaze), que Lift To Experience publia son unique album, produit par Simon Raymonde, ex-Cocteau également, et fils du grand Ivor Raymonde (Dusty Springfield, Walker Brothers, etc). Mais du shoegazing, Josh T Pearson ne garda que la reverb insensée et les fameuses guitares aquatiques, éthérées ou cathédralesques. Pour le reste, c’était tout autre chose : pas du shoegaze, mais du southerngothic pur jus, au sens littéraire du terme... Un gospel délirant, dantesque, wagnérien et mystique. Un album monstrueux sur la rédemption et la transcendance, une somme, pardon, de rock chrétien, biblique, véhiculant ses mythologies directement sorties de l’Ancien Testament. A ce titre, on peut dire que Pearson, fils de pasteur pentecôtiste (ceux qui font danser les serpents sur les têtes en pratiquant des exorcismes très bruyants) tout droit sorti d’un roman de Donald Ray Pollock, est le dernier des grands prophètes du rock and roll, le dernier à avoir eu une vision, comme ses aînés, qui seraient non pas les frères Reid, Kevin Shields, Elizabeth Fraser ou Jason Pierce (qui a dû se décrocher la mâchoire en entendant tout cela pour la première fois) mais plutôt Hank Williams, Jeffrey Lee Pierce (le début de “Into The Storm” sonne comme une variation autour de “Bad America”) et Nick Cave. “The Texas-Jerusalem Crossroads” est une sorte de livre sonore où, de chapitre en chapitre, de la première à la dernière page, tout serait parfait, où tout serait cohérent. Chaque baisse ou hausse de volume, chaque envolée, chaque soupir, est une légende en soi. On ne peut que s’émerveiller devant la perfection d’un tel premier album : les membres du groupe avouent eux-mêmes qu’au moment de